Rivasi, peur de rien !

Un an après son décès, l’ancien responsable de l’environnement à l’Agence France Presse rend hommage à Michèle Rivasi, fondatrice de la CRII-Rad,

par Yves Leers

Michèle nous a quittés il y a tout juste un an, le 27 novembre 2023, comme ça, sans crier gare ! Gare à nous qui restons sans voix, sans y croire vraiment, même un an après. Michèle, c’était la vie, toute la vie. C’était une amie.

Pour moi, son nom a d’abord été associé à Tchernobyl en 1986. Journaliste à l’AFP, je me souviens de cette première interview, dans sa maison de Félines-sur-Rimandoule, un village perdu sur une colline de la Drôme, près de Dieulefit. Il était question du « nuage », ce fameux nuage qui aurait évité la France grâce au professeur Pellerin, l’homme du mensonge d’Etat ! Pour Michèle Rivasi, inconnue de tous, se lancer dans un tel combat dans un pays aussi nucléaire que la France relevait de la gageure. Mais tout lui semblait naturel : « on ne va pas les laisser raconter n’importe quoi, c’est la santé de la population qui est en jeu ». Première dépêche AFP, premières retombées. Très vite, la normalienne, agrégée de biologie, co-fonde avec des amis un labo indépendant à Valence pour expertiser la radioactivité, partout. Ce sera la CRII-Rad, dont le rôle de contre-pouvoir a été essentiel et l’est toujours. Ça grinçait chez les pontes omniscients du nucléaire. A l’AFP, il fallait se battre pour faire entendre une autre voix que celle des officiels, contrer ce mensonge d’un Etat qui se voulait rassurant.

Circulez…

Il fallait équiper le labo. Un passage mémorable à la télé chez Michel Polac (Droit de réponse sur TF1) a été déterminant. Les dons ont afflué, permettant d’équiper « le labo de la preuve ». Les premières analyses ont démontré la contamination radioactive camouflée. Il a bien fallu que le gouvernement prenne des mesures de protection.

Comment ce petit bout de femme aux cheveux bouclés noirs de jais a-t-elle pu réussir si vite une telle percée ? Sa grande gueule ? Bien sûr, mais surtout la passion de la vérité, la sincérité, son parler vrai, la force de conviction d’une biologiste qui sait de quoi elle parle ! Je n’oublie ni la cavalière, ni la grande sportive habituée des défis en montagne. Mais d’où sortait-t-elle ? Son grand-père, maçon, était arrivé d’Italie avec sa brouette. Pas de brouette pour la prof, mais la certitude de mener le bon combat. Peur de rien, ni du pouvoir ni de ses détracteurs qui ont tenté en vain de la déstabiliser. Des causes, elle en a épousé beaucoup – les ondes électro-magnétiques, les pesticides, la pollution de l’air, les labos pharmaceutiques et tant d’autres – mais ce sont ses luttes contre le nucléaire que je retiens, le nucléaire et ses déchets éternels, ses pollutions. Tous les lobbies s’en souviennent. Nous aussi.

En 1997, je la retrouve députée Verte. Toujours pressée, admirée ou détestée, elle s’en fichait. Elle riait. Elle courait. Je lui ai même écrit deux ou trois questions orales alors que j’avais rejoint l’environnement à l’AFP. On se retrouvait aussi à l’autre bout du monde, à Kyoto en 1997 où le protocole a été adopté. Une fois, elle m’a m’extrait de la salle de presse pour aller visiter le Temple d’or. C’est à Kyoto que je suis tombé dans la marmite climatique pour ne plus jamais en sortir ! A Buenos-Aires, l’année suivante, pour la COP10. Une autre fois, aux Baléares sur les renouvelables ou à Madagascar avec le père Pedro, et tant d’autres. Un peu plus tard, le goût amer de ses quelques mois à la tête de Greenpeace-France, entravée par des mecs (merci, sénateur Jadot !) qui ne supportaient pas d’être sous la tutelle d’une femme.

Car Rivasi, c’est aussi le combat d’une femme pour permettre aux femmes de s’imposer dans un univers de mecs (députés compris) plus enclins à la drague qu’au partage. Son engagement écologique, le vrai, ne change pas. La voilà députée européenne en 2009. Elle l’était toujours ce 29 novembre 2023 lorsqu’en pénétrant dans le Parlement à Bruxelles, elle tombe et meurt sur le coup. Crise cardiaque foudroyante. Un grand cœur s’était éteint. A Félines, on a pleuré Michèle, dont le mari était devenu maire avant de disparaître. Le 23 novembre 2024, une stèle en bois – comme un arbre fendu – a été édifiée devant la mairie de Félines en hommage à Michèle et à toutes les victimes de Tchernobyl et de Fukushima.