Des Jeux « réussis », « ils nous ont fait vibrer jusqu’au bout », « les Bleus ont enchanté le public français », « des Jeux qui vont doper la croissance », « rarement la France avait connu une telle liesse », « organisation sans failles », « ferveur inédite », pour ne citer que quelques titre parus dans la presse provinciale un peu partout en France. Celles et ceux qui râlent contre les Jeux ? « Des anti-France » tout simplement selon la porte-parole du gouvernement ! La messe est dite, le consensus parfaitement fabriqué, le récit imposé. Oser s’élever contre les Jeux olympiques ne peut que provenir d’aigris et/ou de très mauvais Français, voire d’écoterroristes… La critique, la remise en cause, le débat n‘ont pas lieu d’être. La démocratie ? Le Comité international olympique (CIO) et Macron n’en ont que faire.
Pourtant, organiser des JO, c’est expulser des familles, mettre à l’écart les plus pauvres, admettre des coûts financiers énormes, le plus souvent au détriment de l’argent public, c’est faire une publicité monstrueuse pour des sponsors eux-mêmes largement destructeurs dans leurs activités, c’est accepter les gaspillages et la destruction du vivant, s’arranger pour que tous les coûts énergétiques ne soient pas pris en compte, s’arranger avec le véritable état de la Seine (1) et tout faire pour invisibiliser les nageurs malades. Tous ces aspects sont soigneusement éludés. En revanche, la sécurité (au prix de moyens démesurés conduisant pourtant à des restrictions importantes de libertés), les valeurs du sport, du dépassement de soi, de l’effort, du travail, de la compétition pour dominer l’autre sont ainsi portées aux nues, bien encadrées par un Comité international olympique tout puissant, y compris face aux États et bien aidé par ses principaux sponsors emblèmes du capitalisme le plus redoutable… En 2024, alors que l’horizon 2030 semble incontournable pour de futurs Jeux olympiques d’hiver en France, il est grand temps de s’opposer à ces « jeux », non pas en vue de les réformer, mais pour s’en débarrasser totalement…
Deux livres qui synthétisent les enjeux face aux JO
Parmi toute la littérature concernant une telle manifestation, deux livres critiques semblent émerger pour comprendre les véritables enjeux qui découlent d’un tel événement : le plus récent, publié en 2024 aux éditions Divergences sous le titre Paris 2024. Une ville face à la violence olympique, écrit par Jade Lindgaard, journaliste spécialisée autour de l’écologie à Mediapart. L’autre ouvrage, publié aux éditions du Détour en 2021, s’intitule : 2024, les Jeux olympiques n’ont pas eu lieu, sous la plume de Marc Perelman, spécialiste en sociologie du sport.
Jade Lindgaard habite à Aubervilliers en Seine-Saint-Denis, département d’accueil du fameux village olympique (entre autres). Elle a donc vécu toutes les transformations et destructions d’abord en tant que citoyenne engagée et habitante. Mais son livre est aussi le résultat d’un véritable travail journalistique, fort documenté et qui ne laisse rien de côté : le soi-disant « héritage » qui devrait revenir à ce département le plus pauvre du pays pour en faire, comme par miracle, un espace à la pointe de l’écologie et du renouveau social n’apparaît dans les faits que sous la forme d’un mirage, de belles promesses, se traduisant plutôt comme un « héritage négatif » selon les propres mots de l’autrice. Mille cinq cent personnes, pour l’essentiel « précaires, pauvres ou vulnérables », au moins ont été directement ou indirectement délogées pour les J.O., uniquement sur ce territoire. Un chiffre que l’autrice considère comme a minima. Plus globalement, le journal Libération évoque « 12 545 personnes qui ont été expulsées d’Ile-de-France », un véritable nettoyage social selon les associations (2). Dommage qu’une telle enquête ait été si peu reprise dans les médias. L’autrice cite au passage le chiffre de 2 millions de personnes dans le monde qui auraient perdu en 20 ans leur domicile à cause des J.O, une donnée rapportée par l’ONG COHRE en 2007 (3).
Impossible de citer tous les arguments développés dans ce livre : le caractère antidémocratique du fonctionnement du CIO, de la décision même d’organiser les Jeux olympiques, le côté totalement disproportionné entre l’argent dépensé par personne pour le village olympique comparé à celui investi pour la rénovation des quartiers populaires (44 fois plus), les jardins ouvriers et potagers détruits sans aucune concertation préalable avec les usagers… Jade Lindgaard évoque le gâchis des jardins ouvriers des Vertus à Aubervilliers où 4000 m2 de jardins cultivés par une vingtaine de jardiniers-es furent détruits dans l’objectif de construire un « solarium », autrement dit une espace de bronzage ! Une JAD (jardins à défendre) fut mise en place puis expulsée par la police juste avant le démarrage des travaux qui laisseront derrière eux un « gigantesque trou ». Quelques mois plus tard, la justice ordonna l’arrêt des travaux et la remise en état des parcelles. Tous ces événements prouvent les impacts négatifs de tels « jeux » auprès d’une grande partie de la population comme de l’ensemble du vivant. Autre source d’information précieuse rapportée dans cet ouvrage : la parole donnée aux premiers concernés, les habitants directement touchés comme Gnama Camara, la « vigie du quartier » qui « témoigne, celle qui regarde et qui raconte mais que, du côté des institutions, on n’écoute pas ». Elle se rend parfaitement compte que sa parole n’intéresse pas les responsables : « ils décident pour nous », affirme-t-elle avec lucidité. Quel dommage que Jade Lindgaard se sente obligée d’écrire au tout début de son ouvrage : « je n’ai pas voulu écrire un livre contre les Jeux olympiques ».
