Le ré-ensauvagement par Gilbert et Béatrice Cochet, compte-rendu de leur visio-conférence – Spécial nature sauvage en France, la thématique 2021 des JNE

Pour éclairer les réflexions autour du thème de recherche « Que reste-t-il de la nature sauvage en France et dans le monde ? », choisi par l’association pour l’année 2021, les JNE ont organisé le 8 avril dernier une visio-conférence avec Gilbert et Béatrice Cochet, autour de la notion de ré-ensauvagement. La conférence était animée par Olivier Nouaillas et Carine Mayo.

Compte-rendu rédigé par Alexandrine Civard-Racinais et Michel Cros

Gilbert Cochet et Béatrice Kremer-Cochet ont fondé avec un groupe d’amis l’association Forêts Sauvages, dont ils sont respectivement président et vice-présidente. Tous deux sont agrégés de l’Université, professeurs en Sciences de la Vie et de la Terre (SVT) et experts au Conseil scientifique du patrimoine naturel.

Ensemble, ils parcourent la France, l’Europe et le monde depuis plus de vingt ans à la recherche des écosystèmes sauvages les mieux préservés et se sont aperçus que le ré-ensauvagement est une alternative naturelle harmonieuse pour l’évolution des forêts qui a fait ses preuves tant au point de vu économique,  qu’humain ; une belle forêt protégée apporte bonheur, santé, et… rentabilité !

Mais de quoi parlons-nous ? Car « ce terme de ré-ensauvagement mérite un accompagnement ». Les Anglo-Saxons utilisent le terme de rewilding qui exclut l’humain, car en anglais le mot wild désigne le sauvage, le non humain, précise d’emblée Gilbert Cochet. Or, « en français, il y a silva derrière, donc la forêt et l’homme sauvage ». Il est peut-être plus simple de parler de « retour de la nature ». Un retour qui a une chronicité, une histoire, « c’est cette histoire là que nous avons essayé de raconter dans nos deux derniers ouvrages parus chez Actes-Sud ».

Une brève histoire du retour de la nature

« Après la dernière période glaciaire, la forêt couvrait 80 % de l’Europe, poursuit Béatrice Kremer-Cochet. Puis l’Europe va connaître une période de déboisement important, lors de la révolution néolithique qui a commencé il y a 11 000 ans dans le croissant fertile. La progression de la civilisation d’horticulteurs-éleveurs s’accompagne d’un « dés-ensauvagement ». c’est un mot inventé pour l’occasion ! Mais, depuis un siècle et demi, nous sommes entrés dans un processus de reforestation et de ré-ensauvagement ».

La surface forestière la plus basse est atteinte au milieu du XIXe siècle. Il reste alors seulement 12 % de forêt en France. Au point que le géographe anarchiste Elisée Reclus aura ces mots : « l’Europe est devenue le royaume des chèvres ». En 1776, l’abbé de Mortesagne, qui vit alors à Pradelles à la limite du Vivarais, du Velay et du Gévaudan — aujourd’hui Lozère, Ardèche et Haute-Loire ­— se plaint qu’il n’y a plus « pour se chauffer que la paille et la bouse de vache ». Les arbres ont quasiment disparu !

Paradoxalement, c’est le développement des énergies fossiles qui va permettre un retour de la forêt. La demande en bois diminue. L’exode rural va aussi favoriser un retour de la forêt. Les hommes quittent les zones rurales pour proposer leurs bras dans les villes. « La nature ayant horreur du vide, elle reprend le dessus et la forêt se développe à nouveau ». Elle dévore les terrasses, le couvert forestier commence à augmenter.

Nous sommes toujours dans ce mouvement de reforestation et de ré-ensauvagement à l’œuvre depuis un siècle et demi. « La forêt revient de loin, s’exclame Gilbert Cochet. Au XVIIIème siècle, les forêts couvraient seulement 12 % en Europe, contre 80 % au moment de l’optimum glaciaire. Actuellement, l’Europe est couverte à 30 % de forêts ». La forêt revient de loin, mais il y a encore de la marge.

Quand l’action de homme favorise le retour de la nature

« C’est ce mouvement, cette dynamique dans laquelle nous sommes toujours, dont nous avons voulu rendre compte dans notre dernier ouvrage. Nous avons aussi voulu parler des petits coups de pouce que l’homme peut donner à la nature », tels que les effacements de barrage, le développement des Réserves biologiques intégrales ou la réintroduction d’espèces animales comme l’ours en Slovénie ou le bouquetin ibérique dans les Pyrénées. Et Gilbert Cochet de renvoyer sur ce sujet à l’ouvrage de J.-P. Crampe (lire ici l’entretien avec Jean-Paul Crampe réalisé par Michel Cros pour le site des JNE).

