« Visions chamaniques, territoires oubliés » : un film qui nous invite à reconsidérer le monde

Qu’annonce un film sur l’initiation chamanique ? Nous invite-t-il à reconsidérer la beauté du monde ? Ou simplement le monde ?

par Jane Hervé

Ces présentes « visions chamaniques » sont perçues par la caméra réaliste de David Paquin. Elles dévoilent essentiellement l’initiation d’une femme – Stéphanie Lemonnier – au rite du bois sacré de la culture des Fangs (en Afrique centrale). Un périple porté et entretenu par les femmes paisibles et rassurantes de cette tribu gabonaise afin de pénétrer un autre monde, celui où toute action humaine émane et renvoie à la Nature, à la Terre-mère, à notre origine. Cette initiation par le monde des plantes récoltées et de l’arbre sacré iboga permet la révélation de ce monde qui révèle en même temps l’initiée à elle-même. Renvoyant à la naissance de l’être et du monde, elle révèle une pensée avec d’autres perceptions par le biais de l’émotion : la Voie du Coeur. Le rite commence avec la récolte des plantes de la forêt, progresse avec leur préparation et conduit à l’absorption de la potion secrète. Il est rythmé par l’eau dont l’initiée s’asperge régulièrement au fil de sa démarche selon un geste rituel. La musique d’arc-en-bouche (mougongo), de la harpe sacrée est jouée par des hommes également sereins. Des chants sacrés (icaros) émergent. Un délire de « joie » se manifeste à travers la transe dansée de plus en plus profonde.

Au terme de ce travail documentaire, fait sans volonté exhibitionniste de l’initiée (et trois autres témoins), la culture première des Fangs, liée à la nature vraiment sauvage (la seule qui soit vraiment la Nature), se distingue clairement de la nôtre qui n’approche qu’une nature domestiquée, massacrée, polluée. Il apparaît que le « sauvage » qui est en nous se manifeste et s’affirme, élargissant à la fois notre vision du monde et celle de nous-mêmes. Dévoyés par une autre culture révélant tant de différences, nous comprenons que le mythe (arbre sacré) sert justement de lien entre les forces de la Nature ou des esprits et celles qui sont au fond de nous. En ce cas, l’identité noire qui est transmise par cette expérience privilégiée (ni religieuse, ni guerrière) vaut pour tous, donc nous (les Blancs) ! Une tel dialogue entre l’Afrique et l’Europe révèle que la première peut apporter une forme de « bonheur » – dixit le flyer et l’attitude dynamique des Fangs présents à l’avant-première – car elle n’a pas rompu ce cordon ombilical la reliant à la nature. Nous habitons désormais le monde. Une telle joie pourra-t-elle participer à notre avenir ?ou à la quête d’un nouvel avenir nous réconciliant à notre passé. Cette dramaturgie du « bonheur » suggère–t-elle un monde possible à venir ? Parce qu’elle propose un « état de conscience » que « nous ne percevons pas au quotidien » (Carlos Castaneda) car la modernité l’a largement écarté au profit d’autres forces. Une manière d’habiter le monde dans l’harmonie. Une chamane du Pérou (Shipibo-Conibos) et une spécialiste, Sandra Ingerman, offrent leurs témoignages et analyses.


Un tel besoin de réconciliation avec les forces de la nature se retrouve dans un autre film récent en décalage avec la vie contemporaine : Un monde plus grand, de Fabienne Berthaud. Il décrit une initiation chamanique en Mongolie. L’initiée originelle (Corine Sombrun) a accepté que les scientifiques des neurosciences étudient le fonctionnement cognitif de son cerveau pendant l’initiation. Penser le monde autrement, n’est-ce pas ce que le drame écologique présent va nous contraindre à faire ?





Ci-dessous, la bande-annonce de Visions chamaniques, territoires oubliés.

 

Sortie dans les salles le 11 mars 2020. Pour en savoir plus, rendez vous ici sur le  site de Jupiter films.