L’écologie à travers « Le Monde » (1ère partie) : l’ignorance (1945-1973)

Un historique du contenu du quotidien Le Monde donne une bonne image de l’écologie telle qu’elle est traitée dans les médias en général.

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Par Michel Sourrouille

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Avant 1971-1972, c’est le mépris et la désinvolture. Dans les années 1970, une bonne mobilisation des associations environnementalistes mobilise la presse et incite à la création de périodiques comme la Gueule Ouverte ou Le Sauvage ; l’écologie politique devient aussi une réalité. Mais les années 1980 sont un éteignoir sous l’effet conjugué de la victoire en France du socialisme productiviste (Mitterrand, 1981) et du triomphe de la mondialisation libérale avec Reagan et Thatcher. Ce n’est que très récemment que l’écologie refait surface grâce à la popularisation du réchauffement climatique et aux succès électoraux des écologistes.

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Les crises financières ont malheureusement occulté les crises environnementales, ce qui fait que les médias comme les politiques ne traitent pas encore suffisamment de l’urgence écologique.

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1/5) L’ignorance de la question écologique par Le Monde (1945-1973)

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Nous avons interrogé les journalistes Marc Ambroise-Rendu, Roger Cans et Hervé Kempf (tous trois membres des JNE) qui ont été successivement en charge de la rubrique environnement au Monde. Ils saluent tous l’amélioration de plus en plus visible de leur employeur en matière de traitement de l’enjeu écologique.

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Il est vrai qu’en la matière, les débuts du quotidien ont été désastreux. Dans son numéro 199 du 8 août 1945, le quotidien annonçait le largage de la première bombe atomique en manchette sur trois colonnes avec, en surtitre, cette formule ingénue et terrible : « Une révolution scientifique ». Il est vrai aussi que l’ensemble de la presse fut unanime pour oublier les êtres humains carbonisés ou irradiés. Pourtant, Albert Camus pouvait écrire à la même date dans l’éditorial de Combat : « Des journaux américains, anglais et français se répandent en dissertations élégantes sur l’avenir, le passé, les inventeurs, le coût, la vocation pacifique et les effets guerriers, les conséquences politiques et même le caractère indépendant de la bombe atomique. Nous nous résumerons en une phrase : la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. » Il était donc possible à l’époque de porter sur ce terrible événement un regard sans concession, Albert Camus l’a fait. L’enjeu pour un journal qui est devenu « de référence », c’était d’aller au-delà des apparences dictées par les puissants, de ne pas choisir une impossible neutralité, de savoir se positionner comme un véritable journaliste d’investigation, d’éclairer le lecteur. Le Monde avait encore beaucoup de chemin à parcourir pour bien mesurer l’importance croissante de la détérioration de notre environnement.

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En 1952, on inaugure le barrage de Donzères-Mondragon ; l’envoyé spécial du Monde ne dira rien concernant l’impact environnemental de ce « colossal ouvrage ». En 1953, pour le barrage de Tignes, le reporter du Monde s’émerveille devant l’ouvrage d’art qui « offre une ligne extrêmement harmonieuse ». Pas un mot sur le village englouti par le barrage, mais une constatation confondante de naïveté et de cynisme : « Le site n’en souffre pas ».

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En 1957, la critique du projet de tracé de l’autoroute du sud à travers la forêt de Fontainebleau fait simplement l’objet d’une libre opinion qui constate : « Il est triste de penser que l’autorité des naturalistes, des artistes et des sociétés savantes est impuissante contre le vandalisme ». Plus de vingt ans après Hiroshima, Le Monde n’a pas beaucoup progressé dans son analyse.

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Le naufrage du Torrey Canyon le 18 mars 1967 échappe complètement à l’attention du quotidien pendant plusieurs semaines, c’est la première marée noire sur nos côtes. Il faut attendre le 21 avril pour que soit publié en Une un bulletin intitulé « les dangers du progrès ». La conversion écologique de ce quotidien « de référence » va être lente, aussi lente que la prise de conscience générale dans une société où priment l’économique et le socio-politique.

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C’est seulement à partir de 1969 que Le Monde ouvre un dossier « Environnement » au service de documentation. Mais il n’y a toujours pas de journaliste spécialisé. Quotidien institutionnel dont la rédaction était constituée de spécialistes restant dans leur domaine pendant des années, Le Monde n’a commencé à traiter spécifiquement d’environnement qu’en 1971, lorsque le ministère de la protection de la nature et de l’environnement a été créé.

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Dès ce moment, un rédacteur, qui venait du service Economie et couvrait jusque-là la vie des entreprises, a suivi l’action de Robert Poujade. Versé au service « Equipements et régions » (on ne savait trop où caser l’environnement), il a immédiatement reçu de ses anciens interlocuteurs les jérémiades classiques selon lesquelles, si on obligeait les entreprises à quoi que ce soit, ils allaient licencier leur personnel.

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En 1972, c’est la première conférence des Nations unies « pour l’homme et son environnement » qui contraint Le Monde à créer une rubrique sous ce nom. Mais les rédactions se méfiaient encore de ce type d’information et l’écologie est restée un gros mot encore longtemps pour bien des personnes.

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Prochainement sur ce site, la deuxième partie : avec Marc Ambroise-Rendu, l’environnement devient une rubrique au Monde (1974-1981)

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