Pour une révolution dans la mer. De la surpêche à la résilience par Didier Gascuel. Préface de Isabelle Autissier

En filigrane de tout le livre se pose la question : serons-nous capables d’être des prédateurs intelligents plutôt que des prédateurs cupides ? Ainsi à rebours de ceux qui constatent que l’humanité vide en quelques décennies la mer de ses poissons et qui, de ce fait, préconisent un arrêt de la pêche du poisson sauvage au profit de l’aquaculture, Didier Gascuel, professeur en écologie marine à l’Agrocampus Ouest de Rennes, démontre que l’inverse est préférable : plutôt la pêche que l’aquaculture. Après un rappel historique qui démontre que, contrairement à une idée reçue, selon laquelle la surpêche serait un phénomène récent, l’humanité a toujours pillé les ressources marines à sa portée, au risque de la destruction de la ressource. La seule différence est que les technologies actuelles impactent autant le cœur de l’océan que les côtes.

Tout ceci n’est pas inéluctable, il faudrait modifier la logique d’exploitation en cours. Celle-ci est basée sur des objectifs de rendement maximum durable pour définir des quotas de pêche. Alors qu’en réduisant l’effort de pêche, en particulier des plus gros prédateurs, il est possible d’obtenir un meilleur rendement économique. C’est-à-dire que dans nos océans écologie et économie vont de pair. Sur le plan sociétal, le corollaire est également qu’à l’opposé de la démarche actuelle qui consiste à sans cesse accroître la prédation de certaines espèces par une augmentation de la puissance des bateaux et des outils de pêche, il faudrait préserver la pêche artisanale et raisonner au niveau d’un territoire et de toutes ses espèces. Il nous incite à aller vers ce qu’il appelle une pêchécologie, c’est-à-dire « Penser local et agir global ». Il inverse ainsi le slogan de René Dubos parce que les écosystèmes sont interconnectés et qu’il faut faire émerger des principes universels pour les adapter aux réalités locales à l’aune d’un bien commun. L’intérêt particulier doit s’inscrire dans des dynamiques collectives qui construisent une régulation mondiale.

Et comme nous sommes tous des acteurs potentiels, il nous invite à 1) accorder beaucoup d’attention aux campagnes de sensibilisation et de boycott des ONG environnementales, 2) éviter ou limiter notre consommation de poissons d’élevage ou sinon prendre du poisson bio, 3) consommer local, 4) regarder les étiquettes pour n’acheter que des poissons pêchés avec des filets, des lignes ou des casiers et ne pas prendre ceux capturés avec des dragues ou des chaluts, 5) encourager le développement du marché de la consommation humaine des petites espèces (sardine, maquereau, anchois…) pour réduire leur emploi comme farines de poisson, 6) pour les grandes espèces, privilégier les gros spécimens pour inciter à augmenter les tailles minimales légales de capture. Enfin, limiter notre consommation de poisson en les consommant comme des produits festifs que l’on paiera un peu plus cher pour couvrir les surcoûts de la durabilité. Un autre intérêt de ce livre réside dans le fait que, pour la plupart des analyses présentées, il serait possible de remplacer le mot « pêche » par les termes « agriculture » ou « alimentation » pour constater que ce qui est vrai dans la Mer l’est également sur Terre.


Éditions Actes Sud, collection Domaine du possible, 544 pages, 19 € – www.actes-sud.fr
Contact presse : Émanuèle Gaulier. Tél.: 01 55 42 63 24 – e.gaulier@actes-sud.fr
(Jean-Luc Fessard)