par Anne Henry-Castelbou
À la veille de l’ouverture de la COP29 en Azerbaïdjan (du 11 au 22 novembre 2024), le résultat des élections américaines devrait peser sur les négociations à venir. Mais l’enjeu majeur de cette année est la création d’un nouveau Fonds Climat ambitieux, pour financer la transition et l’adaptation des pays en voie de développement.
Mille milliards de dollars par an pour le nouveau Fonds Climat (NCQG, selon le sigle anglais) : c’est l’ambition affichée par nombre de pays du Sud durant cette « COP des finances ». Ce Fonds Climat avait été créé par les pays de l’OCDE en 2009, avec un premier objectif de 100 milliards de dollars par an ; un niveau qui n’a été atteint malheureusement qu’en 2022. Il était prévu à la suite de l’Accord de Paris que le Fonds soit revu en 2025, tant sur son fonctionnement (qui paye, qui bénéficie des fonds, combien par an, pour quoi faire …) que sur son montant.
Pour Joseph Earsom, enseignant-chercheur en politique environnementale à l’Université catholique de Lille, « le minimum de ce nouveau Fonds Climat sera de 100 milliards de dollars par an, mais restera insuffisant. D’ailleurs, selon le World Ressources Institute, il faudrait entre 500 et 1000 milliards de dollars par an. C’est énorme mais nécessaire. » Et cela ne représente que 1 % des transactions financières mondiales.
Autres enjeux
Parmi les autres priorités des négociations, citons la mise en route du Fonds Pertes et Dommages, acté à la COP28 et logé à la Banque Mondiale, qui va financer les dégâts causés par les changements climatiques. Egalement, l’article 6 de l’Accord de Paris gérant le fonctionnement des marchés carbone doit encore être affiné. Le chiffre d’affaires de ces marchés est déjà de 2,5 milliards de dollars. Leur développement pourrait multiplier ce montant et contribuer au financement de la lutte contre le réchauffement climatique. Le rendez-vous en mer Caspienne va aussi inciter les pays à fournir à l’ONU leurs plans d’actions ou NDC (contributions déterminées au niveau national pour les 5 prochaines années, afin de limiter à 1,5 degré le réchauffement climatique par rapport à l’ère pré-industrielle de 1750). Il n’y a que 58 pays qui l’ont fait, dont la France. La présidence azerbaïdjanaise souhaite cette année aussi mobiliser davantage les fonds privés. Enfin, avec la sortie des énergies fossiles actée durant la COP28, il s’agit maintenant de définir un calendrier, avec des objectifs quantifiables. D’autres thématiques devraient être soutenues par les organisateurs comme le développement de l’hydrogène propre, le stockage d’énergie verte ou la création de zones d’énergies vertes.
D’une COP à une autre
La COP29 intervient jusque après celle de la biodiversité qui s’est tenue à Cali en Colombie avec certaines avancées : identification des zones à protéger dans les océans, représentation actée des peuples autochtones et communautés locales au sein d’un groupe permanent de la CDB (Convention sur la diversité biologique) ou encore création d’un Fonds Cali qui recevra les bénéfices issus de l’utilisation commerciale des séquences génétiques des plantes et animaux à l’attention des peuples autochtones. Certains regrettent le manque de coordination entre les deux sujets – climat et biodiversité – même si sur place, les pays ont décidé de mieux prendre en compte leurs interactions. Pour la représentante de l’UE à Cali, Florika Fink-Hooijer (Le Monde, 5/11) : « Si nous agissons sur la biodiversité, nous pouvons amortir certains des impacts climatiques. »
Pression sur la société civile
En-dehors de ces négociations étatiques, la société civile sera présente dans le Zone bleue de la COP29 : élus des villes et régions, associations, ONG, entreprises, représentants de peuples autochtones, religions et diverses minorités. La COP, c’est aussi un lieu d’échanges de bonnes pratiques et d’influence auprès des décideurs politiques. D’ailleurs, les lobbys des énergies fossiles l’ont bien compris et y sont de plus en plus nombreux. Et une Zone verte devrait accueillir le grand public qui pourra découvrir les derniers chiffres et avancées en matière de lutte contre le réchauffement climatique.
Mais notons que de nombreux Français – journalistes, universitaires, politiques … – ont dû annuler leurs déplacements, de par le risque élevé d’enlèvements et de procès arbitraires. Des dizaines d’activistes ont été arrêtés dans les précédentes semaines. La position de la France vis-à-vis de l’Arménie a augmenté les menaces sur les ressortissants français sur le sol azerbaïdjanais. Selon une note de France Diplomatie du 12/09, « il est déconseillé, sauf raison impérative, aux ressortissants français, y compris binationaux, de se rendre en Azerbaïdjan en raison du risque de détention arbitraire et de jugement inéquitable dans ce pays, dont le système judiciaire ne présente aucune garantie d’indépendance ou en matière de droits de la défense ». On voit la limite d’organiser un tel événement onusien dans une république autoritaire, limitant l’accès à l’information et la liberté d’expression. Le président Macron a annoncé ne pas s’y rendre pour ces mêmes raisons politiques. La ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher assurera les négociations sur place.
