Le projet Nim

Le hasard a voulu que deux soirées consécutives à Paris portent sur le même sujet : « Que reste-t-il du propre de l’homme ? » (lire ici le compte rendu de Danièle Boone), traité à l’ENSTA ParisTech le 10 janvier, avec, entre autres, notre ami Georges Chapouthier (JNE) et la projection en avant-première, avec Sciences et Avenir et notre amie Emmanuelle Grundmann (JNE), le 11 janvier, du film de James Marsh Le projet Nim (documentaire américain produit par la BBC). Deux soirées consacrées aux grands singes, à leurs capacités cognitives, à leur proximité de l’homme, et au grand débat sur l’inné et l’acquis.

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par Roger Cans

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L’histoire de Nim le chimpanzé commence avec sa naissance en novembre 1973 dans un centre d’élevage de l’Oklahoma. Au bout de deux semaines, Nim est arraché à sa mère et confié à une famille de New York pour une expérience originale : savoir si un grand singe peut apprendre à parler s’il vit exclusivement au milieu des hommes. L’expérience est menée par un professeur de psychologie de l’université Columbia, Herbert Terrace, qui n’est absolument pas primatologue, mais inspiré par le linguiste Noam Chomsky (d’où le nom donné au bébé chimpanzé : Nim Chimsky).

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La famille d’accueil de Nim est originale : une tribu « hippie chic » de Manhattan. Le mari est un écrivain divorcé avec quatre enfants et la femme, Stephanie La Farge, est divorcée avec trois enfants. C’est elle, bien sûr, qui prend en charge le bébé, lui donne ses biberons et lui change ses couches. Mais le bébé chimpanzé est adopté par toute la famille, les enfants surtout, avec lesquels il joue tout le temps.

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Pour que l’expérience prenne un tour plus scientifique, le professeur embauche une jeune fille chargée d’apprendre à parler à Nim. Il les installe en 1975 dans une superbe propriété appartenant au doyen de l’université. Mais Laura, charmante jeune fille, n’a pas de compétence particulière pour enseigner l’américain à un singe de deux ans. Le professeur fait alors appel à Joyce, pour le langage des signes, puis à Renée pour le langage des sourds-muets. Non seulement l’expérience n’est pas concluante, mais Nim mord de plus en plus ses mentors, avec une brutalité qui déconcerte.

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En 1977, alors que Nim a cinq ans (et toutes ses dents, qui lui font mal !) le professeur décide d’arrêter les frais. Le chimpanzé est réexpédié au centre d’élevage de l’Oklahoma, où Nim découvre des congénères qu’il n’a jamais vus, nouveau traumatisme. Le professeur de la Columbia vient lui rendre une visite et passe l’après-midi avec lui, tout heureux des retrouvailles. Mais il ne reviendra plus et Nim, neurasthénique, est vendu en 1982 à un laboratoire qui procède à des expériences médicales encore plus traumatisantes.

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Le pauvre singe est tiré des griffes du laboratoire par un ancien mentor, Bob, un étudiant consterné de voir Nim en cage, livré à des infirmiers comme un dangereux dément. Il le confie à un ranch du Texas qui recueille les animaux abandonnés, ongulés pour la plupart. Le chimpanzé se retrouve en cage, seul, au milieu de troupeaux de chevaux, d’ânes et de lamas. Pour le réconforter, Bob lui amène deux congénères, dont une femelle qui lui fera un bébé. Mais Nim meurt en 2000 à l’âge de 26 ans, donc prématurément, abandonné de presque tous.

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Le professeur Terrace en conclut que les grands singes, même élevés parmi les hommes, ne peuvent acquérir le langage. Ils peuvent comprendre des mots ou des signes, mais ils ne peuvent construire une phrase. CQFD.

Ce documentaire, où les protagonistes des années 1970 sont interviewés des années plus tard, laisse naturellement un sentiment de malaise. Ce pauvre singe, baladé parmi les hommes, toujours seul de son espèce pendant cinq ans, et qui passe ses vingt dernières années en cage, sans revoir sa famille d’accueil ni ses compagnons de route, c’est un destin pitoyable. On espère que ce genre d’expérience « scientifique » ne se fera plus.

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Emmanuelle Grundmann (JNE) l’a précisé : les chercheurs, aujourd’hui, ne s’intéressent plus au langage parlé mais aux capacités cognitives des grands singes, que l’on s’efforce d’observer in situ, dans la forêt, et non plus en cage parmi les hommes.

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PS : Ne manquez pas d’aller voir Tous au Larzac, documentaire où parlent les paysans du causse qui ont résisté aux projets de l’armée française durant la même période. Nim est l’histoire d’un échec lamentable. Le Larzac est celle d’une belle victoire.