La nature en libre évolution : enjeux et réalités par Jean-Claude Génot

Qu’entend-on par nature en libre évolution ? Dès que l’homme quitte un lieu, abandonne une terre, crée un no man’s land ou dédie un espace à la faune et à la flore en toute conscience, la nature enclenche des processus millénaires de vie et montre de quoi elle est capable de façon autonome.

 

Hêtraie dans la réserve forestière intégrale de 3 000 ha dans le Parc national de forêts (aux confins des régions Grand Est et Bourgogne Franche Comté)  – photo Jean-Claude Génot

Qui n’a pas croisé un terrain vague livré à lui-même, une friche agricole pleine de broussailles, une friche industrielle où les bâtiments semblent avoir poussé au milieu des arbres, un bois abandonné après une coupe ? Partout le même constat, la nature y déploie son ingéniosité biologique à l’aide de lichens, de mousses, de plantes herbacées, de lianes, d’arbustes et d’arbres.

Dans ce foisonnement végétal, l’homme voit souvent un désordre innommable et effrayant. La nature ne fait que déployer sa dynamique végétale dans ce que les scientifiques nomment une succession pour recouvrir un sol nu, pour enrichir un lieu de nouvelles espèces, pour occuper tous les espaces possibles et pour transformer un milieu ouvert en une forêt sans aucune machine ou débauche d’énergie autre que ses atouts naturels : la photosynthèse, la pollinisation, le recyclage de la matière organique, les symbioses.

Evidemment, la nature en libre évolution ne se réduit pas au monde végétal, un espace suffisamment grand permet la colonisation de nombreuses espèces animales, des insectes aux grands mammifères. Tous ont un lien étroit avec le monde végétal en les consommant, en disséminant leurs graines ou en les décomposant. La libre évolution va de pair avec la nature sauvage qui ne l’est que si justement elle peut s’exprimer de façon libre et spontanée. Si comme le disait Elisée Reclus, l’homme est la nature consciente d’elle-même, alors la nature sauvage, elle, est parfaitement inconsciente de l’homme.

Hêtraie dans le Parc national du Hunsruck en Rhénanie-Palatinat (Allemagne) – photo Jean-Claude Génot

La France compte 5,1 millions d’hectares de terres sans usages (1), donc en libre évolution, mais le qualificatif de « sans usages » signifie sans exploitation agricole ou forestière et sans urbanisation. Il peut s’agir de maquis, de landes, de garrigues, de friches arbustives et surtout de boisements spontanés, voire de forêts à l’abandon, la forêt constituant le stade final de la succession de nombreux espaces ouverts en libre évolution en zone tempérée. Pour autant, il peut y avoir des usages locaux (cueillette, chasse, pâturage extensif, loisir). De plus, la plupart de ces espaces sont privés et ne présentent aucune garantie de pérennité quant à la libre évolution. En fonction de leur localisation, ces terres sont temporairement sans usages car elles ne sont pas à l’abri d’une valorisation économique telle que l’exploitation pour la biomasse, le défrichement pour l’agriculture, l’extension urbaine ou encore l’installation de panneaux solaires ou d’éoliennes. La libre évolution n’est donc absolument pas garantie. Elle ne l’est que sur de faibles surfaces protégées à cet effet, à savoir les réserves forestières intégrales qui relèvent de la catégorie Ia des aires protégées de l’UICN (2), à savoir le niveau le plus élevé de protection. En 2020, on dénombre 21 868 ha de forêts en réserves biologiques intégrales, soit 1,2 % des forêts domaniales et 0,13 % des forêts françaises métropolitaines (soulignons que si on prend en compte l’Outremer, la surface en réserves intégrales dépasse les 100 000 ha, notamment avec la Guyane). On est loin des ambitions affichées dans la stratégie allemande pour la biodiversité, à savoir un objectif de 5 % des forêts en libre évolution. Or, comme il est difficile d’obtenir la libre évolution en forêt privée et dans les communes, certains Länder se sont fixé 10 % de leurs forêts publiques (3) comme cela a été le cas en Rhénanie-Palatinat avec un parc national forestier de 12000 ha, les aires centrales de la réserve de biosphère transfrontalière Vosges du Nord-Pfälzerwald et un réseau de réserves forestières intégrales. Dans la réserve de biosphère Vosges du Nord-Pfälzerwald côté français, les aires centrales en libre évolution s’élèvent à 0, 6% de la surface totale du Parc naturel régional, alors que côté allemand, les aires centrales représentent 3% du Parc naturel de la forêt du Palatinat. En France, la libre évolution n’est pas totale puisque la chasse est pratiquée dans les réserves biologiques intégrales. Là encore, l’Allemagne se distingue puisque depuis peu, l’Office fédéral de protection de la nature a décidé d’interdire la chasse dans les réserves forestières intégrales. Dans les réserves naturelles métropolitaines, sur 53 308 ha de forêts il n’y a que 44,7 % d’entre elles qui sont en libre évolution, soit 23 828 ha, les autres font l’objet d’une exploitation. Mais sur ces 23 828 ha, seuls 4 070 ha sont strictement protégés, les 19 58 ha restant sont en libre évolution mais pourraient très bien faire l’objet d’une exploitation (4). Quant aux zones cœurs des parcs nationaux, elles comptabilisent en métropole 107 366 ha et seulement 0,06 % de ces forêts sont en réserve intégrale, une anomalie pour des cœurs de parcs nationaux qui devraient être dédiés à la nature sauvage.

