Les JNE à la ferme du Bec Hellouin


Nous étions quinze ce 8 septembre 2015 à nous rendre à la ferme du Bec Hellouin menée en permaculture. Certains n’ont pas hésité à venir de loin : Menton, Nice, Lausanne… pour cette rencontre-visite avec Charles Hervé-Gruyer.

par Danièle Boone

Charles-Herve-Gruyer
Charles Hervé-Gruyer © Danièle Boone


Après nous avoir offert café, thé ou jus de fruits de la ferme, Charles Hervé-Gruyer s’est présenté. Ancien marin et auteur de nombreux livres et documentaires, il a sillonné le monde à bord du voilier-école « Fleur de Lampaul » et partagé la vie des peuples premiers. Perrine, son épouse, a mené une carrière de juriste internationale avant de se consacrer à la psychothérapie. Leur installation au Bec Hellouin en 2003, sur les terres du chevalier qui a créé l’abbaye en 1034, est d’abord née du désir de vivre en autonomie et de nourrir leurs quatre filles avec de bons produits. Passionnés par les rapports entre l’homme et la terre, ils imaginaient quelque chose qui prendrait le meilleur des différentes cultures. Ils ont donc créé une ferme fantasmée en osmose avec la terre dans une quête d’absolu et de beauté.

En 2006, ils adoptent le statut d’agriculteurs, une vraie gageure. Après deux années en maraîchage bio et la fonte de leurs économies, ils se lancent en permaculture en 2008 avec, toujours en mémoire, les pratiques des peuples premiers qui sont devenues des techniques phares de la ferme. Les résultats obtenus sont stupéfiants. En travaillant entièrement à la main, les récoltes sont abondantes et de qualité tout en créant en permanence de l’humus et en embellissant les paysages. Une étude agronomique menée sur la ferme par l’INRA et AgroParisTech sur cinq ans démontre que, avec de tels rendements, 1000 m2 en maraîchage biologique permacuturel sont capables de générer un emploi à temps plein, la preuve que les microfermes qui fleurissent partout dans le monde sont viables.

Maison
Maison et jardin © Sandrine Boucher


Quelques mots encore sur l’éco-centre créé en 2010 et les formations qui y sont proposés. Ce lieu unique au monde est un carrefour de rencontres et d’échanges entre chercheurs, paysans, étudiants de France et d’ailleurs qui désirent créer une agriculture capable de nourrir la planète sans la détruire. Quelques étudiants en master de l’école des Mines et autres grandes écoles qui forment les décideurs de demain participent à ces rencontres et formations. Depuis son ouverture, le centre a déjà accueilli plus de 500 stagiaires et presque tous les stages proposés pour 2016 sont déjà complets. Je pense que dans quelques années la permaculture sera enseignée dans les écoles comme en Irlande et en Australie, nous confie Charles. Mais il insiste aussi sur le fait que la ferme est le socle sur lequel tout repose et l’importance primordiale qu’elle reste une vraie ferme productive.

Campagnole
La Campagnole, un outil inventé par Charles © Sandrine Boucher


Nous passons enfin à la visite tant attendue de la ferme. On découvre d’abord la maison d’habitation au toit de chaume entourée de son potager. Charles nous présente sa brouette-atelier qui lui évite d’avoir à revenir sans cesse chercher l’outil absent, une idée astucieuse qui séduit tous les jardiniers du groupe. L’outil passionne Charles qui étudie les outils anciens et apprend à s’en servir. Il a construit une forge afin de pouvoir en façonner de nouveaux qui répondent exactement à ses besoins. Un hachoir chiné permet de couper sur place les végétaux qui enrichissent en permanence le paillage. Des billots de bois sont dispersés à cet effet sur toute la ferme. Les astuces sont au rendez-vous comme dans les plantoirs maison qui permettent le bon espacement car ici, on cultive serré. Il a notamment créé avec un artisan du coin une grelinette améliorée qu’il commercialise sous le nom de campagnole. Il faut dire qu’à la ferme, tout est fait à la main. « La présence de l’outil mécanique contraint, explique Charles. Il exclut les cultures associées telles que nous les pratiquons et qui sont à l’origine des rendements que nous atteignons. »

Rivière
La rivière traverse la ferme © Sandrine Boucher


On descend ensuite la pente naturelle qui mène à la rivière qui traverse la ferme et au bord de laquelle Charles a créé une plage. Pour lui, l’agriculture devrait être un art et laisser une place à l’intuition et la créativité. Son jardin dégage un sentiment de paix et d’harmonie. Les animaux (poules, canards, poneys, chevaux, moutons) participent à la vie de la ferme. Le chien, un Terre-Neuve qui nous accompagne pendant toute la visite, est visiblement heureux car, en plus de la rivière, il y a de l’eau partout. Vingt-cinq mares ont été creusées sur les vingt hectares de la ferme, des réservoirs de vie bénis par les villageois qui ne sont plus inondés lors des fortes pluies qui dévalaient les collines. Nous passons un pont de bois et nous voilà sur l’île. Un espace de repos et/ou de méditation central est entouré de légumes (poireaux, bettes, fenouil, panais) et de fleurs comestibles (capucine, bourrache). Mille végétaux différents sont cultivés sur la ferme.

La pause repas arrive très vite. Nous nous régalons de la délicieuse cuisine végétarienne de Fabien à base des produits de la ferme. Le chef cuisinier du Bec Hellouin prépare également confitures, chutneys, sauces et autres gourmandises qui sont vendues sur place. J’ai personnellement acheté une bouteiller d’aigrette (vinaigre) de cidre aux fleurs de sureau qui est une pure merveille. Dans cette boutique à la ferme, on peut naturellement acheter des légumes mais aussi des livres sur la permaculture.

Jardin-Mandala
Dans le jardin mandala © Danièle Boone

L’après-midi passe à toute vitesse. Nous découvrons la serre, le jardin mandala, la forêt jardin, le ramassage des pommes de terre avec le cheval… Pas de retour au Moyen Âge mais une avancée vers une agriculture sans pétrole. Si la France fonctionne avec seulement 3% de paysans, c’est parce qu’on a du pétrole. Mais est-ce une bonne solution ? 5,5 millions d’emplois d’agricoles ont été supprimés depuis 1950 or on compte aujourd’hui 5,7 millions de chômeurs. N’est-ce pas troublant?

Fertilité et exhubérance des jardins © Sandrine Boucher
Un oasis verdoyant et fertile © Sandrine Boucher


La ferme du Bec Hellouin a été installée sur des prairies artificialisées plutôt pauvre. Douze ans plus tard, c’est un oasis verdoyant et fertile. Ici, nous avons démontré qu’on peut soigner la terre tout en produisant beaucoup. La performance économique dépend de la performance écologique. Plus on renature le site, plus on a des récoltes abondantes. Il est clair que cette ferme, une des plus naturelles qui soit, est aussi une des plus productives et crée de l’emploi. Aujourd’hui, l’entreprise compte douze salariés certes y compris ceux de l’éco-centre mais, de fait, tous sont plus ou moins polyvalents!

L’heure du départ arrive bientôt. On regagne notre train tout requinqué par cette journée dont j’ai fait ici un pâle compte-rendu tant la richesse d’échanges était grande. Depuis notre visite, certaines petites phrases de Charles trottent dans ma tête: « La nature répond à notre besoin de la servir » ou encore « On prend soin de la terre et elle prend soin de nous ». Si nous avions encore quelques doutes en arrivant sur l’efficacité de la permaculture bien menée, ils se sont tous effacés.

Plus d’infos : www.fermedubec.com