« Une spiritualité responsable et solidaire avec le monde vivant »


La Révérende mère Hypandia, jeune femme lumineuse et polyglotte, d’origine chypriote et paraissant dix ans de moins que son âge réel, veille sur les dix-sept moniales venues du monde entier pratiquer leur spiritualité au Monastère orthodoxe de Solan, dans le Gard.

par Pascale d’Erm

Mère Hypandia © Christine Kristof
Mère Hypandia © Christine Kristof

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Le terme « pratiquer » revêt d’ailleurs ici une signification particulière, ancrée dans la terre, puisque les sœurs gèrent un domaine viticole et forestier de 60 hectares, en mode biologique, conformément aux conseils de leur ami Pierre Rabhi.

Élégantes silhouettes noires d’une vivacité extraordinaire, les sœurs alternent vie monastique, collective et personnelle, et travail au plus près de la nature, dans ce lieu harmonieux qui nous habite longtemps encore après qu’on l’ait quitté…

Élue supérieure de la communauté depuis 2001, à l’âge de 29 ans seulement – une fonction qu’elle assumera à vie -, la mère Hypandia exprime une joie intérieure très vive, ainsi qu’une profonde lucidité.

 

Dans quelles circonstances avez-vous été désignée comme supérieure du Monastère et comment voyez-vous votre rôle ?

La supérieure précédente ayant démissionné, conformément à la décision du père Placide Deseille, le père spirituel et fondateur de la communauté – et en accord avec notre monastère de référence Simones Petra situé sur le mont Athos – un nouveau vote eut lieu en 2001.

La procédure veut qu’il n’y ait pas de candidature, nous votons librement selon notre cœur. A l’issue du dépouillement, je fus désignée. J’avais 29 ans. Mon rôle est de veiller à offrir les conditions propices à la santé physique et spirituelle des Sœurs. Cela prend aussi en compte ce qu’elles mangent et c’est l’une des raisons qui nous ont conduit à nous convertir à l’agriculture biologique, pour notre santé mais surtout pour le respect de la création.

 

Que vous a apporté la rencontre avec Pierre Rabhi ?

En 1992/1993, au moment où notre Monastère connaissait de sérieuses difficultés économiques, on nous disait : « vous êtes folles, ne continuez pas à exploiter votre domaine ainsi ! ». Il faut rappeler qu’à l’époque, 500 petites exploitations familiales fermaient chaque année. Le contexte était vraiment difficile.

Pierre Rabhi, venu visiter le site en voisin, nous a au contraire encouragées à continuer et nous a dit : « La terre est votre avenir ». Dans la foulée, il a rejoint l’Association des Amis de Solan, où œuvrent de nombreux bénévoles qui nous soutiennent. Ses conseils pour « aller à la rencontre de notre terre » et convertir notre domaine à la permaculture, plus écologique mais également plus productive, nous furent précieux.

C’est Pierre Rabhi qui nous donna le principe directeur de la nouvelle étape, déterminante pour notre avenir : produire, transformer et commercialiser localement les produits de notre terre et de nos vignes. Nous avons donc entrepris de nous former aux techniques de la permaculture, de la vinification biologique, de la gestion forestière raisonnée, de l’autonomie alimentaire…

Nous avons investi dans une cuisine professionnelle, des chais, une cave, un forage, un système de récupération des eaux de la cave pour les épandre dans les champs… L’ensemble de notre système économique a été repensé pour privilégier les circuits courts, la préparation et la vente directe des diverses préparations issues de notre potager biologique et de nos vignes.

Pour les sœurs, venues chercher ici une cohérence entre vie matérielle et vie spirituelle, la démarche fut très enthousiasmante, même si de nombreuses difficultés jalonnèrent le parcours.

 

Comment vivez-vous votre foi dans ce lieu où l’écologie joue un grand rôle ?

Dans la religion orthodoxe, la spiritualité est considérée comme une décision de s’engager librement, et non pas comme un « appel » ou une fonction sociale à assumer. On n’invente rien, on reçoit tout.

Nous sommes donc toutes libres et déterminées, dévouées à un rythme de vie très « cadencé » en accord avec la Nature pour assumer nos tâches spirituelles (liturgie) et matérielles.

Les offices sont regroupés, ce qui nous laisse le temps de nous consacrer d’une part à notre vie intérieure, mais également au travail de la terre qui nous occupe beaucoup. Nous gérons un domaine forestier de 40 hectares, des vignes, ainsi qu’un potager, le tout en mode biologique.

Il faut souligner une fois de plus que, dans l’orthodoxie, on ne dissocie pas le spirituel du matériel : huiles, encens, lumières, matériaux de rénovation de notre lieu de vie, nature et beauté du lieu sont essentiels ; les eaux bénites ne sont pas relâchées dans la fosse sceptique et la moindre miette du pain béni compte pour nous.

Nous préférons confier notre terre à Saint Gilles, notre patron, plutôt qu’aux produits chimiques ! Ainsi, nous nous sentons vraiment partie prenante de la création, ni au-dessus, ni en dehors, mais bien au milieu. Il nous semble dès lors logique et cohérent d’exercer une spiritualité responsable et solidaire à l’égard du vivant. C’est ce que nous faisons ici et maintenant, à Solan.