Lorsque on lui laisse un peu de place, la nature revient, « elle fait preuve d’une incroyable résilience ». Les loups, les lynx sont revenus… Mais parfois, « c’est dans la tête des hommes que le sauvage a du mal à s’implanter ». Et la France est loin d’être le meilleur élève de l’Europe dans sa relation avec la nature. Pour Béatrice Cochet, citant l’historienne des sciences et de l’environnement Valérie Chansigaud (lire ici le compte-rendu de son webinaire du 6 avril dernier), « l’une des explications au désamour des Français à l’égard de la nature, est peut-être liée à la place des femmes ».

Des bonnes nouvelles, mais tout n’est pas rose

En dépit de ce désamour, le ré-ensauvagement se poursuit et la nature retrouve sa place. Pour illustrer cette dynamique, Gilbert Cochet cite le cas du pygargue à tête blanche. « Au début du XXe siècle, il n’y avait plus que 1 000 couples en France. Aujourd’hui on en est à 15 000 couples ! Les chiffres sont spectaculaires. »

« Dans notre ouvrage, nous avons essayé de mettre l’accent sur les bonnes nouvelles, poursuit Béatrice Cochet. Nous sommes sur une pente ascendante. Il faut le dire et s’en réjouir », tout en restant lucide car « il y a trois domaines où ça ne va pas, martèle Gilbert Cochet, les campagnes, les cours d’eau, la mer ».

– Les campagnes. La France compte 28 millions d’hectares de terres agricoles et l’agriculture intensive utilise encore trop d’intrants et d’engrais chimiques, responsables de pollutions.

Les cours d’eau. Avec des taux de nitrates records dans certains endroits ; et 100 000 barrages.

– La mer. « Le plus catastrophique, c’est l’état de la mer » et des ressources halieutiques. Pourtant, des exemples vertueux existent.

Gilbert Cochet : « En mer Adriatique, 2 500 ha ont été exclus de la pêche. Cinq ans plus tard, les pêcheurs ont eu à nouveau le droit de pêcher autour du sanctuaire. Ils se sont rendus compte qu’ils pêchaient autant en une journée qu’en une semaine. C’est génial ! Ca revient à travailler moins pour gagner beaucoup plus ! ».

Autre exemple intéressant : le parc national des Grisons en suisse (1914). Cela fait plus d’un siècle que ce parc est en libre évolution. « C’est un formidable laboratoire qui permet de voir ce qui se passe quand on laisse la nature en libre-évolution. Il y a des prairies magnifiques non pâturées depuis un siècle, mais entretenues par les ongulés sauvages ». Ce parc est visité par 100 000 personnes par an, « ces activités éco-touristiques rapportent 20 millions par an soit 1 100 euros par hectare et par an. Là c’est encore mieux : Ca revient à ne pas travailler du tout pour gagner de l’argent ».

Ces deux exemples nous montrent que l’homme a intérêt à laisser la nature en libre évolution. D’autant que « la non-intervention humaine ne signifie pas l’exclusion de l’homme », renchérit Béatrice Cochet. L’homme peut se contenter d’être un contemplatif. Là encore, c’est dans son intérêt. « On sait qu’être dans la nature, au contact de la nature, nous fait du bien ! C’est même un facteur d’accélération de guérison d’après une étude. On sait qu’être dans la nature, au contact de la nature, nous fait du bien ! C’est même un facteur d’accélération de guérison d’après une étude américaine » (Roger S. Ulrich, View through a Window May Influence Recovery from Surgery, Science, Vol. 224, 27 avril 1984, p. 420-421.)

« Il nous faut donc prendre soin de la nature comme l’on prend soin d’un proche. C’est dans notre intérêt, cela nous fait du bien, et cela nous procure de la joie ! » Laissons donc la nature en libre évolution et contentons nous de la contempler plutôt que de chercher à l’exploiter à tout prix et en tous lieux.

Pour aller plus loin
Ouvrages des intervenants
L’Atlas de la terre, collectif, Hors-série Le Monde La Vie, 2021.
L’Europe ré-ensauvagée : Vers un monde nouveau, Gilbert Cochet & Béatrice Kremer-Cochet, Actes Sud, 2020.
Ré-ensauvageons la France : Plaidoyer pour une nature sauvage et libre, Gilbert Cochet & Stéphane Durand, Actes Sud, 2018.
Le Grand-Duc d’Europe : Description, évolution, répartition, moeurs, reproduction, observation, Gilbert Cochet, Delachaux et Niestlé, 2010.

Autres ouvrages
Le bouquetin aux Pyrénées, odyssée d’une espèce retrouvée, Jean-Paul Crampe, Editions Monhélios en coédition avec le Parc national des Pyrénées, 2020 (lecture recommandés par G.Cochet).
Le sens de la merveille, Rachel Carson, Biophilia n°22, 2021 (lecture recommandée par Jean-Baptiste Dumond)