par Patrick Piro |
Attention, méga-vague commémorative en prévision : le 11 mars 2012, la planète se souviendra qu’un an auparavant, le Nord-Est du Japon était balayé par un tsunami monstrueux, et que le séisme qui lui a donné naissance a déclenché la première catastrophe nucléaire du millénaire. On fera le point sur le cadavre éventré aux putrides émanations, sur les centaines d’années de contamination de milliers de kilomètres carrés de précieuses terres, sur les dizaines de milliers de personnes déportées pour dieu sait combien de temps encore, sur le riz qui fait sonner les compteurs geiger, sur l’hébétude qui perdure dans la classe politique nipponne, sur les révoltés d’une opinion durablement installée dans l’opposition à l’atome, sur les trois ou quatre réacteurs nucléaires égarés encore en service parmi les 54 que compte le parc de l’île… Fukushima, vous savez, cette centrale qui s’en est retournée au Japon le 3 janvier dernier.
À cette date, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) française rendait public son rapport sur l’audit demandé aux centrales d’EDF et à quelques autres installations nucléaires importantes sur leur capacité à affronter un tremblement de terre, une inondation, une perte de la source de refroidissement ou de l’alimentation électrique. Jusque-là, la catastrophe du 11 mars renvoyait en France le spectre d’un Fukushima-sur-Rhin, sur-Seine, sur-Manche, etc.
Le rapport du 3 janvier a magistralement soldé la menace, peu s’en faut. Une impeccable opération de retournement. L’ASN, sur le fond, explique que « ça » peut arriver chez nous. Mais qu’il n’y a pas lieu de fermer quoi que ce soit : tout va bien puisque rien n’est encore arrivé ! En échange, EDF (c’est-à-dire nous, ses clients — enfin, si vous n’êtes pas partis ailleurs, chez Enercoop par exemple), EDF donc va devoir payer une petite soulte, de l’ordre de 10 à 15 milliards d’euros estime l’électricien, pour opérer quelques renforcements de la sûreté. Nous verrons bien à l’heure des devis si l’addition n’est pas plus salée, ce que d’aucun juge certain.
Mais comme avec les tours de passe-passe, le crucial n’est pas ce qui se déroule sur scène, mais ce que l’on escamote en coulisse. Car enfin, dix mois pour faire le tour de Fukushima… Le rapport de l’ASN évoque certes, en quelques phrases évasives, la nécessité de tirer les conclusions exhaustives d’un retour d’expérience complet sur les causes de la catastrophe et les profonds dysfonctionnements des systèmes de sûreté. Soit dans au moins dix ans, le temps qu’il faudra pour que des robots puissent pénétrer dans le cœur fondus des trois réacteurs japonais.
Alors qu’EDF a déployé son énorme machine à persuader les politiques qu’il-n’y-a-pas-d’autre-solution que de prolonger ses centrales jusqu’à 40, 50, 60 ans, voit-on l’ASN, le compréhensif gendarme du nucléaire, rudoyer l’électricien vers 2021 pour exiger qu’il rallonge l’addition, qu’il réouvre des chantiers pour rajouter des rustines sur les vieux réacteurs parce que, tout compte fait, Fukushima nous en aura révélé des vertes et des pas mûres supplémentaires ? On peut parier que l’affaire Fukushima a connu en France un point final avec cette brillante manœuvre de l’ASN.
Les quatre principaux candidats en campagne l’ont parfaitement compris : Fuku quoi ?
Pour Hollande, la diminution de 75 % à 50 % de la part du nucléaire n’est à ce jour qu’une mesure de gestion de bon père de famille (attention à ne pas mettre tous les œufs dans le même panier !) : fermer Fessenheim, comme il le promet, c’est de la verroterie jetée aux écologistes, comme Jospin leur offrit la tête de Superphénix et Mitterrand fit avorter Plogoff. Si la promesse de Hollande était réellement motivée par le principe de précaution comme il le prétend, il aurait aussi prévu la mise à la retraite des centrales du Bugey, de Tricastin, du Blayais, guère plus rassurantes que la centrale alsacienne.
Pour Sarkozy, la question ne se pose même pas : il est d’accord avec l’ASN, et surtout soucieux d’être en contraste avec Hollande. Bayrou, au moins aussi positiviste que lui, fait également confiance à nos hommes de science, y’a pas de raison. En mars 2011, son entourage nous confiait que la catastrophe japonaise avait fait l’effet d’un « 11-septembre » au sein du Modem ! Le Pen ne veut rien toucher non plus, mais son avis industriel et énergétique nous indiffère tout autant qu’elle s’en fout royalement elle-même, d’abord soucieuse d’autres périls bien plus importants pour la France que l’atome.
Finalement, le nucléaire a bien gagné rang d’argument électoral dans la campagne présidentielle 2012, pour la première fois à ce niveau depuis 1974, date de lancement du mégalo-plan Messmer. Mais hélas, c’est juste de la mitraille pour guet-apens politicien. Fukushima, c’est toujours pour les autres.
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Patrick Piro vient de publier Le nucléaire, une névrose française ; après Fukushima, à quand la sortie ?, aux éditions Les Petits Matins.
.Cet éditorial, comme tous ceux de ce site, n’engage que son auteur.
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