La croissance verte contre la nature par Hélène Tordjman

Économiste, maîtresse de conférences à l’Université Sorbonne Paris-Nord, Hélène Tordjman décortique les ressorts idéologiques, techniques et économiques de ce qu’on qualifie trop rapidement de « croissance verte ». L’ouvrage, très documenté, dénonce l’illusion de ce modèle prétendument vertueux, du fait même que ces initiatives s’inscrivent en réalité dans la lignée du capitalisme financiarisé et approfondissent la crise qu’elles prétendent résoudre.

Fabriquer de toutes pièces des micro-organismes n’ayant jamais existé pour leur faire produire de l’essence, du plastique, ou absorber des marées noires ; donner un prix à la pollinisation, à la beauté d’un paysage ou à la séquestration du carbone par les forêts en espérant que les mécanismes de marché permettront de les protéger ; transformer l’information génétique de tous les êtres vivants en ressources productives et marchandes… Telles sont quelques-unes des « solutions » envisagées aujourd’hui sous la bannière de la transition écologique, du Pacte vert européen ou du Green New Deal pour répondre tout à la fois à la crise climatique, au déclin de la biodiversité et à la dégradation de la biosphère. Sont-elles vraiment en mesure de préserver la planète ?

Hélène Tordjman nous montre que ses promoteurs s’attachent plutôt à sauvegarder le modèle industriel qui est la cause de la catastrophe en cours. Alors que de nouvelles générations de carburants « biosourcés » intensifient une logique extractiviste et contreproductive et que l’élargissement progressif du droit de la propriété intellectuelle à toutes les sphères du vivant permet à quelques firmes de s’approprier l’ensemble de la chaîne alimentaire, l’attribution de prix aux « services écosystémiques », le développement de dispositifs de compensation écologique ou les illusions d’une finance prétendument verte stimulent bien plus un processus de marchandisation que de sauvegarde de la nature.

L’ouvrage s’achève sur de nombreuses pistes de solutions alternatives intéressantes et utiles. Un seul regret dans le contexte décrit : l’auteur ne traite pas, ou pas suffisamment, du principe même qui conditionne toute la marchandisation qu’elle dénonce. A savoir que nous privatisons les profits mais nous socialisons les impacts. Tant que cette réalité survivra, aucune solution ne sera pérenne ou efficiente réellement.


Éditions La découverte, 340 pages, 22 € – www.editionsladecouverte.fr
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(Gabriel Ullmann)