Il ne suffit pas de repeindre son ordinateur en vert pour qu’il devienne éco-responsable. Frédéric Bordage en témoigne. Expert indépendant en numérique responsable et animateur du collectif Green IT, il connaît bien les chausse-trapes de l’univers informatique.
par Marie-Hélène Léon
« En 2020, l’univers numérique français est constitué d’environ 631 millions d’équipements, utilisés par 58 millions de personnes. Soit environ 11 équipements par utilisateur ! » Un chiffre déjà exorbitant qui monte à 15 appareils par utilisateur quand on retire les jeunes de moins de 15 ans et les seniors de plus de 70 ans selon l’étude iNum (1).
Et si l’on égrène l’inventaire, il fait pâlir Prévert : ordinateurs portables et de bureau, écrans associés, smartphones et téléphones mobiles, télévisions, tablettes, consoles de jeu vidéo, imprimantes, et bien sûr objets connectés de plus en plus présents dans les ménages (montres et enceintes connectées, assistants vocaux, domotique, voiture connectée, etc.) ainsi que dans les entreprises (capteurs et intelligence embarquée).
Les impacts environnementaux sont importants. C’est surtout la fabrication du numérique qui exerce la plus forte pression, et, dans une moindre mesure, son utilisation. L’étude iNum fait état pour la France en 2020 de 180 TWh d’énergie primaire, un réchauffement global lié à l’émission de 24 millions de tonnes de gaz à effet de serre, une tension sur l’eau douce avec 559 millions de m3, et l’épuisement des ressources abiotiques (833 tonnes équivalent antimoine).
La face obscure de la force
Harcèlement publicitaire, marketing pour un changement fréquent de mobiles, obsolescence programmée, encouragement à consommer toujours plus… La résistance devient une nécessaire résilience à l’échelle de l’humanité.
Les plus impactants à (éviter) limiter à tout prix ? D’abord les télévisions (il y a plus de TV en France que d’individus, la taille des écrans augmente) et les box TV, puis les ordinateurs. Après, viennent les réseaux particuliers et professionnels (chaque foyer possède sa propre box et chaque entreprise possède ses propres passerelles réseau), ensuite les centres informatiques.
Du côté des fabricants, certains se sont fait une spécialité en coûts élevés et utilisateurs captifs. Apple par exemple, qui vient d’être condamné à 25 millions d’euros pour obsolescence programmée et pratique commerciale trompeuse en raison du ralentissement de certains de ses téléphones (2).
Dépêchons-nous de (re)lire Bernard Charbonneau et Jacques Ellul (3) avant que n’arrive le grand bluff de la 5G (4). « Elle rend possible la multiplication des objets connectés, et la venue de milliards d’heures supplémentaires d’usage numérique qui n’existaient pas. Or on n’a pas besoin de la 5G, et on n’a pas besoin des derniers ordinateurs, si on éco-conçoit les services numériques. »
Résilience pro-intelligence
Pour pratiquer le numérique responsable, les solutions sont légion, à commencer par ne pas utiliser d’appareil numérique ! Mais est-ce possible aujourd’hui ? L’objectif est difficilement atteignable. Même les banques demandent désormais un numéro de mobile pour des codes de validation. Alors il reste la sobriété heureuse… Faire durer le matériel en appliquant les mises à jour correctives qui corrigent bugs et failles de sécurité, et en évitant soigneusement les mises à jour constituées uniquement de nouvelles fonctionnalités inutiles. « Si les services numériques sont éco-conçus dans un esprit de légèreté et sobriété numérique, alors on peut conserver l’appareil plus longtemps. »
L’outil le moins impactant sera toujours celui que l’on n’achètera pas. A défaut, il reste l’appareil reconditionné. « Pour que les gens achètent plus facilement ce type d’appareil, il faut encadrer plus strictement le reconditionnement pour garantir au consommateur qu’il ne sera pas arnaqué. »
La liberté est également synonyme de moindre coût, en n’étant pas captif d’un système propriétaire, en privilégiant les logiciels libres et Open source. Pour une utilisation de bureautique, envoi de mails, et simple visualisation de vidéos, des PC d’occasion équipés de Linux (Ubuntu ou Mint) peuvent suffire. Et pour les jeunes, apprendre à utiliser un ordinateur avec un impact très faible peut se faire avec le Raspberry Pi (5) ; la Framboise minimaliste pour moins de 50 euros, à l’impact environnemental très faible. Côté papier, l’impression des textes n’est pas toujours utile ; mais si besoin, elle peut se faire recto-verso sur du papier recyclé. Bref, les solutions existent, sans oublier que le seul appareil numérique responsable c’est celui que l’on ne possède pas.
A lire : Sobriété numérique : les clés pour agir, Frédéric Bordage, éditions Buchet-Chastel, 2019.
(1) « iNUM : impacts environnementaux du numérique en France », étude réalisée par un collectif d’experts, téléchargeable gratuitement sur le site www.greenit.fr
(2) www.greenit.fr/2020/02/07/obsolescence-programmee-apple-condamne-a-25-millions-deuros
(3) Le bluff technologique, Jacques Ellul, édition Poche.
(4) www.greenit.fr/2020/07/13/5g-quels-seront-les-impacts-environnementaux