Un des sanctuaires de nature dans le Parc naturel régional des Vosges du Nord – photo Jean-Claude Génot

Il existe des initiatives associatives en matière de libre évolution. Depuis sa création en 2005, Forêts sauvages achète des forêts spontanées. L’ASPAS a créé ses réserves de vie sauvage® (1 200 ha avec 6 sites) pour la libre évolution totale puisque la chasse y est interdite. Il y a dix ans, des associations de protection de la nature et les acteurs de la forêt publics et privés ont engagé un partenariat pour atteindre un objectif ambitieux : dix pour cent des forêts de la région Rhône-Alpes en libre évolution. Ainsi est né le réseau FRENE (FoRêts en Evolution Naturelle). Aujourd’hui, la région s’est étendue à l’Auvergne et le bilan est de 24 968 ha (23 112 ha en forêt publique et 1 856 ha en forêt privée). Le réseau intègre des réserves biologiques intégrales comme celle du Vercors (2 000 ha), mais aussi des îlots de sénescence (2 000 pour 50 propriétaires publics et privés) de quelques ares. Il faut rappeler que les îlots de sénescence existent en forêt publique et doivent représenter avec les réserves intégrales 1 % des forêts domaniales, ce qui est largement insuffisant. Ces îlots ne dépassent pas 5 ha au maximum et sont intégrés dans les plans d’aménagement forestier alors que les réserves intégrales ont des surfaces de plusieurs centaines d’hectares, voire de quelques milliers et sont créées par arrêté du ministère de l’Agriculture après avis du ministère de l’Ecologie. Si l’on rapporte ces 24 968 ha du réseau FRENE aux 2,5 millions d’hectares de forêts présentes dans la nouvelle région, la libre évolution ne représente que 1%. Même si ce réseau a le mérite d’exister et qu’il fut novateur dès son lancement, on est loin des 10 % fixés initialement. En effet, il y a énormément d’obstacles à la création de zones en libre évolution pour des raisons économiques (l’éternel manque à gagner), psychologiques (certains forestiers ont l’impression que leur rôle est remis en cause) et idéologiques (la forêt est une ressource au service de l’homme et doit être exploitée).

Les Conservatoires d’espaces naturels (CEN) sont depuis longtemps orientés vers une gestion très interventionniste en faveur des milieux ouverts. Récemment, certains d’entre eux ont lancé des projets favorables à la libre évolution. C’est le cas du CEN Normandie Ouest qui a lancé un Programme Régional d’Espaces en Libre Evolution (PRELE), du CEN Auvergne qui a engagé un programme d‘acquisition de vieilles forêts via un financement participatif pour constituer le réseau Sylvae et du CEN Lorraine en train d’acquérir des forêts spontanées dans le Parc naturel régional des Vosges du Nord. Il faut espérer que tous les autres CEN comprennent l’importance de la libre évolution dans le contexte des changements globaux actuels (changement climatique, perturbations biotiques et abiotiques, espèces exotiques, pollutions, changement d’usage des sols) et engagent à leur tour de tels projets.

Enfin, un autre exemple original en faveur de la libre évolution vient du Parc naturel régional des Vosges du Nord. Ce dernier a incité les communes volontaires à constituer un réseau de sanctuaires de nature (terminologie souhaitée par le conseil scientifique du Parc et plébiscitée par les enfants des communes concernées). Il s’agit de sites appartenant aux communes, en zone N, accessibles, ayant une surface minimale de 50 ares et qui sont en libre évolution. A ce jour, le réseau compte 8 sites pour 18 ha (des friches, des marais, des forêts spontanées) et sert de site de découverte du sauvage pour les scolaires et les habitants ainsi que de lieu de résidence pour des artistes.

