Un peu d’amabilité, messieurs les spécistes par Michel Cros

Voici une tribune d’un adhérent JNE très engagé dans la défense de la condition animale.

Récemment, je passai quelques jours à la campagne, logé dans un petit ermitage chez des amis, observant les chiens qui quémandaient leur nourriture quotidienne. Une pensée me vint soudain à l’esprit : « c’est pour prendre soin d’eux. Ils ont besoin de nous ! »… Et je rajouterai maintenant, c’est pour mieux apprendre à vivre avec eux, car nous savons très peu sur la relation Homme-Animal et ce, malgré quelques avancées grâce à la recherche scientifique !

Qu’ils soient domestiques ou sauvages, les animaux ont plus que jamais aujourd’hui besoin de notre aide pour survivre. Dans son allocution pour la remise des prix du diplôme de droit animalier au Campus universitaire de Brive, Gérard Charollois, alors parrain de la promotion 2017, rappelle avec émotion un souvenir de lecture ayant marqué son enfance, avec Le Merveilleux Voyage de Nils Holgersson à travers la Suède, « les animaux sauvages n’ont pas sur la terre un seul endroit où se reposer, et l’oie sauvage demande alors à l’homme de lui réserver meilleur accueil, de lui trouver des havres de paix ». Un livre d’une grande source d’inspiration pour nos vies, en conclut le juriste.

Nous pourrions peut-être aussi nous demander, nous citoyens des métropoles (car je ne parle pas de ceux qui chassent pour leur subsistance) si nous pourrions avoir également besoin des animaux, autrement que pour nous nourrir ?

Certes, du point de vue du chasseur lambda, cette réflexion semble ne pas fonctionner. Pour eux, les animaux sont fait pour nous alimenter ! Beaucoup de gens (même non-chasseurs) continuent d’ailleurs à croire qu’ils ne souffrent pas. Voir pour cela le film document de Kate Amiguet.

Une récente lecture m’a beaucoup interpellée. Dans son livre sur les animaux Mon animal et moi, Marta Williams, experte en communication animale, raconte l’histoire d’un homme alcoolique qui avait un chien bien particulier. Celui-ci avait une attaque chaque fois que son maître s’adonnait à l’alcool. Au début, cet homme ne comprenait pas ce qui se passait et se contentait d’amener son chien à la clinique vétérinaire qui diagnostiquait la même attaque cardiaque.

Après plusieurs urgences du même type, cet homme comprit le lien entre la crise cardiaque, son chien et son addiction à l’alcool ; car ça se passait toujours au moment où il buvait. Difficile d’y voir une coïncidence. C’est la famille de cet homme qui se réjouit le plus de ce résultat car l’homme s’arrêta de boire. La vie des animaux est remplie d’anecdotes souvent déconcertantes à l’égard des êtres humains.

Encore faut-il y croire, mais le monde de la chasse n’est pas prêt à l’entendre sous l’angle de l’empathie.

Au-delà des affects partisans qui n’ouvrent pas à un dialogue positif, tournons-nous vers la science.

Si nous prenons vraiment conscience de la souffrance animale, ce qu’ils ressentent, nous arrêterions sur le champ de les faire souffrir et de les exploiter. Car en cela, ils nous ressemblent.

Il suffit pour cela d’écouter les chercheurs tel Georges Chapouthier (JNE), philosophe et biologiste, qui nous éclaire en 13 minutes chrono sur la condition animale. Les preuves sont là, pourquoi ne les acceptons-nous pas ?

Nous savons maintenant grâce à de récentes études scientifiques sur la conscience animale, que les animaux ont, tout comme nous, des émotions et pour certains même entrevoient le futur Voir pour cela l’excellent ouvrage collectif d’expertise scientifique réalisé par l’Inra à la demande de l’Autorité européenne de sécurité alimentaire édité chez Quae, La conscience animale. Cette conscience animale bien connue des peuples premiers, qui communiquent depuis les temps les plus reculés avec les animaux au même titre que tout être vivant sur la planète.

Ce n’est pas parce qu’ils ne peuvent pas parler et qu’ils ne communiquent pas comme nous, que l’on doit conclure à l’absence de « langue animale ». Ils ont leur propre langage, comme le précise la zoosémiotienne Astrid Guillaume dans des études en cours sur la zoosémiotique. Qu’ils soient volatiles, reptiliens ou amphibiens, tous les animaux communiquent à leur manière et bien souvent à des milliers de kilomètres de distance comme les baleines et cela sans besoin de de technologies aussi avancées que les nôtres.

