Algérie : la pollution des eaux souterraines, une inconnue

Une pollution des eaux souterraines par les huiles moteur usagées, révélée involontairement par un agriculteur à Ouled Rahmoune, près de Constantine (à l’est du pays), a soulevé la question, peu maîtrisée en Algérie, de l’infiltration des effluents dangereux dans les nappes phréatiques qui fournissent une partie de l’eau destinée à la consommation des populations et à l’irrigation.

par M’hamed Rebah

Samedi 20 mars 2021, à Ouled Rahmoun, localité à vocation agricole, le forage d’un puits sur une profondeur de 90 m à la recherche de l’eau, a fait remonter à la surface un liquide visqueux et noirâtre qui a été trop vite présenté par les médias et les réseaux sociaux, comme une découverte de pétrole. L’expertise réalisée par la Compagnie nationale des hydrocarbures, Sonatrach, a établi que le liquide est une huile moteur très dégradée qui s’est trouvée mélangée à l’eau du puits artésien.

Comment cela a-t-il pu arriver ? Pour élucider l’affaire, une commission technique a été constituée par les ministères de l’Energie et des Mines et de l’Environnement. Il faut espérer que la création de cette commission ne soit pas destinée, comme cela s’est déjà produit par le passé, à faire oublier le problème au lieu de le traiter. Dans ce cas, la traçabilité est rendue possible par l’article 49 de la loi sur l’environnement de juillet 2003, qui impose un inventaire établissant le degré de pollution des eaux superficielles ou souterraines, cours d’eau, lacs et étangs, eaux littorales ainsi que de l’ensemble des milieux aquatiques.

Récemment, les risques de pollution des nappes phréatiques dans le Sud ont retenu l’attention du président Abdelmadjid Tebboune qui a ordonné l’envoi d’une délégation comprenant les ministres des Finances, des Ressources en eau et de l’Environnement dans les wilayas du Sud, notamment les wilayas de Tamanrasset et Adrar, en vue de s’enquérir de l’état de ces ressources en eau. Dans le sud algérien, le risque de pollution le plus fréquent sur les eaux souterraines, vient des activités liées aux hydrocarbures. Dans le nord du pays, loin des champs pétrolifères, ce sont les rejets d’huiles usagées qui constituent une sérieuse menace sur la qualité des eaux souterraines.

Les données concernant les huiles usagées, classées par la législation algérienne parmi les déchets spéciaux dangereux, ont toujours été marquées par l’incertitude dans les rapports officiels. Elles sont insuffisamment prises en charge dans les estimations des déchets. Particulièrement nocives, leur gestion est strictement réglementée, elles doivent être manipulées avec précaution et ne peuvent être déversées dans les canalisations ni être jetées avec les ordures ménagères, leur traitement préconise une démarche particulière. Les industriels sont tenus d’opérer un prétraitement pour les éliminer de leurs rejets vers le réseau d’assainissement.

Mais la réalité est tout autre : la dernière publication du Centre national des technologies plus propres (CNTPP), qui relève du ministère de l’Environnement, nous apprend que, dans certains cas, les huiles moteur usagées sont déversées dans le sol et peuvent contaminer les eaux de surface et souterraines, créant ainsi de graves pollutions de l’eau et de la végétation à long terme.

Selon le Quotidien d’Oran (25 septembre 2019), la direction de l’Environnement de la wilaya d’Oran a recensé 40.000 tonnes d’eaux huileuses, soit près de 40 % de l’ensemble des déchets spéciaux dangereux de la wilaya, rejetées chaque année dans les réseaux d’assainissement ou d’autres milieux récepteurs. Un contrôle, cité par la même source, effectué par la direction locale de l’Energie, a permis de constater que « le minimum pour récupérer les huiles et séparer les huiles usagées de l’eau du lavage, ne se fait pas dans la grande majorité des stations-service ».

L’enquête a établi que les stations-services qui assurent la prestation de lavage-graissage, déversent, pour la plupart d’entre elles, les huiles usagées dans les réseaux d’assainissement. Il n’est pas exclu que des huiles usagées soient récupérées pour être traitées et conditionnées puis écoulées de manière frauduleuse comme huile moteur, à travers les circuits de l’économie informelle.

L’entreprise publique Naftal (chargée de la distribution des carburants) s’est engagée à procéder à la récupération des huiles usagées au niveau de ses points de vente et à préserver les eaux superficielles et souterraines. En aval, Sonatrach a été pendant longtemps l’unique opérateur dans le créneau de la régénération des huiles usagées.

En octobre 2020, une raffinerie des huiles usagées a été inaugurée par le Premier ministre, Abdelaziz Djerad, à la zone industrielle Kechida, à Batna. Elle fait partie actuellement des six unités de collecte et de régénération des huiles usagées enregistrées au niveau du ministère de l’Environnement, qui a également donné son agrément à 38 collecteurs d’huiles usagées, dont trois installés à Constantine.

Les informations portées sur le site du ministère de l’Environnement indiquent que plusieurs opérateurs sont autorisés à exporter les huiles moteur usagées vers la Grèce, l’Inde, la France, Bahrein et le Ghana. Toutefois, la collecte des huiles usagées n’est pas systématique. D’après les derniers chiffres officiels connus (2015), quelque 180 000 tonnes d’huiles usagées sont générées annuellement, mais seulement 10 à 11%, sont récupérés, principalement par Naftal, et tout le reste est soit stocké au niveau des stations-service, soit jeté dans la nature via les égouts.

La fiscalité écologique comprend une taxe sur les huiles, lubrifiants et préparations lubrifiantes (art.93 Loi de Finances 2020) importés ou fabriqués sur le territoire national, et dont l’utilisation génère des huiles usagées. Vingt-quatre pour cent  du produit de la taxe, fixée à 37.000 DA par tonne, va au Fonds national de l’environnement et du littoral, qui sert notamment au financement d’actions et subventions liées à l’économie verte, dont font partie les activités de collecte et de valorisation des huiles usagées, très faiblement exploitées à ce jour.

Cet article a été publié dans La Nouvelle République (Alger) du mercredi 7 avril 2021.