Durant deux jours, les 8 et 9 août 2024, Alger, la capitale de l’Algérie, a renoué avec les campagnes d’hygiène et de propreté dont les premières éditions avaient été lancées, il y a quelque 62 ans, peu après l’indépendance. Est-ce le signe du retour à la tradition du volontariat des années 1960-1970 qui avait prouvé son efficacité en Algérie dans divers domaines? La ville d’Alger est tenue d’améliorer la qualité de l’environnement pour assurer un accueil convenable aux visiteurs, surtout algériens, qui viennent en grand nombre des différentes wilayas, mais aussi de France et d’autres pays.
par M’hamed Rebah
Des jeunes ont été mobilisés le jeudi 8 août pour participer au nettoyage des rues des quartiers d’Alger, aux côtés des agents de la voirie qui ont fait le gros du travail. Le but affiché n’était pas d’éradiquer la saleté. Pour redonner à la capitale la propreté qui faisait la réputation très ancienne d’Alger la Blanche, il faut plus que deux jours de campagne de nettoyage, étant donné le niveau actuel de dégradation de l’environnement. Selon les organisateurs de la campagne, il s’agissait surtout, de sensibiliser les habitants à « l’importance de la propreté de l’environnement et de l’action de proximité ».
D’autres journées de volontariat devront être lancées pour ancrer les réflexes écologiques dans la population et obtenir des résultats concrets et perceptibles se traduisant non seulement par la propreté, mais également par le calme qui a disparu sous l’effet de la cacophonie créée par les bruits de toutes origines (klaxons, sirènes, tuyaux d’échappement, marteaux piqueurs, scies électriques, concerts sur la voie publique,…). Les nuisances sonores, libérées, de fait, de la réglementation qui les interdisait, sont perçues, notamment à Alger, comme des troubles à l’ordre public carrément tolérés.
Aucun bilan de ce qui a été réalisé les 8 et 9 août n’a été présenté par les organisateurs de la campagne: combien de volontaires y ont participé, quantités de déchets ramassés… et aucune perspective n’a été tracée pour les suites à lui donner. Il est évident qu’il reste beaucoup à faire. Pour s’en convaincre, il suffit d’aller au marché Reda Houhou, au centre-ville, voir la situation déplorable d’insalubrité, qui reste inchangée, et sentir les odeurs nauséabondes qui se dégagent de la mini-décharge improvisée sur les lieux. La seule trace qui indique qu’il y a eu une campagne de propreté, est dans ce bout de l’affiche (déchirée) qui l’annonçait, et qui est resté, des jours après, collé à un mur sur le lieu même où étaient rassemblés le 8 août – dans l’ambiance d’une cour d’école pendant la récréation – les agents de la voirie, leurs responsables, les volontaires qui y ont participé et sans doute les «superviseurs».
Il semble exclu de revenir aux formats des « campagnes » des années 1960 et 1970, quand les actions de volontariat étaient préparées et réalisées par ce que l’on appelait les « organisations de masse », qui mobilisaient surtout les jeunes, et par les syndicats qui, en plus de défendre les intérêts de leurs adhérents – c’était leur mission – les amenaient à consacrer leur jour de repos à faire quelque chose dans l’intérêt de tous, sans contrepartie, évidemment.
A cette époque (dite « socialiste »), c’était du vrai volontariat, avec une participation massive de la population, en grande partie les jeunes qui se distinguaient par leur enthousiasme, convaincus qu’ils œuvraient pour l’intérêt général. Les actions de nettoyage dans les quartiers n’étaient pas sponsorisées, sous forme publicitaire, par une quelconque entreprise qui aurait, à l’occasion, écoulé (par vente promotionnelle ou par distribution gratuite) ses produits, comme c’est le cas depuis quelques années.
La tradition du volontariat a été insensiblement rompue dans les années 1980, dans le cours du tournant libéral autoritaire qui a cassé les « organisations de masse » et détruit l’esprit du bénévolat, et, au contraire, a encouragé le tbazniss (la course vers l’argent sous le couvert de faire des affaires) transformé en préoccupation dominante dans la société. Le volontariat a fini par disparaître pour laisser place aux « campagnes » institutionnelles, de propreté ou autres, préparées « d’en haut » en dehors de la population qui, en retour, n’y participait pas.
