Au Festival de Ménigoute 2024, des associations de protection de la nature qui se tiennent sages

L’édition 2024 (29 octobre au 3 novembre) du Festival international du film ornithologique de Ménigoute a marqué son 40e anniversaire. S’il reste un lieu de rencontres et échanges intergénérationnels et tous publics attirant plusieurs milliers de personnes, il est aussi un véritable observatoire de l’évolution du comportement des associations de protection de la nature (APN) sur quelques décennies… Et le constat est attristant, voire affligeant !

par Pierre Grillet

Lors de ce festival, un forum dénommé « découverte nature et patrimoine » regroupe sous un immense chapiteau des stands d’information et de vente. Parmi ceux-ci, les APN y ont toute leur place pour communiquer, informer sur les enjeux, présenter leurs combats, faire signer des pétitions… Ayant vécu les premières années du Festival, il est permis de tenter de répondre à quelques questions : 40 années plus tard, le nombre des APN présentes au festival s’est-il accru ? Avec quelle diversité ? Quels sont les combats et les luttes présentés au sein de chacun de ces stands ? Comment se positionnent-elles vis-à-vis des enjeux actuels ? Quels sont les slogans et revendications affichés ? Comment les luttes victorieuses comme les défaites sont-elles présentées ?

Les grands enjeux actuels étaient déjà présents il y a quarante ans. Mais aujourd’hui, ils s’avèrent de plus en plus concrets en raison des problèmes climatiques rencontrés et des témoignages qui ne cessent de se multiplier de la part des scientifiques alertant sur l’érosion alarmante de la biodiversité. Ils le sont aussi par la répression et la désinformation constante dont sont victimes certains mouvements écologistes, le tout allant de pair avec des inégalités sociales de plus en plus marquées. Tous ces faits devraient trouver un très large écho au sein de ce forum.

Au Festival de Ménigoute 2024, le plus vaste stand dans l’espace consacré aux associations était dédié aux espèces qualifiées d’invasives. Avec ce slogan sponsorisé par l’État et l’Agence régionale de santé (ARN) : « en les détruisant, agissons ensemble pour notre santé ». Dans un tel espace, nous aurions pu consacrer toute cette place pour parler des pesticides et de leurs effets considérablement négatifs sur notre santé et largement démontrés. L’ARN aurait sans nul doute largement sponsorisé l’opération (blague). Mais le sujet des espèces invasives est beaucoup moins polémique, plus consensuel. Pourtant, attention : ce thème que nombre d’APN portent également parmi leurs actions prioritaires (les financements pour ce type d’action ne manquent pas) est de plus en plus récupéré par certains courants d’extrême droite qui n’hésitent pas à faire le lien entre la lutte des écolos contre les espèces « invasives » et leur haine de l’étranger et de la personne migrante © Pierre Grillet

Pourtant, il n’en n’est rien. Strictement rien ! Et le constat est objectif et surtout très inquiétant. L’un des plus grands stands à l’intérieur de l’espace consacré aux associations est dédié aux… espèces invasives au nom du FREDON (Fédération régionale de lutte et de défense contre les organismes nuisibles). On nous présente sur de multiples panneaux le moustique tigre et l’ambroisie, qui posent quelques problèmes de santé. Pourquoi dans un tel cadre ne pas aborder plutôt la question des pesticides sur notre santé, un sujet beaucoup plus alarmant ? La plupart des autres stands sont tenus par des institutions (pays de Gâtine, Conseil régional, Agence régionale pour la biodiversité…) qui vantent bien entendu leurs actions toutes positives pour la défense du vivant avec les mots qui vont bien et de très beaux panneaux qui valent très cher (pour faire de la com, les dépenses publiques n’ont pas de limite).

Il reste tout de même, en cherchant bien, quelques APN : Deux-Sèvres Nature Environnement (DSNE), Poitou Charentes Nature (PCN), Groupe ornithologique des Deux-Sèvres (GODS), Société française pour la protection des mammifères (SFEPM), Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), Cistude Nature (en Aquitaine), Sea Shepherd et Animal Cross contre la souffrance animale (le seul stand sur lequel on trouve encore des pétitions). On y rencontre également l’école de la nature avec les CPN, la Société française d’orchidophilie et l’Union Française des Centres de Sauvegarde de la faune sauvage. De quoi transmettre des messages forts sur la protection du vivant, des messages forts sur les combats en cours, les problèmes rencontrés… Passons sur le stand de la LPO, pour qui Ménigoute est devenu depuis longtemps un simple argument de vente. On pourrait s’attendre à lire des panneaux consacrés aux questions agricoles (un enjeu majeur pour l’ensemble du vivant), à se poser de sérieuses questions sur cette notion tant répétée de « transition », aborder la controverse autour de la LGV Bordeaux-Toulouse décidée au mépris de la démocratie (1) et portée, entre autres, par le Président de la région Nouvelle Aquitaine, avoir des informations précises sur le scandale de l’autoroute A69, en apprendre sur les questions liées aux zones humides littorales, nombreuses en Charente-Maritime, comment s’engager dans telle ou telle lutte autrement que par les simples adhésions. Bref, que les visiteurs aient un bon aperçu des grands enjeux actuels pour le vivant. Pourtant, rien de tout cela. Les APN semblent parfaitement en accord avec les institutions dont elles dépendent financièrement pour nombre d’entre elles : une protection de la nature très sage, bien intégrée, quasi institutionnalisée est ainsi présentée aux 30 000 visiteurs de ce Festival.

