Economies d’énergie en Algérie : réduire la facture du consommateur et préserver les ressources du pays

En Algérie, une grande campagne nationale pour sensibiliser à la rationalisation de la consommation de l’électricité et du gaz a été lancée par le Groupe public Sonelgaz (Société nationale de l’électricité et du gaz), dans le but de «diffuser la culture de consommation de ces deux énergies».

par M’hamed Rebah

Pour convaincre le consommateur, Sonelgaz lui explique qu’il pourra ainsi «réduire la facture et économiser de l’argent» et contribuer à «la préservation des ressources énergétiques du pays». Comment ? En suivant « certains comportements et conseils concernant la rationalisation de la consommation domestique de l’énergie», précise Sonelgaz, qui parle de contribution de chacun à l’économie d’énergie.

C’est explicitement dit : il s’agit d’économies d’énergie et de changements d’habitude de consommation. Cette préoccupation a fini par s’imposer alors que l’idée contraire, celle de l’abondance énergétique, a longtemps prévalu dans le discours officiel. En 1985, quand l’APRUE (Agence de promotion et de rationalisation de l’utilisation de l’énergie) a été créée, la mention « économie d’énergie » n’a pas été portée dans sa « raison sociale ». Les autorités étaient réticentes à déclarer la nécessité d’économiser l’énergie. L’accent était mis, plutôt, sur la réponse à la demande en renforçant la production. C’est ce qui s’est fait, au moins depuis une quinzaine d’années, pour l’électricité.

En 2025, la capacité de production nationale d’électricité s’élève à plus de 25 000 mégawatts (elle était de 568 MW en 1962, 5 782 MW en 1999 et plus de 11 325 MW à fin 2009), largement au-dessus du pic de consommation de l’été 2024 qui avait approché les 20 000 MW (19 500 MW, le 21 juillet 2024 dans l’après-midi). Ce record dans la consommation électrique est dû au fonctionnement des climatiseurs pour atténuer l’effet insupportable de la canicule, dans plusieurs wilayas. La demande a été satisfaite. Les dirigeants de Sonelgaz avaient anticipé cette situation et mis en place un programme spécial avec la mobilisation de plus de 25 000 MW. Sonelgaz a prévu également de renforcer certains équipements pour supporter des températures extrêmes dépassant 55 degrés. Ses équipes spécialisées dans la production, la distribution et le transport d’électricité et de gaz étaient prêtes à réparer dans les plus brefs délais les pannes, causes des coupures.

Ces dernières années, les pics de consommation électrique nationale se sont succédé, avec des hausses significatives : 14 714 MW en août 2020, 16 224 MW, l’année suivante à la même période, puis 16.822 MW en juillet 2022 et 18.377 MW en juillet 2023. La demande d’électricité a toujours été satisfaite; il n’y a pas eu les coupures de courant que d’autres pays ont connues. Les climatiseurs ont été alimentés en électricité sans discontinuer, tout en maintenant les niveaux d’exportation vers la Tunisie (plus de 500 MW). Pour Sonelgaz, ces faits exceptionnels n’ont aucune incidence sur l’état de la distribution, ni du fonctionnement du réseau électrique national et de ses équipements, et y faire face est un motif de fierté pour son personnel.

Cette tendance était déjà perceptible en été 2012. Les prévisionnistes qui travaillent à anticiper sur les événements avaient suivi avec inquiétude l’évolution vers un déséquilibre offre-demande en électricité. La cause : en 2011 et en 2012, les ventes de climatiseurs ont connu un bond extraordinaire qui ne s’est pas arrêté depuis. La Sonelgaz avait alors appelé à la rationalisation de la consommation, notamment chez les ménages dont elle attendait qu’ils éteignent les appareils électriques non indispensables et n’utilisent qu’un seul climatiseur pendant les heures de pointe (13 h-16 h et 20 h-23 h). Mais la culture de l’économie d’énergie n’existait pas dans la population ; ni les autorités ni les associations ne lui ont consacré suffisamment d’efforts d’explication et de sensibilisation. Les spécialistes avaient tiré la sonnette d’alarme, estimant qu’il fallait s’attaquer de manière urgente au gaspillage. Ils proposaient d’encourager l’isolation thermique dans le bâtiment, l’autoconsommation en électricité solaire et de donner une impulsion aux carburants alternatifs.

A titre d’anecdote : le 29 novembre 2003, à 21 h, la Sonelgaz et la Télévision algérienne (qui était, à ce moment, l’unique chaîne) ont procédé, avec les ménages algériens, à une opération-test pour mettre en évidence l’économie d’électricité que l’on peut réaliser en éteignant une ampoule qui serait restée allumée inutilement. L’objectif était de mettre fin au « gaspillage électrique », le gaz n’était pas concerné. L’opération était destinée aux ménages qui étaient les plus gros consommateurs d’électricité. A l’époque, la production d’électricité n’arrivait pas à répondre aux pics de la demande, le délestage était inévitable et les coupures dommageables pour le citoyen.

Les spécialistes soulignent que la première contrainte climatique qui a un impact systématique et immédiat sur la demande de l’électricité et sur la gestion du réseau électrique est la température. Ils font remarquer que les climatiseurs étant fortement répandus dans la majorité des foyers algériens, leur utilisation massive, particulièrement dans les régions du sud du pays caractérisé par des températures élevées pendant plusieurs mois de l’année, a induit des pics de consommation exceptionnels, qui ont « migré », depuis 2009, du soir à l’après-midi et de l’hiver à l’été. Sur les hauts plateaux, c’est la consommation de gaz pour le chauffage qui augmente fortement en hiver, du fait des conditions climatiques rudes.

