Des vaches à notre image et réciproquement

« Je ne suis pas une écolo, je pollue, C’est mon métier. » (p. 107)
« Je suis en train de devenir une écolo. Je n’utilise pas l’avion et je ne prends plus ma voiture pour aller travailler. » (p. 109)
Voici en deux phrases nichées au milieu du livre Les vaches aiment le yaourt, le terrible dilemme de chacun de nous en ces années de « transition écologique » : être ou ne pas être écolo.

par Michel Sourrouille

L’auteure de cet ouvrage, Anne Galais, est éleveuse de vaches, soumise aux affres du productivisme et poussée par la nécessité d’alimenter les grandes surfaces : il faut bien nourrir notre boulimie de yaourts et de viande. Elle en a fait un roman qui colle de près à son quotidien. Fini le paysan qui, de générations en générations, reproduit des techniques ancestrales. L’innovation est son quotidien, sa principale préoccupation est de chercher les meilleurs rendements, la sélection génétique est désormais au cœur de son métier. Ce n’est plus une cloche accrochée au cou des vaches, c’est un appareillage informatique.

Être ou ne pas être écolo ? Anne Galais a raison, polluer est notre métier à tous. Dans un système qui ne repose plus sur la quasi-autarcie des campagnes, chaque activité humaine nous fait dépendre d’un flux de biens et de services venus d’ailleurs. Qu’on produise ou qu’on consomme, on pollue, on rejette des gaz à effet de serre, on ponctionne des ressources naturelles en voie de raréfaction, on prend tous conscience que cela n’est pas durable et qu’il nous faudrait changer.

Tâche difficile, impossible, nous sommes prisonnier d’un système où il faut courir toujours plus vite pour rester concurrentiel ou pour se payer le dernier gadget à la mode. Société urbanisée et sur-développée, consommation carnée de masse, donc production de masse et élevage en batterie. Qu’on se le dise, les vaches sont comme les humains… et réciproquement. Les vaches sont comme nous, des animaux, la gestation dure neuf mois dans l’un comme dans l’autre cas. On arrache les veaux à leur mère peu après la naissance, il faut mettre les enfants à la crèche dès qu’ils marchent sur deux jambes, ou même avant. Les centrales d’achat et les administrations aiment les chiffres et les gens captifs. Les vaches portent un numéro d’identification dès la naissance pour assurer la traçabilité. Pour nous, c’est le numéro de sécurité sociale. On ne les appelle plus par un joli petit nom, c’est devenu un matricule. C’est aussi notre lot commun, quand nous sommes sommés d’énoncer tous les numéros de notre carte bancaire. Les vaches sont entassées dans un grand hangar, les humains s’amoncellent dans leur HLM. Les humains préfèrent leur cage, qu’en pensent les vaches ?

Nous avons rencontré Anne Galais. Elle aime ses vaches et son métier. Elle n’aime pas les mots productivisme et agro-industrie. Elle a voulu présenter sa situation professionnelle comme un yaourt, un mixte de choses à bien savourer. Mais elle est comme nous, soumise avec son élevage à un système agro-industriel qui nous broie. Elle attend de voir ce qui va se passer, coincé comme elle l’est par les diktats de la PAC (Politique agricole commune) et du marché. Si on lui demande de faire du bio, elle fera du bio, pour le moment elle s’occupe d’un élevage intensif, bien plus qu’une centaine de vaches à viande. Elle a abandonné les laitières car on a abattu tout son troupeau. Elle explique le mécanisme morbide dans son livre. La vache 8452 avait présenté à l’analyse vétérinaire une lésion tuberculeuse. La France se voulant indemne de cette maladie à moins de 1 % à l’exportation, il était obligatoire d’amener à l’abattoir le troupeau entier… même si on ne trouve qu’un seul cas positif. On ne peut pas tricher, les services sanitaires connaissent toutes les vaches, chacune est enregistrée sur une base informatique. C’est évident, les humains sont comme des vaches, des vaches à lait pour engraisser le système et nourrir les GAFA.


Si vous voulez mieux comprendre la condition réelle et imaginée des éleveurs, lisez le livre d’Anne Galais, Les vaches aiment le yaourt (2019), en auto-édition, à commander sur ce lien , 7 euros et 30 cents pour 214 pages.