Les journalistes et l’expertise scientifique

Voici le compte-rendu du petit-déjeuner des JNE à la mairie du 2e arrondissement de Paris, le 19 mars 2013, sur le thème : « Les journalistes d’environnement face à l’expertise scientifique : qui croire ? »

par Roger Cans (avec Laurent Samuel)

 


Introduit par Olivier Nouaillas, vice-président des JNE, le débat se focalise d’abord sur l’ « affaire Séralini ». Stéphane Foucart, journaliste au Monde, évoque les « Tobacco documents » qui relatent la façon dont les fabricants de tabac ont manipulé l’opinion pendant 50 ans. A ses yeux, Gilles-Eric Séralini a utilisé des méthodes comparable en créant « une forme d’incertitude et de doute » au sujet des OGM. Mais il s’empresse de préciser que les critiques contre Séralini ont également été instrumentalisées.

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Pour Guillaume Malaurie, journaliste au Nouvel Observateur, qui a révélé l’étude controversée en une de son hebdo, Gilles-Eric Séralini a « fait la démonstration de l’ignorance » quant aux effets des OGM. Il n’y a pas d’études à long terme. La notion d’équivalence en substance est arbitraire. Pourtant, elle gouverne la politique des organismes internationaux. De son côté, Stéphane Foucart estime que le principe dose-poison édicté par Paracelse est caduc.

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Guillaume Malaurie explique son malaise après la destruction des vignes OGM plantées par l’INRA à Colmar. Stéphane Foucart renvoie à l’appel d’Heidelberg, avant le sommet de Rio en 1992.

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Dominique Martin-Ferrari constate que l’écologie scientifique manque aujourd’hui de mouvement porteur. Elle n’a plus de penseur, sauf peut-être Edgar Morin, et encore. Le professeur Séralini est bien seul.

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Guillaume Malaurie estime que l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) marque un grand progrès. Grâce à elle, on s’est lancé sur bien des études, notamment sur le lait, les boissons énergisantes ou l’aspartame. Ces études n’ont pas toujours débouché, mais elles ont secoué le cocotier. Pour Dominique Martin-Ferrari, on s’est penché sur un produit, une marque, mais pas sur un concept.

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Laurent Samuel souhaite que l’on revienne au cas Séralini. Stéphane Foucart explique alors que le chercheur utilise les mêmes techniques que ceux qui le disqualifient, en se fondant sur des statistiques insuffisantes. Il évoque les rats utilisés par Philip Morris pour tester les additifs du tabac, afin de le rendre plus addictif. Ni Philip Morris, pour le tabac, ni Séralini ne prennent assez de rats pour apporter la preuve de l’innocuité ou de la nocivité des OGM et du Round Up. Séralini avait sans doute peur de ne pas pouvoir prouver ce qu’il voulait.

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Stéphane Foucart pense que l’on devrait se préoccuper davantage du Bisphénol A, qui nous concerne tous. Ce perturbateur endocrinien provoque en effet des cancers de la prostate et du sein, et aussi l’infertilité. Contre les OGM, tout le monde est d’accord, mais personne ne se mobilise contre le bisphénol A. C’est la même chose pour les néonicotinéides : on s’indigne pour quelques pieds de vigne à Colmar alors que l’on cultive des milliers d’hectares insecticides.

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Guillaume Malaurie regrette que Seralini en ait trop fait. Deux ans de recherche, c’est insuffisant. Mais il vise avant tout le glyphosate, qui rend les plantes insecticides. Le Round Up tue les plantes, mais pas seulement. Par la transgénèse, il attaque le foie et les reins.

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Pour Stéphane Foucart, le scandale, c’est que les effets du Cruiser sur les abeilles aient été évalués par l’INRA et Dow Chemical. Les lobbyings s’annulent. Avec le tabac, on voit clair : si vous payez un scientifique, il fera une étude qui vous donnera satisfaction.

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Roger Cans souligne alors que les grandes entreprises, donc les grandes marques, ne font pas du lobbying direct auprès de la presse. Elles passent par des agences de consultants, qui sont au service de plusieurs marques. Bien des universitaires ou juristes « indépendants » travaillent ainsi comme « consultants ». Les conflits d’intérêt sont alors inévitables.

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Deux ouvrages sont recommandés en fin de séance : L’industrie du mensonge, publié aux Etats-Unis en 1995 par John Stauben et Sheldon Rampton, et traduit en France aux éditions Agone en 2004 et 2012. Et, bien sûr, l’ouvrage de Stéphane Foucart intitulé La fabrique du mensonge, que vient de publier Denoël.

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Cliquez ici pour lire le point de vue de Michel Sourrouille sur ce petit déjeuner.

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