Les marchands de doute


Le livre de Naomi Oreskes et Erik M. Conway, historiens des sciences, est paru au printemps 2012, trop discrètement. C’est un livre remarquable qui décode la stratégie des grandes industries pour continuer à commercialiser des produits pointés par des scientifiques comme dangereux pour la santé ou l’environnement. Leur méthode : discréditer la science, saper la réputation des scientifiques et entretenir la controverse avec l’aide d’autres scientifiques, soi-disant « experts indépendants » dans un domaine qui n’est pas le leur. Et ça marche. Le réchauffement climatique, malgré ses effets qui commencent à se faire sentir, est toujours taxé, par certains, de supercherie.

Les auteurs étudient de manière très détaillée comment les industriels du tabac ont réussi à faire retarder la législation sur plusieurs décennies. Cet exemple historique est intéressant car les conséquences néfastes du tabac non seulement sur les fumeurs eux-mêmes mais aussi sur ceux qu’on appelle les fumeurs passifs sont établies.  Mais, les liens entre tabagisme et cancer étaient clairement établis dès les années 1950. Installer la controverse a été très efficace. En effet, malgré les procès des années 2000 et les condamnations des industriels du tabac pour avoir « sciemment » trompé le public, 25 % des américains pensent encore qu’aucun lien n’est formellement établi entre tabagisme et cancer.

Par ailleurs, de nouvelles voix, révisionnistes celles-ci, ont lancé le doute sur le remarquable travail de Rachel Carson, auteur du printemps silencieux. Pour mémoire, cette scientifique attira l’attention sur les méfaits de l’utilisation des pesticides sur la santé et l’environnement dès le début des années 1960. Son travail a fini par être validé par le conseil scientifique du Président et le DDT a été interdit aux Etats-Unis. Mais depuis, les grandes firmes se sont organisées et le conseil scientifique du Président a été supprimé. Les révisionnistes vont loin, affirmant non seulement qu’elle avait tord mais que la malaria n’ayant pas été éradiquée, elle est, de plus, responsable de milliers de morts. Ils réclament même sans vergogne la remise sur le marché du DDT. No comment.

Le bémol de ce livre est que les auteurs n’ont travaillé que sur les Etats-Unis, ce qui explique sans doute son peu de diffusion en France. Il n’empêche qu’il donne les clefs qui permettent de comprendre ce qui se trame aussi chez nous. Ainsi il est évident que des « marchands de doute » à la botte des grands semenciers sont derrière l’affaire Séralini. Le discrédit du scientifique est d’ores et déjà en marche et les questions pour détourner des faits établis ont été lancées.


Editions Le Pommier, 528 pages, 29 € –  www.editions-lepommier.fr
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(Danièle Boone)