OGM et abeilles : entretien avec Yves Elie

Réalisateur et co-auteur de Témoin gênant, et entre autres de L’arbre aux abeilles, Yves Elie prépare actuellement un nouveau film et un nouveau livre sur la relation homme-abeille. Il vit comme apiculteur dans les Cévennes.

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Propos recueillis par Marie-Pierre Cabello

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M.P.C. : L’Agence européenne de sécurité alimentaire (AESA) a estimé que la sécurité du pollen de maïs en tant qu’ingrédient alimentaire ne pouvait être certifiée. Et a fortiori, la sécurité du pollen du maïs MON 810 devrait l’être encore moins.  Pourquoi des études scientifiques ne sont-elles pas faites sur ces risques par les professionnels apiculteurs ?
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Un rucher tronc – © Photo Yves Elie

Y. E. : Ce sont des études très complexes qui ne peuvent pas être menées directement par des apiculteurs. De plus, utiliser les résultats potentiels de ces études signifie aussi être capable de faire face à une bataille rangée juridique. Les organisations des apiculteurs sont depuis plusieurs années totalement submergées par le poids que représente la question des pesticides. La « lutte juridique » a coûté et coûte très cher en finances, c’est un réel problème en ce sens qu’elle a accaparé les énergies, et peut être détourné d’autres problèmes dont celui-ci. S’il en est réellement un ? Je suis perplexe quant à la nature réelle du problème.

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Quoiqu’il en soit, c’est un apiculteur allemand ou autrichien qui a soulevé la question,  à la base. Il pensait probablement par-là avertir sur le danger de diffusion des OGM dans notre environnement. Conclusion, cela tendrait plutôt à déclencher des mesures pas très favorables pour le miel et les produits de la ruche.

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Quand on sait que la situation des agriculteurs et apiculteurs en général est très fragilisée, on peut dire que l’effet produit est certainement loin du but recherché. Un effet de lobbying « bruxellois ? Difficile de ne pas l’envisager. Quoiqu’il en soit, imaginons trois secondes quelles devraient être, selon la même logique « bruxelloise »,  les conséquences sur notre alimentation, si on prenait en compte des analyses prouvant noir sur blanc la présence d’OGM dans notre alimentation et nos organismes.

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Je fais allusion à toute une série de travaux scientifiques rigoureux, effectués déjà depuis des années, et très peu médiatisés, à l’inverse de certains pseudo scoops scientifiques. Ces analyses fantômes cloîtrées dans les sarcophages de l’actualité scientifique semblent mettre  en évidence la présence d’éléments de construction OGM dans les organismes ayant consommé d’autres organismes alimentés d’OGM. Cela ne toucherait plus une micro-filière, l’apiculture,  mais des filières larges et politiquement puissantes. Par exemple celle des producteurs et importateurs de tourteaux de soja OGM. Et par extension les filières qui utilisent ces tourteaux, qui transforment les produits d’élevage, etc, etc.

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Là, on ne parlera plus d’OGM et on ne s’intéressera pas aux constats qui établiraient le transfert d’OGM dans nos selles et fluides corporels divers. Alors va-t-on lever le voile sur ces questions ? Chercher à évaluer le risque ? Pour finalement conclure avec une élégance bien rôdée  « qu’on ne peut pas conclure » ? Ou va-t-on faire de l’abeille déjà malmenée un bouc émissaire ?

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C’est ça le réel sujet. Pour ce qui est de la composition des comités d’experts de l’AESA, il semble qu’au delà des belles  apparences, il n’y ait pas grand chose de nouveau sous le soleil. Par quel miracle devrait-il en être autrement ? Qu’attendons-nous des experts, qu’ils jouent le rôle de Zorro ou de Robin des bois ? La réalité n’est pas un film de Walt Disney. Seule la perception de ce qu’on mange, boit, etc, peut être la source de changements concrets. En premier lieu dans nos métabolismes.

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M.P.C. : Le gouvernement français vient de demander à la Commission européenne de suspendre d’urgence la culture du maïs MON 810 sur le territoire de l’Union européenne. Il s’appuie sur un avis de l’AESA du 8 décembre 2011, qui montre que cette culture « présente des risques importants pour l’environnement » et particulièrement pour la faune. Il est souligné l’apparition de résistances à la toxine. L’AESA recommande par ailleurs de mette en place des « zones-refuges » pour les insectes. Est-ce réaliste ?

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Ruches modernes – © Photo Yves Elie

Y.E. : La mise en place de zones refuges présuppose que le reste du territoire le nécessite et que les insectes sont exposés à n facteurs perturbants pour leur biologie, c’est la reconnaissance officielle de ce que notre association dit publiquement, à savoir que un pourcentage majeur de notre territoire est biocide. Une zone refuge bien sûr est peu de chose. C’est un geste politique astucieux, il faudrait entendre le point de vue d’entomologistes. De facto, les zones dites « défavorisées » de montagne, par exemple les Cévennes, sont déjà des refuges. Ça ne coûtera pas cher d’y coller une étiquette. Les refuges sont peu d’espace même si par le passé des espèces se sont développées dans des zones refuges, mais de la taille de deux ou trois régions françaises, exemple l’abeille noire (fin des dernières grandes glaciations). Ce projet de « zones refuges » relatif au maïs MON a un arrière-goût de mise en scène reposant sur des réseaux de connivence. N’oublions pas que Monsanto n’est pas européen.

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M.P.C. : En septembre 2011, la Cour européenne de justice a estimé que sans autorisation spécifique, les miels contenant du MON 810 devaient être interdits à la consommation humaine. Donc si le MON 810 est autorisé en culture, comment pourront tenir économiquement les apiculteurs, en raison de la contamination OGM ?

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Y.E. : Comment pourront tenir les autres filières agricoles qui sont peut-être bien déjà contaminées par les OGM ? Comment s’alimenteront les Européens qui comme Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, mangent semble-t-il de l’OGM d’ores et déjà sans le savoir, ce à diverses sauces.

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En dehors du confort que procure le prix relativement réduit des denrées alimentaires, qui se soucie vraiment des « détails » ? Par exemple de l’utilisation d’enzymes capables post-mortem, de souder, amalgamer de manière admirable des morceaux de viande (ou de poisson) de différentes origines. Je ne parle pas d’une trouvaille du Docteur Frankenstein, mais simplement de « Frankenfood » , comme on dit aux USA. Ce gadget biochimique qui soude les viandes  existe, il est très utilisé, et ce n’est pas le seul gadget de ce type dans nos industries alimentaires. Je ne serais pas étonné que les OGM soient dangereux, mais le plus dangereux est probablement notre ignorance. Et vu la complexité et la technicité de ces problèmes, j’ai surtout la conviction qu’en tant que citoyens nous n’avons pas d’autres choix que de développer une forme de sensibilité pour réagir face à cela sans être obligé d’absorber les kilotonnes de prose pseudo-spécialisée qui noient le poisson. Au fond, c’est juste une affaire de conscience et de la place que l’homme veut avoir dans le cycle du vivant.

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La seule issue me paraît être d’ordre philosophique et poétique.
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Son association  : http://www.ruchetronc.fr édite La Gazette de L’arbre aux Abeilles.

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Son courriel : grand.rue@sfr.fr

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