Marquées par des contradictions dans leur conception et dans leur mise en œuvre, ces «campagnes », motivées par le souci du « spectacle » médiatisé pour les besoins de la propagande politique, n’ont jamais réussi à mettre fin à l’insalubrité et à la saleté que l’on peut encore observer directement un peu partout, entretenues par l’incivisme. Produit du même tournant libéral, les activités et pratiques informelles, illicites, qui ont envahi tous les segments de la société, ont créé les conditions de l’incivisme devenu une « seconde nature » baignant dans le laxisme ambiant.
Le Jardin d’Essai, sauvé in extremis
On retrouve l’incivisme à l’origine de l’incendie qui a failli détruire le Jardin d’Essai du Hamma, joyau écologique d’Alger. C’était mercredi 7 août, à la veille, par pur hasard, du lancement de la campagne de propreté. On attendait les incendies à combattre, dans les massifs forestiers, le feu est parti du milieu de la végétation exceptionnelle du Jardin d’Essai, en pleine capitale.
Le fait tel qu’il a été rapporté par les médias : mercredi 7 août, pour fêter l’anniversaire de la création de leur club de football, un groupe de ses supporters ont lancé, vers 21 h, des bombes fumigènes à l’intérieur du Jardin d’Essai. Cette version est plausible car les jeunes ont pris l’habitude de faire usage, en toute liberté, des produits pyrotechniques, quand ils veulent et comme ils veulent, sans se soucier de l’impact sur les passants et les riverains (nuisances sonores, fumées, risques de blessures,…) et encore moins sur l’environnement (incendies,…). L’incendie s’est déclenché immédiatement et s’est étendu sur une aire de 400 m2, offrant aux riverains le spectacle impressionnant de flammes et de fumées, qui a amplifié les dimensions de cet incident, d’autant plus que cela se passait au Jardin d’Essai.
Sur la page Facebook du Jardin d’Essai, le « malheureux incident qui a affecté une petite partie du Jardin » et dont les causes « seront déterminées par les enquêtes judiciaires » est relaté dans des termes rassurants. D’après cette source officielle, la propagation de l’incendie a été limitée grâce à l’intervention rapide du personnel de sécurité du Jardin d’Essai et des agents de la protection civile. Le feu a été éteint au bout de trois heures. Il a provoqué la combustion partielle de hui palmiers du type Phoenix canariensis ; le brûlage partiel d’un seul palmier Washingtonia Robusta ; un seul pin, Pinus canariensis ; 14 arbustes Ligustrum vulgare ; 30 mètres d’une barrière végétale naturelle de l’espèce Dovyalis carffra. La même source précise que ces palmiers ne sont ni pérennes ni centenaires, contrairement à ce qui « a été rapporté sur certains sites ». Les unités de la Protection civile sont intervenues très rapidement parce qu’elles étaient déjà mobilisées dans le cadre du plan estival de lutte contre les incendies de forêts. Huit camions de lutte anti incendie ont été utilisés pour combattre le feu.
La page Facebook du Jardin d’Essai rappelle qu’il a été créé en 1832, alors que l’Algérie était une colonie française. Il s’étend sur une superficie de 32 hectares et se distingue par une grande diversité végétale, ce qui en fait « un musée naturel à ciel ouvert ». Il bénéficie « d’un emplacement stratégique, près de la mer, et d’un climat privilégié ». Il est présenté comme « l’un des plus beaux jardins botaniques du monde ».
La situation du Jardin d’Essai s’est dégradée dans les années 1980, conséquence des ravages provoqués par le dogme libéral du désengagement de l’Etat. Durant une longue période, le Jardin d’Essai a été livré aux appétits des affairistes qui ont mis la main sur des terrains à l’intérieur, qu’ils ont aménagés selon leurs mauvais goûts. Des arbres centenaires ont été sciés pour laisser place à la construction de kiosques de commerce ; les statuettes ont été malmenées, le lac transformé en mare, la fontaine s’était retrouvée sans eau,….
