L’avenir tel qu’on se le cache par Michel Sourrouille

La multiplicité des événements et le brouillage médiatique nous empêchent de voir l’essentiel, d’avoir une vision du long terme et de ses évolutions structurelles.

Dans les conversations courantes, une considération chasse l’autre. La pandémie aujourd’hui, hier le terrorisme, le réchauffement climatique en toile de fond, la canicule un jour, les inondations le lendemain, quelques considérations très ponctuelles sur la chute de la biodiversité et toujours l’avalanche des faits divers… on en oublie la descente énergétique qui s’amorce. Les médias se consacrent aux problèmes de société et aux événements croustillants, raffolent de la culture d’élite et du sport de masse, décortiquent les débats sans fin sur les ravages de la pandémie, les masques, la vaccination, se penchent de temps en temps sur les chômeurs et les familles à la dérive, nous abreuvent de publicités… Ils nous détournent de l’essentiel. Les politiciens captent eux aussi notre attention avec le bal des ego et les jeux d’appareil. Nous sommes submergés de nouvelles, anesthésiés, incapables de trier entre l’important et le dérisoire.

Qui se souvient encore du krach financier de 2008 ? Qui se rappelle du pic pétrolier mondial de 2006 ? Qui a fait le lien entre ces deux événements ? Qui parle aujourd’hui du choc pétrolier ultime qui va survenir bien avant que nous ayons commencer à lutter vraiment pour le climat ? Crises pétrolières et crises climatiques sont les jumeaux de l’hydrocarbure, liés l’un à l’autre de façon très étroite. Laisser le pétrole sous terre pour éviter les gaz à effet de serre, et c’est la catastrophe économique par manque de carburant d’une civilisation basée sur les ressources fossiles. Brûler du pétrole, c’est l’apocalypse climatique et une planète invivable pour les générations futures. Peu de gens restent lucides sur le rôle central du pétrole, le viagra des sociétés croissancistes. Pourtant, les avertissements remontent à loin, encore faut-il les connaître.

Le pic pétrolier est ce point de retournement à partir duquel la production de pétrole commence à baisser inéluctablement. Le géologue américain King Hubbert avait annoncé en 1956 que les États-Unis connaîtraient ce pic vers 1970. A l’époque, la majorité des experts s’était montrée incrédule. Pourtant, le pic de Hubbert a été atteint aux Etats-Unis entre 1971 et 1972. Un spécialiste de l’automobile, Jean Albert Grégoire, publie un livre en 1979, Vivre sans pétrole : « Comment l’automobiliste pourrait-il admettre la pénurie lorsqu’il voit l’essence couler à flot dans les pompes… Apercevoir la fin des ressources pétrolières, admettre son caractère inéluctable et définitif, provoquera une crise irrémédiable que j’appellerai crise ultime. » Jean-Marc Jancovici précisait récemment que jamais un humain n’avait autant utilisé de pétrole par habitant qu’en 1979, et jamais plus il n’en utilisera autant. La descente énergétique avait commencé, et les indicateurs monétaires ne font que suivre les indicateurs physiques. L’économie n’est qu’une machine à transformer les ressources naturelles. Sans ressources à disposition, c’est la chute du PIB. Opinion publique, médias ou politiciens, qui le dit assez fort pour être entendu ?

La lutte pour le climat va précipiter l’arrivée de la date du choc pétrolier ultime. Selon ses engagements, l’Europe devrait d’ici à 2050 avoir fait disparaître la consommation de charbon, avoir réduit de 85 % sa consommation de pétrole et de 55 % sa consommation de gaz naturel. Mais difficile à une époque de fausses nouvelles, d’idéologie croissanciste répandue dans tous les milieux médiatisés, d’économie de la promesse au sortir du confinement et de croyance au progrès technique sans limites, difficile donc de penser aujourd’hui que la taxe carbone aurait du être mise en place depuis de nombreuses années déjà ; cette réalité a été occultée, y compris par la Convention citoyenne sur le climat dans ses 149 propositions. Nous serons donc un jour prochain obligé d’adopter un rationnement avec des cartes carbones individuelles. Qui le dit assez fort pour être crédible ?

Le problème de la nécessaire rupture écologique, c’est qu’elle demande une complète déconstruction de nos structures matérielles et mentales actuelles. Il nous faut un nouvel imaginaire, répétait Serge Latouche. Il nous faut aller moins vite, moins loin et moins souvent, s’exclamait Yves Cochet. Mais bousculer des habitudes socio-culturelles demande du temps, pratiquer la sobriété partagée ne va pas de soi. Pourtant, le double choc pétrolier et climatique nous oblige à réagir drastiquement. L’avantage de ces vagues pandémiques mondialisées à répétition, c’est qu’elles nous préparent aux politiques de restrictions dans tous les domaines : se déplacer, se nourrir, trouver un emploi, pratiquer les loisirs. On est en train d’en revenir à l’essentiel de nos besoins, poussés par un virus et non par notre réflexion commune. Qui explique à la population que nous sommes entrés dans l’ère de la démobilité, de la désurbanisation, de la décroissance du superflu ? Qui énonce que cette période est nécessaire et qu’elle sera durable ? Qui nous dit que le monde d’avant, le monde de l’abondance matérielle et des esclaves énergétiques à profusion est prochainement révolue ? Il nous faudra attendre le choc pétrolier ultime pour en prendre collectivement conscience…

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Photo : King Hubbert © Wikipédia