Contexte géopolitique tendu
Si tous ces objectifs sont ambitieux, le contexte actuel risque de freiner l’avancée des négociations. L’accession de Donald Trump à la présidence américaine est un signal fort de reprise de l’extraction fossile sur le sol américain, deuxième territoire après la Chine en matière d’émissions de gaz à effet de serre (GES). Même si pour Gaïa Febvre, responsable des politiques internationales au Réseau Action Climat, « ne résumons pas les Etats-Unis à leur président : c’est un pays fédéral, les territoires et notamment les villes vont continuer d’agir tout comme les associations environnementales ».
Au-delà des Etats-Unis, ce sont plus de 80 élections nationales récentes qui ont enregistré un renforcement du populisme et de l’extrême-droite au pouvoir. Un grand nombre de pays vont certainement voir reculer la lutte contre le réchauffement climatique. Et la situation économique mondiale – faible croissance, inflation, baisse du pouvoir des citoyens – pourrait faire revoir les priorités chez certains pays contributeurs. Egalement, le pays hôte est très dépendant des énergies fossiles. Or, lors de précédentes COP chez des pays producteurs de pétrole comme en Egypte en 2022, on se souvient des freins dans les négociations, des mauvaises retranscriptions quotidiennes des échanges entre négociateurs, de plaintes de pays accueillis se disant être espionnés.
Pays hôte producteur de pétrole
En amont de la COP, nombreux sont ceux qui se sont demandés pourquoi organiser un tel évènement dans un pays dont les revenus dépendent à 90 % des énergies fossiles. Et ce d’autant plus que l’on constate une hausse de l’extraction de pétrole chez certains pays producteurs comme les Emirats Arabes Unis. Ils tentent de maximiser leurs profits sachant la ressource limitée. Mais pour Justin Dargin, PDG de Resolve 36 (université d’Oxford), il est important d’accompagner certains pays peu avancés dans les ENR (Energies renouvelables) comme l’Azerbaïdjan : « Il faut établir une feuille de route en tenant compte de l’élimination progressive des combustibles fossiles, tout en mettant l’accent sur une transition juste qui tienne compte de la dépendance des pays riches en pétrole ». Organiser une COP chez eux, c’est les forcer à se positionner, à présenter des plans de décarbonation. Et lors de la COP28, on a vu une évolution : les pays du Golfe ont reconnu le rôle des combustibles fossiles, alors qu’au début des années 2000, ils rejetaient la science du climat. Il faut dire que de plus en plus, ils voient dans le développement des ENR un intérêt de prospérité économique.
Un rendez-vous utile
Pour Mark Tuddenham du Citepa – association d’experts accompagnant les acteurs de la transition écologique qui assurera sur son site un décryptage au jour le jour de la COP29 –« malgré les engagements actuels des pays via leurs NDC, on n’arrivera pas à limiter le réchauffement climatique à 2 degrés d’ici la fin du siècle, et ce par manque de volonté politique. Il faudrait quadrupler les ambitions ». Et les limites des COP sont connues : manque d’initiatives contraignantes et de contrôles. Nombreux sont ceux qui appellent l’ONU à renforcer les mécanismes de responsabilité et de transparence.
Mais cela reste un rendez-vous de solutions et de compromis nécessaire, comme le précise François Gemenne, co-rédacteur du rapport du GIEC : « le fonctionnement des COP n’est pas idéal, notamment du fait qu’il faille l’accord de tous les pays. La règle du consensus induit des lenteurs. Mais c’est le moins mauvais des systèmes qui garantit à chaque pays une représentation équitable ». Et pendant quinze jours, les enjeux du climat seront au cœur de l’arène médiatique mondiale. Ainsi, selon le nouvel Observatoire des médias sur l’écologie, en 2023, la COP28 a été un des rares évènements qui a enregistré un pic d’attention médiatique en France. Cela devrait être à nouveau le cas pendant ces dix prochains jours, avec moult consultations, blocages, rebondissements et applaudissements qui devraient permettre de nouvelles avancées – aussi timides soient-elles – dont devront s’emparer ensuite chaque pays.
Photo du haut : le stade de Bakou (Azerbaïdjan) où se déroule la COP29 sur le climat du 11 au 22 novembre 2024
Quelques chiffres
196 pays ainsi que l’Union européenne – soit plus de 40 000 personnes – se retrouveront à la COP29 du 11 au 22 novembre 2024.
Principales causes des émissions de GES (source Citepa) en hausse de 1,3 % en 2023 : production d’électricité, puis le transport, l’industrie et l’agriculture.
Principaux émetteurs de GES : Chine, US, Inde, et UE (même si l’UE constate une baisse des GES de -7,5 % en 2023).
Selon le Citepa, il y a 90 % de chances que les températures augmentent de 3,6 degrés d’ici 2100.Programme
11 novembre : ouverture de la COP29
12-13 novembre : sommet des dirigeants mondiaux pour l’action climatique
14 novembre : finance, investissement et commerce
15 novembre : énergie/paix, secours et redressement
16 novembre : science, technologie et innovation/numérisation
17 novembre : journée de repos, pas de programmation thématique
18 novembre : capital humain/enfants et jeunes/santé /éducation
19 novembre : alimentation, agriculture et eau
20 novembre : urbanisation/transport /tourisme
21 novembre : nature et biodiversité/peuples autochtones/égalité des genres/océans et zones côtières
22 novembre : négociations finales