Alors pourquoi tant de carnage, pourquoi fermer les yeux sur cette course folle d’exploitation en série orchestrée par les firmes industrielles agro-alimentaires ?

Pour quelles raisons cela ne s’arrête-t-il pas, si prise de conscience il y a !

Parce que nous les mangeons ?!? Oui certes, c’est en effet une des raisons, mais est-ce bien la seule ?

Le souvenir d’un camion-benne rempli de viande invendue un soir de promenade nocturne m’oblige à penser le contraire. Je crois fermement que cette chaîne morbide sur l’animal continuera de tourner même si les hommes devenaient végétariens. Il est si « facile » de les exploiter, d’en faire barquettes et croquettes pour nos chers « pets and cats » ou autres animaux domestiques …

Ce marché juteux échappe à la trappe médiatique !

Donc, cet appât du gain est à mes yeux le facteur rentable et inavoué du commerce des animaux.

On peut certes l’attribuer à l’ignorance, au manque d’éthique, au non-respect de la vie, etc. Mais même si l’éthique animale prend forme un jour dans nos constitutions, assurons-nous que le commerce animalier soit réprimé comme il le fut au sein de l’espèce humaine avec l’abolition de l’esclavage.

Cela aidera la société civile à établir de nouvelles relations de droit entre l’humain et l’animal.

L’acte d‘adopter un chien ou un chat est aussi important qu’adopter un enfant car c’est un être vivant qui entre dans la vie familiale. Cela peut avoir certaines conséquences, cela s’appelle le lien qui permet à l’animal de devenir « sentinelle » et de prévenir certains sévices dans la famille.

Certains pays l’ont bien compris, comme la Suisse qui demande à l’acquéreur de signaler chaque année la santé de son animal via son passeport.

Cela me fait penser au chat de ma tante qui a mordu son pied par vengeance des bastonnades qu’elle lui infligeait. Cajolé par mon oncle jusqu’à son décès, ce chat fut délaissé par ma tante qui en fut tellement jalouse qu’un jour, elle l’enferma dans la cave afin de ne plus entendre ses miaulements de faim. Puis un jour, alors que sa sœur vint la voir, elle décida d’ouvrir la porte. Et là, le chat se rua de rage sur son pied et lui pénétra sa canine fine comme une aiguille dans son orteil.

Cette anecdote nous montre à quel point nous sommes bien ignorants sur ces animaux « sans voix » qui souffrent aussi et je m’interroge de plus en plus sur l’avenir d’une civilisation qui a oublié ses racines sauvages au sens noble du terme, pour s’orienter vers la marchandisation des animaux.

N’est-ce qu’une fixation de notre striatum** habitué à jouir toujours plus de la manne animale ?

Que de progrès techniques réalisés depuis la révolution industrielle pour peu de reconnaissance en amour ! Deux pensées résonnent continuellement en moi, celle de Léon Tolstoï qui a dit « tant qu’il y aura des abattoirs, il y aura des champs de bataille » et celle d’André Malraux « le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas ». Alors, que voulons-nous léguer à nos enfants ?

Si l’âge de l’animal-machine si cher à Descartes est désormais révolu, on peut se demander pourquoi un tel mécanisme continue à subsister dans l’esprit de bien de gens.

Pour ceux qui en doutent encore, visionnons un passage du film I AM réalisé par Tom Shadyac.

Dans un petit dessin animé, on voit un garagiste démonter le moteur de sa voiture en panne et redémarrer sans problème après l’avoir remonté. Vous m’en direz tant avec votre animal préféré. Votre chien, une fois recousu, est foutu !… Au-delà du burlesque satirique de cette scène, la prise de conscience est nécessaire une bonne fois pour toutes; nous ne pouvons plus aujourd’hui, au regard de ce que dit la science, faire n’importe quoi avec ces personnes dites non humaines !

C’est prouvé, vérifié et même inscrit dans notre ADN, dit le narrateur-réalisateur du film.

Nous, êtres vivants humains et non humains, sommes faits pour nous entraider et non pour nous exploiter, voire nous exterminer. Même si des exemples montrent le contraire. De tout temps ,des gens de bon sens ont parlé de ce lien secret avec l’animal ; un lien invisible mais bien réel que certains réfutent encore.

