Charles Stépanoff est anthropologue et spécialiste des peuples de Sibérie. Après avoir publié, chez le même éditeur, en 2021, un ouvrage qui a remué le milieu de la protection de la nature « l’animal et la mort », il nous offre en 2024 une somme importante dont l’intitulé et le sous-titre ne peuvent qu’éveiller la curiosité de toute personne concernée par l’évolution et le devenir de nos liens avec l’ensemble du vivant, ce qui constitue notre rapport au milieu, notre manière d’habiter la terre. Le livre nous suggère des questions essentielles : quelles sont les attaches qui nous relient avec l’ensemble des êtres vivants, voire non vivants ? Avons-nous encore des attaches ou ont-elles été oubliées, ignorées en raison de nos modes de vie de plus en plus urbains ? Sommes-nous encore capables de créer des liens au-delà de l’humain ? Quels types de liens ? Pour apporter des réponses ou des éléments de réflexion, Charles Stépanoff à collecté des exemples issus de nombreuses cultures sur tous les continents montrant les liens de parenté créés par des humains avec des non humains « Être humain, c’est dialoguer avec des paysages, des animaux, des esprits, où l’on ne domine jamais totalement ». Il nous propose « un livre qui se veut bâti, habité et ouvert sur le monde à la manière d’une maison paysanne ou d’une yourte de Mongolie » peut-on lire dans l’introduction.
Le récit est basé sur la notion de réseaux socio écologiques : ce que l’auteur appelle « réseau dense » est constitué d’attaches « multifibres » liant les populations humaines avec leur milieu nourricier local. Un réseau particulièrement ramifié et complexe. À l’inverse, un « réseau étalé » exprime des relations distantes propres aux groupes humains dont l’essentiel de leur approvisionnement provient d’autres zones que leur habitat. Dans un réseau étalé qui correspond à nos modes de vie urbains, on peut par exemple, manger de la viande deux fois par jour et toute sa vie sans jamais avoir assisté à la mort d’un animal. On peut utiliser nos portables sans se soucier des mines ouvertes à quelques milliers de km de chez nous. Les réseaux denses chez les peuples chasseurs cueilleurs favorisent les liens de parenté avec des animaux sauvages. Ainsi, l’apprivoisement dont il est beaucoup question dans le livre, constitue un art du vivre ensemble multi espèces. « Partout de l’Australie au Groenland, les humains partagent au quotidien, habitat, nourriture, intimité et affect avec des animaux d’autres espèces ». Par quels réseaux nous attachons-nous au monde ? Comment passe-t-on de l’un à l’autre ? Et probablement le questionnement principal : « quelles organisations sociales ces réseaux rendent-ils possible ? » Pourrait-on repasser d’un réseau étalé à un réseau dense ? Quelques exemples fournis dans l’ouvrage nous prouvent que c’est possible.
Car c’est bien la manière dont nous sommes attachés à nos milieux qui va conditionner notre mode d’organisation sociale. Retrouver des formes d’organisation en réseaux denses est probablement la seule voie possible pour résoudre les problèmes écologiques actuels. Pour l’anthropologue, les deux grandes érosions de la terre : la diversité biologique des espèces et la perte de la diversité culturelle des modes de vie vont de pair. Il appelle cela la perte de la « diversité bioculturelle ».
Cette recension est très loin d’exprimer toute la richesse de ce livre très facile d’accès et que l’on peut lire sans respecter l’ordre des chapitres. Pour ma part, cet ouvrage fait partie des livres importants que j’ai pu découvrir ces dernières années. J’espère qu’il en sera de même pour vous.
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Éditions La Découverte – Collection Sciences humaines, 631 pages, 27 € – www.editionsladecouverte.fr
Contact presse : Carole Lozano. Tél.: 01 44 08 84 22 – carole.lozano@editionsladecouverte.com
(Pierre Grillet)
(Pierre Grillet)
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