Les secrets des arbres décryptés par Francis Hallé

Professeur de botanique basé à Montpellier, Francis Hallé est un spécialiste de l’arbre, et particulièrement de son architecture. Désireux d’étudier la forêt tropicale, il a lancé à la fin des années 1980 les expéditions appelées « radeau des cimes », consistant à déposer à la cime des arbres des boudins gonflés avec des filets, afin d’inventorier la biodiversité de la canopée. Voici le compte-rendu de sa conférence à l’abbaye de l’Epau (Sarthe), le 11 mars 2014.

 

par Roger Cans

 

L’animateur lui demande de définir un arbre. Hallé répond qu’il avait naguère une définition, mais qu’un voyage en Afrique du Sud l’a jeté dans la perplexité : il existe là-bas un arbre souterrain dont les racines et le tronc restent sous terre, et dont le feuillage rampe au sol, en grandes surfaces. Il avoue qu’en matière de biologie, il a commencé par les animaux. Comme dit Francis Ponge, « les animaux, c’est l’oral ; les plantes, c’est l’écrit ». L’arbre est autonome et divisible. « Avec un sécateur, je vous en fais des centaines ». L’homme, en revanche, est indivisible. C’est l’individu. L’animal se fait manipuler par les plantes, qui l’attirent par leurs fleurs et leurs fruits. Sans champignons dans le sol, pas d’arbres.

 

Les eucalyptus d’Australie ont montré la timidité des couronnes, qui ne veulent pas se toucher. L’arbre épargne ses congénères, surtout les grands. En Afrique orientale, les gazelles broutent les feuilles de l’acacia. Mais l’arbre attaqué émet instantanément un signal pour que les autres acacias dégagent des toxines afin de se préserver. Les arbres sous le vent, alertés par l’arbre brouté, échapperont au broutage des gazelles. Il existe donc une forme d’empathie chez les arbres.

 

Un phénomène curieux : dans les jardins de Kew Gardens, dans la banlieue de Londres, les chênes se bouturent au sol par leurs branches basses. En Tasmanie, il existe un arbre de 43.000 ans qui se multiplie par les racines et produit sans cesse des clones. Une forme d’immortalité. L’arbre produit aussi des déchets : la lignine, substance rigide qui forme le cœur de l’arbre.

 

En matière d’architecture de l’arbre, on connaît 22 modèles pour 70.000 espèces. Tout le monde connaît le modèle sapin, bien droit avec ses branches transversales. Pour connaître l’âge d’un arbre, nous avons chez nous les cernes de croissance. Mais ce n’est pas valable partout. Par exemple, l’hévéa fait un cerne tous les 40 jours, et certains arbres d’Asie font des cernes tous les trois ans. Si l’on met à plat toutes les surfaces d’un arbre, on aboutit à des superficies immenses. Un arbre urbain moyen fait 200 hectares !

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« Ma première forêt tropicale ? En Côte d’Ivoire quand j’avais 22 ans. J’étais comme Darwin découvrant la forêt atlantique du Brésil : stupéfait. Quand on a commencé à étudier les insectes de la canopée, on est passé de 3 millions d’espèces à 30 millions ! Il y a là-haut des crabes qui mangent les têtards de rainettes dans le creux mouillé des branches. En 2012, nous avons lancé l’Etoile des cimes au Laos, beaucoup plus légère que le radeau, qui pouvait porter six personnes. Pour la biodiversité, la forêt tropicale est imbattable : la bande équatoriale recèle 75 % de la biodiversité, alors que les mers n’en recèlent que 14 % ! »

 

« Mon dada : l’agroforesterie. » On peut pratiquer l’agriculture en forêt, à condition de connaître les arbres pour les exploiter au mieux et les replanter après. L’arbre est une usine d’épuration, qui capte le CO2 et rejette de l’oxygène. Au Japon, on étudie les réactions de l’arbre avant le séisme, grâce à des électrodes fixées sur les racines. « Je suis pour qu’on plante des arbres dans les cours des prisons. L’univers minéral, 24h sur 24, c’est l’enfer ».

 

Le plus grand arbre d’Afrique ? C’est le moabi. Tailler les arbres les rend dangereux. L’arbre n’a ni queue ni tête. L’arbre mobilier urbain : on l’abat quand il est trop grand, et on le remplace par plusieurs jeunes : c’est une arnaque, car le grand arbre fait partie du patrimoine, et la replantation de jeunes arbres coûte cher (alors que le grand arbre épure l’air gratuitement).