Après une période d’instabilité qui a duré une vingtaine d’années, le Jardin d’Essai a été confié à un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) sous la tutelle de la wilaya d’Alger. D’après l’entreprise publique chargée de sa gestion, le Jardin d’Essai a enregistré une affluence record de près de 2,4 millions de visiteurs en 2023, tant au niveau du jardin botanique que du jardin zoologique. Des manifestations et des spectacles de loisirs et de divertissement y sont organisés. Toutefois, la mission confiée aux gestionnaires du Jardin a un rapport étroit avec la conservation de la biodiversité.
Le Jardin d’Essai dispose d’un règlement intérieur qui concerne notamment la circulation et le comportement à l’intérieur et, évidemment, la sortie par les visiteurs de plantes, fleurs, graines, boutures, et d’animaux. Comme tout autre établissement, le Jardin d’Essai est doté d’un plan de sécurité interne. Il lui manquait une unité de protection civile, elle sera bientôt installée sur place. La surveillance exercée avec rigueur à l’intérieur du Jardin, est négligée dans son périmètre où, pourtant, elle devrait être aussi rigoureuse, à cause justement des risques d’incendies qui peuvent être provoqués accidentellement du fait de comportements inciviques à l’extérieur.
Moins d’incendies de forêts
L’incivisme n’est pas toléré dans les forêts algériennes du 1er juin au 31 octobre, période classée « à haut risque d’incendies». A la mi-août, la majorité des feux de forêts qui se sont déclarés dans plusieurs wilayas du pays, ont été rapidement éteints. Pour les responsables de la Protection civile, c’est la preuve de l’efficacité du plan stratégique de prévention et de lutte contre les incendies qu’ils ont mis en place et qui établit la synergie entre alerte précoce et intervention sur le terrain par différents moyens terrestres et aériens. Les superficies touchées cet été par des incendies sont très inférieures à celles de l’an dernier à la même période.
Le plan de la Protection civile a comblé les lacunes relevées les années précédentes. Il repose sur trois axes : « d’abord la prévention à travers la sensibilisation, notamment à l’endroit des citoyens vivant dans des zones à risque, ensuite la coordination entre les différents secteurs pour une utilisation optimale des ressources et, enfin, l’analyse des anciens plans pour élaborer un plan plus performant permettant d’exploiter au mieux les ressources humaines et matérielles et d’élever le niveau d’alerte ». Les moyens aériens de lutte contre les incendies ont été renforcés avec l’affrètement de 12 avions, qui s’ajoutent aux moyens considérables de l’Armée nationale populaire (ANP). L’utilisation de la numérisation et de l’intelligence artificielle a été renforcée dans l’élaboration de plans d’intervention et l’identification des régions les plus exposées aux risques d’incendie afin que des décisions éclairées puissent être prises. La priorité est donnée à la protection des personnes et des sites d’habitation. Tout est prévu pour empêcher la propagation des incendies aux agglomérations.
Les équipes d’intervention rapide pour l’extinction des feux mènent des patrouilles intensives dans toutes les forêts à risque. Une série d’interdictions à l’intérieur et à proximité des forêts permet d’éviter le feu accidentel : pas d’utilisation des appareils de cuisson, des barbecues ou tout autre outil inflammable ; éloignement des véhicules des zones forestières ; pas de camping sauvage. La dénonciation de toute violation de ces mesures peut se faire à l’aide d’un numéro vert. Les contrevenants, même par imprudence, risquent de lourdes peines prévues par la loi.
Cet article a été publié dans La Nouvelle République (Alger) du mercredi 14 août 2024,
Photo : à la mi-août, la forêt de Chréa (Blida), à 60 km d’Alger, a été épargnée par les feux, alors qu’habituellement c’est là que se déclenchent les premiers incendies de l’été © M’hamed Rebah