Friche en libre évolution dans le Haut Verdon, un exemple de terre sans usage – photo Jean-Claude Génot

Toutes ces initiatives explicitées précédemment sont encourageantes, mais elles restent très modestes dans leur portée quand on pense au potentiel des 5,1 millions d’hectares de terres sans usages en France. L’acquisition foncière est un long processus, coûteux, qui mène parfois à un maigre résultat. Il faut beaucoup de temps pour obtenir des surfaces conséquentes d’un seul tenant, voire des coups de chance pour accéder à des superficies significatives comme les 500 ha acquis par l’ASPAS dans le Vercors. Pour mener une politique digne de ce nom en faveur de la libre évolution, il faudrait un équivalent du Conservatoire du littoral bénéficiant d’un droit de préemption pour acquérir de vastes surfaces de terres sans usages et constituer un véritable réseau de nature férale (5), maillon indispensable dans nos paysages beaucoup trop domestiqués. Mais au fond, pourquoi cet engouement pour la libre évolution ?

Il y a de nombreuses valeurs qui sous-tendent les arguments des défenseurs de la libre évolution. Le penseur libertaire Henry David Thoreau, qui fit des conférences sur le sauvage dans l’Amérique du XIXe siècle, répétait que c’est dans le sauvage que réside la sauvegarde du monde. L’écologiste Aldo Leopold, qui proposa la première aire de wilderness aux Etats-Unis en 1924, considérait la nature sauvage comme un lieu d’humilité pour l’homme et soulignait que la wilderness était la seule chose que l’homme ne pouvait pas créer. Edward Abbey, écrivain et contestataire des ravages du développement dans l’ouest américain, disait de la nature sauvage : « l’amour de la nature sauvage est plus qu’une soif de ce qui est toujours hors d’atteinte; c’est aussi une affirmation de loyauté à l’égard de la terre, cette terre qui nous fit naître, cette terre qui nous soutient, unique foyer que nous connaîtrons jamais, seul paradis dont nous ayons besoin-si seulement nous avions les yeux pour le voir » (6). Il y a chez ces Américains défenseurs du sauvage une part de romantisme qu’ils ne renient pas, mais aussi la conscience de la fragilité de cette nature sauvage face à ce que, Abbey nommait « la course frénétique pour le profit et la domination ». Leur appréhension de la nature sauvage est émotionnelle et spirituelle, ils sont sensibles à sa beauté. Le monde sauvage est une part de rêve et de liberté sans lequel l’homme ne peut pas vivre.

Autre exemple de terre sans usage : bois en libre évolution de faible surface en Alsace – photo Jean-Claude Génot

Depuis 300 000 ans, Homo sapiens a plus longtemps vécu dans une nature sauvage que dans celle qu’il a aujourd’hui entièrement transformée, sans oublier que le genre Homo a été chasseur-cueilleur près de deux millions d’années. Cela a conduit le philosophe Paul Shepard à considérer que le sauvage fait partie de notre héritage génétique. Pour le biologiste Vincent Devictor, la nature sauvage permet de prendre conscience de la valeur intrinsèque de la nature et pour la philosophe Virginie Maris, laisser de la place à la nature sauvage, qu’elle nomme « la part sauvage du monde » (7), revient à donner des limites à notre frénétique besoin de domination. Il est clair que la nature en libre évolution, sauvage et autonome, ne peut pleinement exister que si notre civilisation effectue une révolution copernicienne en adoptant une éthique de la nature en rupture avec l’anthropocentrisme. La place à accorder à la nature en libre évolution n’est pas une question mineure, elle soulève un débat fondamental sur la place de l’homme dans la nature et sur le fameux dualisme occidental qui veut que l’homme se différencie nettement de la nature.