Ce constat ne date pas d’aujourd’hui, mais il se vérifie chaque année un peu plus. Il y a une grande différence avec les premiers forums organisés quelques décennies plus tôt : des APN de toute la France, des revendications claires et affichées, des polémiques bien présentes… Petit à petit, une régression s’est amorcée. Moins d’associations militantes, plus de difficultés pour trouver les bénévoles motivés pour consacrer six journées de présence et de moins en moins de revendications pour aboutir à cette édition 2024, point d’orgue d’un tel constat alors que les enjeux n’ont jamais été aussi fortement ressentis et prouvés scientifiquement. Pourtant, parallèlement, ces associations n’ont pas cessé de renforcer leurs équipes salariées et sont ainsi devenues plus professionnelles. Pour quels résultats ? Ce qui se passe à Ménigoute est le reflet de l’état de la protection de la nature et explique, pour partie, pourquoi après au moins 5 ou 6 décennies d’APN présentes un peu partout en France, nous n’ayons pas réussi à faire évoluer nos pratiques autrement que dans les discours. Une protection de la nature facile à satisfaire : un peu de subventions moyennant la signature d’un contrat d’engagement républicain pour éviter tout débordement et très bien accepté par la plupart des APN, des partenariats d’opportunité avec les pires destructeurs, quelques espaces que l’on appelle « naturels » et qu’il faut « gérer » sans oublier de les « valoriser » (à quoi peut bien servir un espace « naturel » non « valorisé » pour un élu qui finance ?), quelques actions de réintroductions et le petit peuple bourgeois des APN s’en contente. Une impasse dont il faudra bien s’extraire un jour si on veut un véritable changement de système, seul garant permettant d’envisager peut-être une autre relation entre le vivant humain et non humain.

La seule lutte affichée et expliquée concerne le combat contre les méga-bassines et leur modèle agricole associé. Le collectif Bassines non merci (BNM), toléré par le Président du festival (que BNM remercie) sous réserve de ne pas être présent le jour de l’inauguration pour ne pas froisser les invités et sponsors, tient son stand d’information à l’extérieur. Loin du cadre intérieur bien réconfortant, très lisse et ne laissant apparaître qu’une atmosphère de consensus insipide et sans avenir. Pendant ce temps, certains élus (dont la plupart ne l’ont été qu’avec moins de 25 % des voix parmi les électeurs inscrits) et représentants de l’État exercent de fortes pressions pour que BNM soit totalement interdit à Ménigoute. Voilà comment des responsables politiques méprisent et veulent invisibiliser un collectif de citoyens qui lutte contre l’accaparement de l’eau, le gaspillage de l’argent public consacré, les impacts fortement négatifs sur le vivant induits par la réalisation des méga-bassines, leur coût énergétique démesuré pour le profit d’une petite poignée d’agriculteurs et surtout des grandes firmes de l’agro-industrie au détriment de multiples paysans, de l’ensemble des citoyens, de nos milieux et d’une ressource pourtant essentielle pour la vie.

* Auteur de Protection de la nature et capitalisme : incompatibles. Éditons Atlande, 2021.

(1) La Société pour l’Etude, la Protection et l’Aménagement de la Nature dans le Sud-Ouest (Sepanso) avait déposé en 2016 un recours auprès du Conseil d’État pour contester la validation de la Déclaration d’Utilité Publique (DUP) concernant les projets de LGV Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Dax : « Le gouvernement n’a tenu aucun compte des remarques effectuées par la commission d’enquête, qui a réuni 14 000 contributions dont 95 % étaient défavorables. C’est un recours pour excès de pouvoir ».

Légende photo du haut : un peu à l’écart de l’espace réservé aux associations, le stand de Bassines non merci annonce, avec l’outarde canepetière qui sera particulièrement concernée, la  manifestation du 16 novembre à Saint Sauvent (86) pour protester contre l’ouverture possible d’un chantier de méga-bassine. Alors que les dernières décisions de justice ont été défavorables vis-à-vis des irrigants de l’ensemble du bassin de la Sèvre niortaise, alors que la Coop de l’eau doit faire face à certains exploitants qui rechignent à payer leur facture, jugeant celle-ci beaucoup trop lourde, alors que le monde agricole lui-même est largement divisé sur l’intérêt de tels outils, alors que le Premier ministre vient d’annoncer une prochaine grande conférence sur l’eau en 2025 pour, d’après Michel Barnier, « protéger la population, assurer la résilience des territoires, des infrastructures et des services essentiels, adapter les activités humaines » et « protéger notre patrimoine naturel et culturel », tout est prêt pour un moratoire immédiat sur les projets de bassines, à l’instar du programme du NFP arrivé en tête lors des dernières législatives… Pourquoi attendre ? © Pierre Grillet