Récupérer et recycler l’eau

En moyenne, chaque Français consomme 150 litres d’eau potable par jour. Mais seulement 7% de cette eau sert effectivement à la boisson ou à la cuisine. Le reste est utilisé pour les bains ou les douches, le lavage (vaisselle, linge, sol), les toilettes et les usages extérieurs… Or la plupart de ces besoins peuvent être couverts grâce à l’eau de pluie, et certains s’aventurent même à recycler leurs eaux usées – excepté celles des WC. Visite.

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par Aude Richard et Juliette Talpin (JNE)

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Eau de pluie, une réglementation prudente

 

L’Allemagne, pionnière de l’utilisation de l’eau de pluie dans l’habitat, a retenu il y a vingt ans la notion « d’eau de service » pour les eaux non potables réservées à des usages « secondaires ». La récupération de l’eau pluviale et son recyclage y sont encouragés de longue date pour les utilisations domestiques hors boisson (avec un encadrement réglementaire strict). Il en va de même en Belgique où le tiers des logements est équipé d’une citerne d’eau de pluie, cette dernière représentant plus de 4 % de la consommation totale d’eau de la région Wallonne. Et depuis 2002, en Belgique, toute construction neuve doit disposer d’un récupérateur d’eau pluviale.

En France, une telle obligation n’est toujours pas d’actualité car l’État est nettement plus frileux sur le sujet. Chez nous, l’arrêté du 21 août 2008 restreint les usages de l’eau tombée du ciel aux usages extérieurs, aux toilettes et au lavage des sols. L’utilisation dans le lave-linge est autorisée dans un cadre expérimental (cadre mal défini d’ailleurs). À l’heure actuelle, il semble exclu que la réglementation autorise d’autres usages intérieurs. En effet, la priorité de la loi française est de protéger les occupants du logement et plus globalement l’ensemble des usagers du réseau d’eau potable, d’une contamination microbiologique par l’eau de pluie. La loi est en effet très stricte sur la déconnexion entre les deux réseaux. L’Agence fédérale allemande de l’environnement a en effet rapporté un cas de contamination du réseau public d’eau potable par une installation non conforme qui a nécessité la désinfection totale du réseau. Mais, si cet impératif de déconnexion avec le réseau public est respecté, rien n’empêche un particulier qui n’accueille pas de public, d’utiliser son eau de pluie pour tous les usages, y compris la boisson.
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Eaux usées, la France réticente

Autre source d’approvisionnement en eau possible, les eaux grises. Il s’agit de récupérer et de recycler les eaux issues des bains, des douches, des lavabos. Une fois traitées, ces eaux savonneuses, faiblement chargées et non grasses, peuvent servir à arroser le jardin, à nettoyer les voitures, à alimenter la chasse d’eau, voire même les lave-linge.

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Toutefois, la réutilisation d’eaux usées traitées à l’intérieur d’un bâtiment reste encore peu répandue en France. Les constructeurs estiment qu’à peine une quarantaine de systèmes sont installés. Pour eux la réglementation bloque le développement de cette technique. Le code de la santé publique stipule que, hors dérogation préfectorale, l’installation d’un double réseau à l’intérieur d’un bâtiment alimenté une eau non potable est interdite, à l’exception des eaux de pluie. Néanmoins, comme l’explique Thomas Contentin, gérant de la société Aquality, « Dans la sphère privée, il existe un flou juridique : ce n’est ni autorisé, ni interdit ». Autre frein, le lobbying des grands groupes fournisseurs d’eau, qui sont d’ailleurs souvent les mêmes que ceux en charge d’assainissement… Le développement du recyclage individuel de l’eau pourrait-il risquer de rendre les stations d’épuration collectives moins rentables ?

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La Direction générale de la santé a commandé une étude au CSTB (Centre scientifique et technique du bâtiment) sur la réglementation internationale et a saisi l’ANSES en 2011 (agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail) afin d’évaluer les risques sanitaires liés à la réutilisation. La réglementation pourrait donc évoluer dans les prochaines années.

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En France, les constructeurs restent discrets sur leurs réalisations. Quelques installations collectives sont mises en lumière, comme à la piscine de Yerres-Crosnes (Essonne), où l’eau des 53 douches, soit quelque 20 m3/jour, est traitée par un procédé biologique, mise au point par Hansgrohe, avant d’être utilisées pour l’arrosage des espaces verts et le nettoyage de la voirie. La société Aquality a installé un système de traitement au lycée Mansart de Thizy, dans le Rhône. Le système WME collecte les eaux des douches de l’internat occupé par 80 élèves pour alimenter les toilettes scolaires. 2000 litres d’eau peuvent être traités par jour grâce à un système biologique et mécanique d’ultrafiltration.

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Encadré

Australie et Japon, recycleurs d’eaux usées

Peu de pays possèdent des textes réglementaires spécifiques au recyclage des eaux grises. Néanmoins, il existe de nombreuses réalisations collectives, à l’échelle d’un immeuble ou d’une agglomération. L’Australie est la plus avancée à cause de la sécheresse qu’elle subit depuis plus de dix ans. A Sydney, les 13 usines de traitement des eaux domestiques alimentent en eau recyclée 20 000 foyers. La ville s’est donnée pour objectif de recycler annuellement 70 milliards de litres d’eau d’ici 2015, afin de combler 12 % des besoins de la ville. Les différents Etats d’Australie ont défini des critères de qualité d’eau à respecter en fonction de l’usage de l’eau traitée (chasses d’eau, arrosage…).

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La réutilisation des eaux grises est aussi répandue dans les immeubles japonais pour alimenter les chasses d’eau, et à l’ouest des Etats-Unis, dans les villes de Los Angeles (Californie), de Denver (Colorado), de Tucson et de Phœnix (Arizona). A Singapour, 30 % de l’eau potable est issue d’unités de retraitement des eaux usées.

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En Europe, le Royaume-Uni et l’Allemagne ont des normes techniques reconnues, mais pas de réglementation imposée par l’Etat.

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Cet article a été publié dans le magazine bimestriel La Maison écologique n°68 disponible en kiosque en avril et mai 2012.

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