Le constat établi par les responsables début 2020 indiquait que l’Algérie « consomme beaucoup d’énergie localement et ça devient très inquiétant par rapport à la production ». Quelques mois auparavant, en août 2019, le pic de consommation d’électricité avait atteint 15 600 MW, et pour le gaz, la consommation locale s’est élevée à 43 milliards de mètres cubes (m3) dont 20 milliards étaient destinés à la production de l’électricité. Explication : la maîtrise de la consommation de l’énergie est insuffisante. Des experts ont relevé que « l’absence d’isolation dans la majorité des immeubles ou des constructions individuelles, ainsi que la démocratisation du climatiseur dans les maisons, avec parfois 2 à 4 climatiseurs par foyer, ont rendu l’été de plus en plus énergivore ». L’APRUE travaille sur les aspects technologiques en matière d’efficacité énergétique, d’optimisation et de gestion des énergies, et des performances des processus et des équipements, ainsi que sur l’aspect comportemental, c’est-à-dire l’utilisation de l’énergie et son gaspillage.

Selon l’estimation de l’APRUE, en misant sur le potentiel énorme de l’efficacité énergétique, par le recours à l’utilisation des technologies efficientes, des lampes à basse consommation pour l’éclairage, le remplacement des équipements énergivores par d’autres qui le sont moins, et par l’isolation thermique des habitations, l’Algérie peut réduire d’au moins 10 % de sa consommation d’énergie finale, à l’horizon 2030, par rapport à l’année de référence 2020. Il s’agit d’un programme qui comprend plusieurs activités et projets, touchant le bâtiment, secteur le plus énergivore, avec près de 50 % d’énergie primaire consommée, suivi des secteurs des transports (près de 30 %) et de l’industrie, avec près de 20 % de consommation.
Mais, au plan national, dans l’ordre des urgences, telles qu’elles apparaissent dans le discours officiel, la sécurité énergétique n’est pas en première position. La priorité est donnée à la sécurité sanitaire et, avant tout, à la sécurité hydrique et alimentaire. Les besoins de la population en électricité et en gaz sont largement couverts par la production nationale, excédentaire puisqu’une partie est exportée. Dans cette optique, l’économie d’énergie recherchée à travers la rationalisation de la consommation vise à épargner des quantités de gaz utilisé pour la production d’électricité pour les destiner à l’exportation.

L’Algérie, qui fournit déjà plus de 500 MW d’énergie électrique à la Tunisie, est prête à augmenter cette quantité en cas de demande supplémentaire, et ambitionne d’en exporter également vers les pays européens. Sa capacité de production d’électricité le permet. Elle dépasse les 25.000 MW pour une consommation moyenne annuelle qui tourne autour de 14.000 MW. Selon les indications officielles, cette capacité est appelée à augmenter encore avec la réalisation des investissements en cours, 6.000 MW prévus, ce qui permet d’atteindre une capacité de production de 30 000 MW à l’horizon 2031-2032 et dépasser peut-être les 45 000 MW à l’horizon 2035, dont 50 % à partir de sources renouvelables.

Toutes les wilayas sont concernées par les projets de réalisation de centrales photovoltaïques pour la production d’électricité solaire, dont la première phase vise une production de 2 000 MW et la seconde 1 000 MW, en attendant le lancement, durant les années 2025 et 2026, d’un programme de production de 3 000 MW supplémentaires. C’est le début de concrétisation d’un programme adapté de développement des énergies renouvelables d’une capacité totale de 15 000 MW à l’horizon 2035.

Des infrastructures de transport électrique et un réseau interconnecté, reliant l’Algérie à la rive nord de la Méditerranée, sont envisagés, dans le cadre d’une démarche de coopération et de partenariat dans les divers aspects liés à l’énergie et la sécurité énergétique dans la région. Il existe un projet d’interconnexion électrique entre l’Algérie et l’Italie, Medlink, qui vise à mettre en place un réseau de transport d’électricité via une ligne maritime à haute tension continue d’une capacité de 2 000 MW reliant les deux pays. L’Algérie attend des pays développés de la rive nord de la Méditerranée, un appui à travers des financements pérennes et prévisibles, un réel transfert de technologies, un renforcement de capacités et une assistance technique effective.

Il faut compter aussi, à l’intérieur du pays, avec les raccordements au réseau électrique des unités de production dans les secteurs de l’agriculture et de l’industrie (pour la sécurité alimentaire et le soutien à la production nationale), ainsi que la consommation d’électricité supplémentaire qui sera induite par les nouveaux logements (en 2024, près de 450 000 logements ont été distribués, et un nouveau programme de 2 millions de logements va être lancé). Plus de 70 000 périmètres agricoles (sur 100 000) et plus de 40 zones industrielles ont été raccordés au réseau électrique, en quelques années. Les raccordements sont réalisés sans paiement préalable par les bénéficiaires. De nouveaux programmes seront lancés pour le raccordement de tous les villages et les habitations rurales à l’électricité, pour répondre aux besoins des citoyens en gaz et en électricité. Les travaux de raccordement du Sud algérien au réseau électrique national commenceront à être achevés en 2028. L’objectif, et c’est sans doute la priorité, est qu’aucun citoyen algérien ne reste à l’écart des bienfaits de l’énergie.

Cet article a été publié dans La Nouvelle République (Alger) du mercredi 29 janvier 2025.

Photo : climatiseurs en Algérie © M’hamed Rebah