Sur la rupture avec le dualisme, les philosophes qui s’intéressent à la nature sauvage ne sont pas tous d’accord. Ainsi Virginie Maris ne le rejette pas et voit la nature comme une « extériorité » permettant de « borner notre empire », une altérité avec qui dialoguer et échanger. Alors que Baptiste Morizot, lui aussi ardent promoteur de la libre évolution, souhaite le faire en rompant avec le dualisme en remplaçant les mots « homme » et « nature » par le terme commun « vivant » car pour lui, « ce n’est pas en tant qu’humains qu’on protège une altérité qui serait la nature, c’est en tant que vivants qu’on défend le vivant, c’est-à-dire nos milieux de vie multispécifiques » (8). Le philosophe pisteur (voir son livre Sur la piste animale paru en 2018) propose une voie pour convaincre les humains que leur sort est intimement lié à celui des vivants non humains et que celle-ci passe aussi par la libre évolution, à savoir pour l’auteur rendre « la vie sauvage à elle-même ». Le problème du dualisme homme/nature n’est pas dû à l’emploi du mot nature, mais à la relation que nous entretenons avec elle car tant que l’homme se ne sentira pas profondément lié la nature, un lien « vital et hyper sensoriel » comme le qualifie l’ethnologue Jean Malaurie, on ne résoudra pas la crise écologique de fond qui touche la planète. Enfin, la philosophe australienne Val Plumwood, qui connaît le sauvage puisqu’elle a survécu à l’attaque d’un crocodile dans son pays, estime que « penser les relations n’exclut pas la distinction et ne requiert aucunement une fusion, ni moins encore une absorption de la nature par la culture » (9).

La nature en libre évolution ne plaît pas à tout le monde. Il y a de très nombreuses oppositions venant de divers groupes de pression qui ne veulent pas entendre parler de nature sauvage. De plus, trop de gens des sciences humaines et sociales répètent que la nature est une construction sociale ; certains souhaitent qu’on bannisse le mot nature parce que tout relèverait de la culture. Ils sont tellement perdus dans leur pur esprit qu’ils ne voient plus le réel, une nature perpétuelle qui sait exister sans nous et se fiche de savoir quel nom on lui donne. D’autres critiques portent sur les aires protégées dédiées à la nature en libre évolution où l’homme n’est qu’un simple visiteur. Elles rendent les promoteurs de la conservation de la nature responsables de ce qui se passe en dehors, à savoir la destruction de la nature. Comme si les protecteurs de la nature ne souhaitaient pas une gestion soutenable des ressources naturelles autour des aires protégées. Reproche-t-on aux ONG qui s’occupent des camps de réfugiés d’être responsables des guerres qui sévissent à l’extérieur ? Ce que ne nous disent pas ces brillants penseurs, c’est comment faire pour stopper la sixième crise d’extinction et protéger les espèces qui peuvent difficilement cohabiter avec les activités humaines si on ne leur accorde pas plus d’espace pour survivre. Et comment faire pour en finir avec ce frénétique besoin de l’homme de dominer la nature et de mettre tout l‘espace en valeur ?

Le chemin sera encore long pour faire accepter la libre évolution dans les territoires ruraux. J’en veux pour preuve la motion prise par la Confédération Paysanne (CP) de la Drôme en avril 2020 lors de son congrès national « contre l’accaparement de foncier pour le ré-ensauvagement » et signée par une dizaine d’autres confédérations départementales. Il est regrettable que cette organisation, aussi critique vis-à-vis du modèle agricole industriel que les protecteurs de la nature, se soit positionnée frontalement contre les acquisitions foncières de l’ASPAS, notamment 500 ha dans la Drôme, et contre « l’idéologie du ré-ensauvagement ». Outre que cela ne représente que 0,1 % du département concerné, la revendication de la terre aux paysans, sous-entendu toute la terre disponible, est inacceptable et met cette organisation syndicale dans une position monopolistique que la société civile n’approuverait certainement pas. Comme le souligne Baptiste Morizot, la CP et l’ASPAS devraient faire plutôt alliance contre l’agrobusiness, mais pour cela il faudrait que la CP reconnaisse la libre évolution comme une modalité normale de gestion du milieu rural au service des êtres vivants non humains et que l’ASPAS reconnaisse qu’en dehors des zones en libre évolution, les activités agricoles menées par la CP peuvent être compatibles avec une certaine diversité biologique. En dehors du monde agricole et cynégétique, généralement hostiles au sauvage, force est de constater que le monde des gestionnaires des espaces naturels n’est pas exempt de reproche. Hélas, les CEN s’obstinent à maîtriser la nature en libre évolution dans ses moindres recoins et les exemples sont multiples. Ainsi, le CEN Allier élimine la végétation spontanée des bords d’Allier et scarifie les rives sableuses avec des machines pour permettre aux sternes de nicher et à une plante pionnière de se développer. Evidemment, la végétation va repousser et il faudra faire du pâturage pour éviter son retour. Il faut enlever ces buissons et ces arbres car ils provoqueraient une crue plus haute qu’en cas de défrichement. Moi qui pensais naïvement que les ripisylves et les forêts alluviales servaient à freiner les crues… Et que vont devenir les castors si on leur enlève les arbres dont ils se nourrissent ? Le CEN a choisi « ses » espèces, comme par hasard celles liées aux espaces ouverts, d’où un entretien perpétuel. Ces actions antinature traduisent une dendrophobie aigue et relèvent plus de la culture, de l’élevage et du jardinage que de la protection du vivant (10). L’argent public dépensé (70 000 €) serait mieux employé à acquérir des terres sans usages pour les laisser à la nature. Toutes ces actions inutiles ne sont pas faites pour la nature, mais pour mettre en valeur ceux qui les appliquent.

