Avec François Terrasson, même pas peur de la Nature !

 


par Christian Weiss
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Au fil de sa vie, François Terrasson, l’enfant des bouchures, du bocage et du pays de Tronçais, n’a eu de cesse de porter haut et fort une parole libre de tout dogme, de tout parti, de toute association, même de celle qu’il avait cofondée (les JNE !), traquant les contradictions, les idées reçues, les postures, les E.C.M., les éléments de conditionnement mental – si insidieusement imprégnés au plus profond de notre inconscient. Il a analysé et psychanalysé tout ce que notre civilisation a mis en œuvre pour détruire la nature.

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Les débats étaient souvent vifs avec ses contradicteurs ou ceux qui s’imaginaient être dans ses pas : le « bounome » ne transigeait pas avec l’intégrité de la philosophie dont il était porteur, le respect de la Nature. Il nourrissait ses idées et ses écrits des rencontres et des observations qu’il partageait à travers le monde avec des représentants de toutes les cultures, proches ou éloignées de la nature.

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Militants écologistes, nous poursuivions sur notre lancée, persuadés d’être du « bon côté », « amis » d’une nature qui avait tellement besoin de nous, et qui attendait à n’en pas douter, que nous l’assistions, que nous la protégions et même que nous la caressions, puisque qu’elle avait comme patronyme «Bambi » ou « Flipper ». Nous nous battions alors pour que soient créés des réserves naturelles et des « sanctuaires » afin que plus personne ne puisse plus Lui faire de mal, à Notre chère Nature … avec en prime, une rédemption mue par un sentiment de culpabilité, « gardien » moraliste de notre éducation.

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Cette attitude condescendante a entraîné une partie des représentants associatifs vers une posture conservationniste, aux dépens de la préservation. Sur le modèle des peuples premiers, contraints de vivre dans des réserves, « l’apartheid » de la Nature s’est formalisé : on l’a enfermée pour mieux la contrôler, et hors de ces limites, elle n’avait pas de valeur.

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Concentrés sur cette nature extraordinaire, la plupart des partisans du conservationnisme négligent la biodiversité de la nature ordinaire. Celle-ci s’artificialise et se dégrade dans l’indifférence générale, sur les délaissés des trottoirs et des routes, au bord des champs et des prés, sur les talus des chemins où les haies sont arasées et plus généralement sur l’ensemble du maillage paysager que les paysans d’antan intégraient à leurs usages ruraux sans mot dire, et dont François se faisait l’historien subtil et populaire. Élus et associations conservationnistes ont réduit en peu de temps notre indissociabilité avec la Nature au concept de « gestion écologique », l’abandonnant aux « experts » et aux analystes numériques des géométries fractales.

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À présent, ce que tu anticipais arrive, François : la biodiversité s’érode, partout, et les espèces spécialisées se font rares, surtout dans les campagnes et en ville, des arrêtés préfectoraux déclassent des espaces boisés « protégés » ou naturels, soi-disant dans l’intérêt (économique) général. Les grandes associations historiques, circonvenues par le mécénat d’entreprise, prétendent gérer la nature en validant les mesures compensatoires dans leurs prospectives environnementales.

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On traite ainsi faune et flore comme des réfugiés politiques – chassés de leur territoire – sans admettre qu’ils sont associés aux sols, à des assemblages infiniment complexes, et à des interactions fragiles. Des massifs forestiers domaniaux sont aujourd’hui gérés comme des « champs d’arbres » par les technocrates de l’ONF qui ne tiennent pas compte de l’avis des agents de terrain qui voient l’anéantissement des écosystèmes microcosmiques garants de la pérennité sanitaire du milieu et des co-évolutions de ses hôtes. L’écologie politique a perdu ses racines naturalistes en chemin et s’est engouffrée dans la course au pouvoir politicien, dissociée de la vie réelle, des couleurs et des parfums des saisons et des compétences des militants.

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François Terrasson (à g.) et Christian Weiss – photo @ Charles Crié

Alors, amis et amies, restons tournés vers une écologie intégrée à notre vie, nourris de tout ce qu’a imaginé et élaboré Terrasson, des « nuits debout » qu’il organisait – avant celles de la Place de la République, et que nous savourions avec crainte, lâchés au cœur de la forêt pour mieux nous confier au petit matin. Je le revois, goguenard, bienveillant, écouter confidences et angoisses. Ne perdons pas la mémoire des beuveries apicoles et des rencontres estivales aux lisières des nids de ronce et d’églantine du Moulin de Rossigneux, où « Françoié » évoquait avec tendresse les « aigriculteurs » berrichons ou « le dernier r’nard » tué par un chasseur ignorant … Renouvelons ces bacchanales dans la nature, sans relâche, partout.

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Enfin, continuons d’explorer et de relire ses ouvrages publiés au Sang de la Terre. Pas de doute, la nature n’a pas besoin de nous, c’est nous qui avons besoin d’elle pour vivre ensemble et partager ses lumières, ses musiques et ses parfums … Même pas peur !

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Membre de très longue date des JNE, Christian Weiss est enseignant, biogéographe, conférencier, auteur, chercheur, journaliste et chargé de mission Eau FNE Ile-de-France. Cet édito n’engage que son auteur.

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Un événement à ne pas manquer 10 ans depuis que François Terrasson poursuit son voyage avec les Tanuki (les « esprits de la forêt » au Japon)

10, 11 et 12 juin 2016

Colloque Festival «  Même pas peur de la Nature » en hommage à François Terrasson à Fontainebleau/Avon

http://connectedbynature.org/?page_id=1264

http://connectedbynature.org/?page_id=1275

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