Si certains d’entre nous ont eu un jour à faire leur expérience du sacré avec le monde animal, qu’elle fut modeste dans le quotidien avec son chien ou son chat ou grandiose à l’instar des photographes comme Vincent Munier avec les loups ou Sebastiao Salgado avec les gorilles…. Chacun d’entre nous a pu prendre conscience de cet élan altruiste qui s’extériorise naturellement dans des situations parfois difficiles. Alors pourquoi ne pas l’actualiser dans notre vie quotidienne ?

Est-ce par peur du ridicule de se retrouver visage découvert tel que nous sommes, nu face au miroir, ou avons-nous tout simplement oublié que nous avons tous ce même coeur pour aimer ?

Récemment, un militant du Parti animaliste m’a raconté une anecdote survenue lors de son voyage en Pologne qui a retenu mon attention.

Cette personne qui était venue assister à un colloque sur la non-violence organisée par l’université Paris 13, me déclara sa surprise lorsqu’il s’arrêtait pour faire le plein, à chaque station-service. Près de la porte, il pouvait voir une gamelle d’eau à l’attention de nos « amis à quatre pattes ».

Il n’y a pas de Parti animaliste en Pologne, ni de quelconque ministère à la condition animale, ni d’ONG ayant recommandé un tel service. Pourtant, cette simple attention envers ces personnes non-humaines témoigne d’une grande sensibilité. Cette simple marque d’attention fait de nous des êtres humains.

En France, il n’y a toujours pas de gamelles remplies d’eau dans nos stations-services, mais il y a un Parti animaliste créé en 2016 par des citoyennes et citoyens qui estiment que le temps est venu de porter au vote la voix des animaux. Cela peut surprendre certains, tout comme cet éleveur français prêt à débattre de la question avec Me Hélène Thouy, tête de liste du Parti Animaliste aux élections européennes, invitée sur le plateau des Grandes Gueules de RMC. Le débat aurait pu être bien mené, mais le ton de l’éleveur (voulant défendre son beefsteak !), quelque peu déplacé, s’est malheureusement laissé emporter par ses convictions personnelles. Ce qui me fit réagir et revenir sur cette condition animale qui a fait l’objet de l’excellent colloque organisé par les JNE, réunissant des spécialistes que cet éleveur pourra réécouter à sa guise sur notre site afin de réajuster ses affirmations erronées.

La France a aboli la peine de mort pour tous les êtres humains. Pourquoi autant de violence à l’égard des animaux domestiques ou sauvages. Pour quelles raisons ce pays ne pourrait-il pas grandir en conscience sur la question animale ? L’ASPAS, dans son communiqué du 6 juin 2019, nous alerte sur l’absurdité de l’État qui s’apprête à autoriser le massacre de 2 millions d’animaux dits nuisibles. A quoi servent nos savants qui nous éclairent sur d’autres alternatives non violentes et souvent pérennes pour l’écologie ?

Dans son livre Expérimentation animale entre droit et liberté, le professeur Jean-Pierre Marguénaud rappelle que la Cour européenne des droits de l’Homme, par son arrêt du 30 juin 2009, a stipulé que « la protection animale est désormais un sujet de discussion d’intérêt général face auquel il n’y a pratiquement plus de place pour des restrictions à la liberté d’expression ».

Un de nos confrères JNE, Yves Thonnérieux, a mis en ligne sur notre site une vidéo d’archive de l’INA fort intéressante de l’acteur Michel Simon s’inquiétant de la disparition des animaux empoisonnés par les intrants chimiques dispersés dans la nature par ce qu’il nomme déjà « la prolifération de l’être humain ». Je l’en remercie car ces quelques paroles du célèbre comédien, datant de 1965, répondent à mon sens, enfin aujourd’hui aux interrogations d’un « pourquoi un Parti dédié aux animaux » dans l’échiquier politique européen qui s’est trop longtemps focalisé sur l’Homme. Saluons ce jeune mouvement politique qui ose dire que s’occuper en priorité de la cause animale, c’est aussi s’occuper de l’humain et de la planète.

Juste un peu d’amabilité, messieurs les spécistes.

Bien à vous !

* Le Merveilleux Voyage de Nils Holgersson à travers la Suède (titre original : Nils Holgerssons underbara resa genom Sverige) est un roman suédois écrit par Selma Lagerlöf.

** Sur le striatum, lire le livre de Sébastien Bohler, Le bug humain, pourquoi notre cerveau nous pousse à détruire la planète et comment l’en empêcher, aux Editions Robert Laffont, 2019.