Le talus « inquiétant » du XVIIIe arrondissement et son rôle écologique

Un écologue membre des JNE apporte son éclairage sur la récente destruction d’un talus ferroviaire dans le nouveau quartier Chapelle International (XVIIIe arrondissement de Paris). Un article de Geneviève Renson retraçant l’historique de cette affaire est à lire en cliquant ici.

par Jean-Claude Génot *

En 2013, un hérisson en quête de pitance au sortir d’un buisson de clématites sauvages, au sommet du talus détruit en février 2021. Photo © GR

Qu’elle soit un jardin délaissé, un champ abandonné, une forêt oubliée, un îlot urbain non bétonné, un terrain miné lors d’un conflit ou une zone d’exclusion après une catastrophe nucléaire, la friche a mauvaise réputation. Elle est associée à toutes les peurs de l’homme : maladie, danger, abandon.

Le cas le plus souvent évoqué est celui de la friche agricole, culture ou pâturage, abandonné par l’agriculture en cas de terrain trop pentu ou de sol pauvre ou en cas de réforme agricole. L’enfrichement des milieux se produit sous l’influence de multiples facteurs locaux : le climat, le sol (souvent modifié par les pratiques agricoles), les espèces présentes (plantes, pollinisateurs et disperseurs), les espaces modifiés environnants et la durée de libre évolution.

Les facteurs qui vont jouer sur la dynamique de reconquête sont si nombreux qu’il est difficile de prédire les milieux qui se mettront en place. Mais il est clair que cette nature spontanée ne sera plus celle des écosystèmes qui seraient présents si l’homme n’avait jamais existé. Ils acquerront un état de maturité nouveau, qui va toutefois suivre les lois naturelles des successions. Dans l’écrasante majorité des cas, les friches se constituent avec l’apparition d’une végétation arbustive et arborescente, sans oublier les lianes (clématite, lierre, houblon, vigne vierge exotique). Ce phénomène se produit dans toutes les zones en déprise de l’hémisphère Nord, en dehors de quelques milieux trop extrêmes pour accueillir la forêt.

Souvent, les premiers arbustes qui s’installent dans une friche sont l’épine noire (ou prunellier) aux points acérées et la ronce commune, arbrisseau épineux qui pousse très vite en épais manteau couvrant le sol. Bien sûr, il y a bien d’autres végétaux qui colonisent les friches comme la fougère aigle ou le genêt, cela dépend de la nature du sol. Mais la présence des arbustes épineux contribue à rendre la friche peu sympathique pour de très nombreuses personnes. Et la ronce fait partie des plantes mal-aimées. Pourtant, elle est pleine de richesses et de vertus que notre société antinature néglige. La première est la diversité puisqu’il existe plus de 50 espèces de ronces en France. Ensuite, son mode de reproduction rapide, via des jeunes pousses qui se transforment en longs rameaux épineux avec une fructification au bout de deux ans et un renouvellement constant après la mort des tiges, en fait une plante conquérante par excellence. Et c’est sans doute cela qui gêne le plus l’homme, qui voit là une prolifération inquiétante pour un contrôleur en chef de la nature. La ronce apporte un feuillage nourricier pour le chevreuil, des fleurs pour les pollinisateurs, des fruits pour de nombreux animaux, dont le renard qui est un bon disperseur des graines de ronce et pour tous ceux qui adorent la confiture de mûres. Elle protège le sol contre l’érosion et le rend plus meuble, offre un abri au lièvre ou au hérisson, des fourches pour le nid du merle et enfin elle sert de berceau au chêne qui pousse ainsi à l’abri de la dent des herbivores que les épines du roncier tiennent à distance. Enfin, pour tous ceux qui voient dans les ronciers des friches une banalisation de « la biodiversité », il n’est pas inutile de rappeler qu’une multitude d’insectes (coléoptères et lépidoptères) dépend de la ronce pour leur nourriture et leur reproduction. Certains consomment exclusivement des feuilles de ronce comme la noctuelle batis ou la ratissée, deux papillons.

Des ronces ont eu l’audace de recouvrir un talus ferroviaire au cœur de Paris, au milieu d’un quartier faisant l’objet d’un aménagement boulevard de la Chapelle dans le XVIIIe arrondissement. Evidemment, oiseaux et petits mammifères, en l’occurrence des hérissons, ont profité de cet abri en bordure de jardins. Mais comme le projet prévoyait l’aménagement de ce talus pour en faire un lieu d’accueil pour la faune sauvage, le bureau d’études a choisi de favoriser le lézard des murailles qui a besoin de plein soleil au détriment des hérissons et autres bestioles qui aiment la ronce mais qui ont le malheur de ne pas retenir l’attention des chargés d’étude. La ronce et les autres végétaux ont été éliminés pour faire place nette, tant pis pour les hérissons.

Que nous apprend ce petit « écocide » urbain quasi insignifiant ? Il confirme la haine de la friche, car ce n’est pas supportable pour des aménageurs (comprenez des destructeurs de la nature sauvage) de conserver en plein milieu urbain un milieu végétal aussi exubérant. Il n’y a guère que Gilles Clément pour intégrer volontairement la friche dans un aménagement paysager. Mais tout de même, l’aménageur est malin. Fini les destructions de l’ancien temps par méconnaissance, l’écologie est passée par là. Désormais, des arguments « biodiversitaires » sont avancés pour détruire la nature spontanée. Quoi de mieux que de cibler une espèce qui a besoin de soleil pour justifier l’éradication des ronciers qui font de l’ombre ! Pas de chance, le lézard en question est déjà présent sur des murs ensoleillés à sa disposition dans cet océan de béton. Qui sont ces bureaux d’étude pour être capables de proposer de détruire des espèces dont certaines sont protégées (le hérisson) afin d’en favoriser d’autres ? Manifestement, ce ne sont pas des arguments scientifiques qui prévalent dans ce genre de choix. L’aménageur doit décider de ce qui est bon pour la nature. Or la friche est inquiétante pour le technicien ou le gestionnaire parce qu’elle démontre que « quand l’homme s’en va, une vie foisonnante se réinstalle partout », comme le soulignait non sans malice François Terrasson. La friche de ce talus était une injure à l’orgueil du savoir-faire des techniciens dont l’arrogance n’a d’égale que l’absence totale de sensibilité au vivant. Aldo Leopold, lui-même ingénieur forestier de formation devenu pionnier de l’écologie américaine, estimait qu’il fallait beaucoup d’humilité pour défendre les espaces sauvages, une valeur qui manque absolument à tous les technocrates qui détruisent la nature spontanée au nom de la «biodiversité ».

*Ecologue

Un sujet photos sur cette affaire est à découvrir en cliquant ici.

Retrouvez l’article complet de Geneviève Renson (JNE) en cliquant sur ce lien

L’éclairage juridique de Gabriel Ullmann (JNE) est à lire là.

Pour en savoir plus sur la situation du hérisson à Paris, lisez ici l’article de François Moutou.