Algérie : la Transition énergétique accède au gouvernement

Le remaniement opéré dans le gouvernement le 23 juin 2020, a donné à l’Algérie son ministère de la Transition énergétique, associée aux énergies renouvelables.

par M’hamed Rebah

Le Pr Chems Eddine Chitour, ministre algérien de la transition énergétique (portrait officiel)

Ce ministère a été confié au Pr Chems Eddine Chitour, dont l’engagement dans cette voie est indéniable. Visiblement pas très à l’aise au poste de ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique qu’il occupait, il évolue maintenant dans un monde qu’il connaît parfaitement.

Avant d’entrer au début de cette année, dans le premier gouvernement formé par le président Abdelmadjid Tebboune, qui venait d’être élu à la tête du pays, le Pr Chitour dirigeait le laboratoire de valorisation des énergies fossiles à l’Ecole nationale polytechnique d’Alger (ENPA), tout en militant pour la…sortie des énergies fossiles. Il s’est distingué, entre autres, en organisant chaque 16 avril (Journée de la Science en Algérie), depuis quelques années, la Journée de l’Energie, pour offrir un cadre d’échange d’idées aux spécialistes et experts de la transition énergétique et des énergies renouvelables. En avril 2018, l’intitulé du thème de la Journée de l’Energie, annonçait tout un programme: « transition énergétique pour un modèle à 50% durable ». C’est dire que le Pr Chitour sait ce qu’il doit faire dans un domaine encore inconnu pour le commun des Algériens.

Par quoi commencer ? La question est réglée. Avant qu’il ne dévoile sa feuille de route, le Président de la république lui a fixé la ligne à suivre et même la priorité : le ministre de la Transition énergétique et des Energies renouvelables devra « focaliser, dans son programme, sur les opérations de production des énergies renouvelables à même d’être concrétisées sur le terrain et choisir des wilayas pilotes pour l’élargissement de l’expérience de transition énergétique, à commencer par la généralisation de l’éclairage public à l’énergie solaire dans tout le pays ». C’est dans le communiqué du Conseil des ministres réuni le 28 juin, le premier après le remaniement du gouvernement.

Dans l’immédiat, il n’y aura pas place pour les débats académiques sur la « consistance » de la Transition énergétique. Le temps est à l’action. « Nous sommes dans une véritable course contre la montre ». C’est le président Tebboune qui le dit. Ce qui est attendu du ministre, ce sont des actions sur le terrain, autrement dit du concret; plus précisément, la production d’électricité d’origine solaire, pour alimenter l’éclairage public. C’est un objectif auquel le président Tebboune tient. Le 8 mars, en Conseil des ministres, il avait déjà donné des instructions dans ce sens. L’éclairage public est la plus importante source de consommation d’énergie au niveau local.

Ce même Conseil des ministres (8 mars 2020) a introduit l’énergie nucléaire dans le projet énergétique pour la production d’électricité, sous réserve de maîtrise de la gestion et du traitement des déchets nucléaires. Le lancement de la première centrale électrique fonctionnant à l’énergie nucléaire est fixé à 2035. Le charbon est-il toujours retenu comme source de production d’électricité ? Il y a quelques années, un haut responsable du secteur de l’Energie avait estimé à 20 % sa proportion dans la consommation des sources d’énergie en 2030. Aucune indication officielle n’a permis, depuis, de confirmer cette prévision.

Motif de satisfaction pour les écologistes : plus personne ne parle de gaz de schiste. Mais il faut attendre de connaître les intentions du nouveau ministre de l’Energie, Abdelmadjid Attar, qui n’a pas paru franchement hostile au gaz de schiste, à la différence de ses collègues au gouvernement, Chems Eddine Chitour et le ministre de l’Industrie, Ferhat Aït Ali Braham, qui ont exprimé publiquement leur opposition à cette option.

Pour l’heure, l’état des lieux s’impose au Pr Chitour. Un programme national de développement des énergies renouvelables existe avec ses objectifs et ses échéances, adopté en février 2011 et rectifié en mai 2015 ; des filières de formation à divers niveaux préparent aux métiers des énergies renouvelables, des promotions qui sortent chaque année à la recherche d’emplois, en plus d’une nouvelle Ecole nationale supérieure des énergies renouvelables; des entreprises, publique comme Enie (Entreprise des industries électriques et électroniques) et quelques autres privées, produisent de l’équipement solaire ; des structures, à commencer par l’APRUE (Agence pour la rationalisation de l’utilisation de l’énergie) qui remonte à 1985, jusqu’au commissariat aux énergies renouvelables récemment créé, sont opérationnelles; un cadre juridique à compléter… .

Côté réalisations, selon un bilan établi en janvier 2020, les capacités installées en Algérie en énergies renouvelables, depuis 2010, sont estimées à 390 mégawatts, répartis ainsi : 25 MW en solaire thermique de la centrale hybride solaire-gaz, à Hassi R’mel, et 21 centrales solaires photovoltaïques dans le Sud et les Hauts Plateaux, d’une capacité totale de 343 MW, une centrale pilote multi-technologies de 1,1 MW à Ghardaïa, une ferme éolienne de 10,2 MW installée à Kabertène (Adrar) et une centrale solaire photovoltaïque de 10 MW à Ouargla, en plus d’installations de petites capacités dans des sites isolés, écoles, édifices publics, stations-service, pompage solaire, éclairage public et autres, toutes financées par le Trésor public.

Le Pr Chitour devra mobiliser les compétences nationales, certes rares, mais qui sont en mesure de « penser et agir local », une démarche qui convient à la dimension écologique, et surtout aux énergies renouvelables, contrairement au principe de « penser global et agir local », bon pour les discours. Le ministre sait qu’il peut compter sur les médias et le mouvement associatif. Le chemin sera long. Le ministère de la Transition énergétique et des énergies renouvelables est « logé » Route des Quatre Canons, au centre d’Alger, dans l’immeuble qui abrite depuis le début des années 2000, le ministère de l’Environnement. Est-ce le grand ministère de la Transition écologique qui est en perspective ? On verra.

En attendant, le ministère de l’Environnement pourra se recentrer sur sa mission principale, après avoir été chargé du poids de départements supposés être connexes : collé (puis décollé), jamais de façon heureuse, successivement à l’Aménagement du Territoire, la Ville, le Tourisme, les Ressources en eau, et depuis mai 2017 aux Energies renouvelables jusqu’à ce 23 juin 2020.

Cet article a été publié dans La Nouvelle République (Alger) du jeudi 2 juillet 2020.