Les protecteurs de la nature existent-ils encore ?

Dans la lettre d’information des JNE du 24 juillet (et ici sur notre site), Marc Giraud se demandait légitimement si la protection de la nature existe encore en France.

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Par Jean-Claude Génot

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Il est vrai que la période actuelle est troublante puisque après les dégâts du méchant développement économique des trente glorieuses nous assistons maintenant aux dégâts du gentil développement durable fait d’éoliennes, d’éco-quartiers, de lignes TGV, de chaufferies bois sans remettre en cause la croissance et la démographie, ni les choix de la technoscience (OGM, nucléaire, nanotechnologie, géo-ingéniérie, transhumanisme) qui nous mènent droit à une planète artificielle invivable. En résonance au texte de Marc, j’ai envie de demander si les protecteurs de la nature existent encore, vous savez ceux qui osent interpeller les puissants et dire parfois niet (en référence à François Terrasson) au nom de la nature. Depuis le Grenelle de l’environnement, on peut se poser la question en ce qui concerne France Nature Environnement, et en particulier son réseau forêt.

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Dans le numéro 36 de janvier-mars 2012 de la revue L’Ecologiste, Hervé Le Bouler, responsable du réseau forêt de France Nature Environnement, à la question « Comment expliquez-vous les très fortes contestations actuelles des coupes à blanc réalisées par l’ONF ? », a répondu : « Du point de vue biologique pur, il n’y a pas de problème, on n’est pas dans le cas d’une dégradation de la forêt ». Je ne peux que recommander à ce monsieur de lire certains ouvrages d’écologie forestière dont Les arbres qui cachent la forêt. La gestion forestière à l’épreuve de l’écologie de Didier Carbiener (publié en 1995 par Edisud) qui explique simplement les méfaits des coupes rases sur les sols et sur l’écosystème forestier, sans parler bien entendu des sacrifices d’exploitabilité, à savoir que l’on coupe des arbres qui pourraient encore grossir et rapporter plus d’argent à leur propriétaire.

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Comme les journalistes de la revue L’Ecologiste sont consciencieux, ils ont enchaîné avec une autre question : « Justement, on pourrait éviter ces traumatismes si on changeait de modèle sylvicole et si on passait à la futaie irrégulière où par définition il n’y a jamais de coupe à blanc ? Qu’en pensez-vous ? » le « spécialiste forêt » de FNE a répondu : « La futaie irrégulière, c’est très compliqué. C’est très intéressant, ça développe l’intelligence forestière, et il est sûr que cela présente un énorme avantage en termes de stabilité de paysage. Mais c’est un déni de réalité, parce que l’on ne remarque plus les coupes. Moi je crois qu’il faut une prise de conscience que l’on doit couper les arbres, il ne faut pas être hypocrite, eh oui, on va couper ! Cela étant, je suis à 100 % pour la futaie irrégulière. Oui, cent fois oui ».

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Pour éviter ce genre de propos consternant dans la bouche d’un administrateur de FNE, on ne peut que lui recommander de s’inscrire à des stages sur la futaie irrégulière dispensée notamment par l’association Pro Silva et de se rapprocher de l’Association Futaie Irrégulière. Mais peut-être que le « spécialiste forêt » de FNE ne sait pas que la forêt naturelle des zones tempérées se rapproche plus de la futaie irrégulière que de la futaie régulière ?

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Comment en est-on arrivé là ? A ce que le responsable de la forêt d’une fédération nationale de protection de la nature soit un forestier traditionnel (dirigeant une pépinière forestière de l’Etat pour le Ministère de l’agriculture) dont les lacunes en écologie sont évidentes ? Fabrice Nicolino a bien sûr apporté des éléments de réponse dans son ouvrage remarquable Qui a tué l’écologie ? (éditions les Liens qui libèrent). Non content d’avoir signé le « produire plus tout en préservant mieux la biodiversité » lors du Grenelle de l’environnement en ayant l’impression d’une victoire, FNE n’a rien voulu entendre des protestations émanant des associations régionales des régions forestières (Alsace, Lorraine, Rhône-Alpes, Franche-Comté) sur les effets néfastes du slogan et ne s’est pas associé aux initiatives comme celle du collectif SOS Forêts Lorraine, devenu entre temps une initiative nationale soutenue par le WWF.

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FNE n’a toujours pas remis en cause sa position qui la rend complice de la surexploitation des forêts et semble aveugle à ce qui se passe dans les forêts publiques (décapitalisation, rajeunissement des forêts, baisse des diamètres d’exploitabilité) au nom du produire plus. Souhaitons que l’enquête lancée par FNE sur la gouvernance avec les acteurs forestiers auprès des associations adhérentes lui fasse enfin changer de position car, dans le cas contraire, on pourra se demander si le Ministère de l’agriculture n’a pas lancé une OPA sur le réseau forêt de FNE.

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