Malgré les fortes oppositions de certains acteurs du monde agricole et cynégétique face à la nature sauvage, le mouvement en faveur de la libre évolution semble inexorable car la réalité des bouleversements liés aux changements globaux va s’imposer. La voie de la libre évolution commence à s’enraciner dans les pratiques de certains gestionnaires de la nature. Le groupe de travail de l’UICN France, créé en 2013, travaille sur l’acceptation de la nature férale et de la wilderness. Le contexte européen est favorable au ré-ensauvagement à la suite d’un rapport du parlement européen sur la nature sauvage datant de 2009. Enfin, la récente initiative de l’association Francis Hallé pour une forêt primaire, dont le projet est de créer une zone de plusieurs dizaines de milliers d’hectares laissée en libre évolution durant des siècles, bouscule les lignes et met sur la table une idée tellement utopique qu’elle pourrait bien devenir demain une réalité, sachant qu’en Europe il ne reste plus que 0,7 % de forêts primaires (11). Malgré tout, laisser consciemment la nature en libre évolution est un acte profondément subversif pour tous ceux, et ils sont nombreux, qui se sentent « maîtres et possesseurs de la nature » – pour reprendre l’expression cartésienne – et qui se comportent comme des colonisateurs en droit de mettre toute la nature en valeur !

* Ecologue

1 Raja Chakir et Anne-Claire Madignier. 2006. Analyse des changements d’occupation des sols en France entre 1992 et 2003. Economie Rurale n° 296 : 59-68. http://doi.org/10.4000/economierurale.1920

2 Thierry Lefèbvre et Sébastien Moncorps. 2010. Les Espaces protégés français. Une pluralité d’outils au service de la conservation de la biodiversité. Rapport UICN. 100 p.

3 Stelian Radu. 2018. Allemagne : une grande offensive pour la promotion du sauvage. Naturalité. La lettre de Forêts sauvages n° 19 : 3-4.

4 Eugénie Cateau, Loïc Duchamp, Joseph Garrigue, Lucas Gleizes, Hervé Tournier et Nicolas Debaive. 2017. Le patrimoine forestier des réserves naturelles – Focus sur les forêts à caractère naturel. RNF. Cahier n° 7 : 104 p.

5 Annik Schnitzler et Jean-Claude Génot. 2020. La nature férale ou le retour du sauvage. Jouvence. 175 p.

6 Edward Abbey. 2010. Désert solitaire. Gallmeister. 338 p.

7 Virginie Maris. 2018. La part sauvage du monde. Seuil. 259 p.

8 Baptiste Morizot. 2020. Raviver les braises du vivant. Un front commun. Actes Sud/ Wildproject. 199 p.

9 Val Plumwood. 2020. Réanimer la nature. Puf. 94 p.

10 Jean-Claude Génot. 2020. La nature malade de la gestion. Editions Hesse. 240 p.

11 Francesco Maria Sabatini, Sabina Burrascano, William S. Keeton, Christian Levers, Marcus Lindner, Florian Pötzschner, Pieter Johannes Verkerk, Jürgen Bauhus, Erik Buchwald, Oleh Chaskovsky, Nicolas Debaive, Ferenc Horváth, Matteo Garbarino, Nikolaos Grigoriadis, Fabio Lombardi, Inês Marques Duarte, Peter Meyer, Rein Midteng, Stjepan Mikac, Martin Mikoláš, Renzo Motta, Gintautas Mozgeris, Leónia Nunes, Momchil Panayotov, Peter Ódor, Alejandro Ruete, Bojan Simovski, Jonas Stillhard, Miroslav Svoboda, Jerzy Szwagrzyk, Olli-Pekka Tikkanen, Roman Volosyanchuk, Tomas Vrska, Tzvetan Zlatanov & Tobias Kuemmerle. 2018. Where are Europe’s last primary forests? Diversity and Distributions 24 : 1426–1439. DOI: 10.1111/ddi.12778