L’ouvrage signé par Marc Perelman, 2024, les Jeux olympiques n’ont pas eu lieu, a été publié peu après le confinement imposé lors de l’épidémie COVID et peu après les grandes manifestations de gilets jaunes ayant donné lieu à une terrible répression. Une période troublée, agitée, peu propice à la mise en place d’une manifestation d’envergure mondiale comme les Jeux olympiques en 2024. Si le titre était en 2021 pleinement justifié, il est aujourd’hui obsolète, mais le contenu de l’ouvrage reste entièrement d’actualité. Alors que nombre d’arguments développés par l’auteur en 2021 se recoupent avec ceux avancés par la journaliste de Mediapart en 2024, on relève une autre dimension dans les propos : l’auteur n’hésite pas à remettre en cause le principe même de ces « jeux olympiques » qui, pour lui, sont tout sauf des jeux. Quel jeu y a-t-il à performer toujours plus ? A faire souffrir son corps pendant des années pour tenter d’être le meilleur ? « Le sport de compétition ne ressemble en rien au jeu ou à l’activité ludique, qui eux font appel à la liberté de se mouvoir quand on veut et où l’on veut, à la gratuité, à la non-discrimination entre les sexes, à l’accueil de corps différents, à l’indifférence quant aux résultats, au refus de la performance, du record et de la prouesse, au rapport libre, organique et plastique avec une nature non artificialisée », explique Marc Perelman. Il remet en cause celles et ceux qui prônent des Jeux olympiques différents qui seraient plus humains et plus écolos. Ainsi, il critique la position de certains insoumis « qui s’opposent aux JO de Paris mais pas aux JO : s’ils dénoncent le mercantilisme des Jeux, ils se montrent politiquement incapables d’analyser les JO comme une institution intégrée à l’ordre capitaliste, structurellement liée à la compétition qui en est la seule matrice ». Même constat pour les écologistes, pour qui les JO peuvent être « symbole de paix, de fête populaire, d’instants fédérateurs » : « les écologistes se proposent d’organiser des Jeux écolos, des Éco-Games des Écolympiques, ou encore des Jeux écosportifs alternatifs (selon leurs dernières inventions) qui, on l’aura compris, ne remettent pas en cause la nature des JO, mais veulent les adapter à la situation ».
Car c’est bien la logique et l’esprit même des Jeux olympiques qu’il faut combattre et surtout ne pas essayer de réformer. Les J.O. ne sont que les révélateurs de sociétés dominatrices et destructrices tant pour les corps des sportifs que pour l’ensemble du vivant. « Lorsque l’esprit de la compétition constitue le cœur des rapports entre les individus, alors se déclenchent les pires comportements et les pires agissements : agressivité, violence, corruption, tricherie, chauvinisme, nationalisme, etc. Autrement dit, dès que le « jeu » est intégré à une « organisation », à une « administration » et à une « gestion » contrôlées par des « organisations sportives indépendantes », comme l’indique la Charte olympique, le pire est à craindre ». L’auteur nous parle des J.O. colonisateurs des pays et villes qui les accueillent. Paris en est l’un des exemples où des quartiers entiers, des rues, des monuments ont été totalement colonisés par le CIO. Si les J.O. veulent s’imposer partout et en premier lieu jusque dans le système d’éducation, ce n’est en rien pour la beauté du sport ou pour aider les jeunes, c’est parce qu’ils sont les meilleurs supports de nos sociétés capitalistes basées sur les inégalités, la performance et la domination. Ils se comportent vis-à-vis de la nature exactement comme toute société destructrice basée sur la consommation : « Dans le vaste processus compétitif, la nature est prise d’assaut, elle devient un obstacle ; c’est pourquoi dans l’olympisme, elle est systématiquement remplacée, bétonnée, voire détruite ; elle n’est plus un partenaire avec lequel on joue librement selon nos propres désirs et selon qu’elle nous présente ses propres obstacles, qu’il s’agit alors d’éviter ou de contourner. Les obstacles naturels (un arbre, un trou, une bosse, etc.), des éléments qui sont constitutifs de la nature (l’eau, l’air) doivent être soit détruits, soit transformés en obstacles artificiels ».
Les Jeux olympiques de Paris n’auront fait que confirmer l’ensemble des propos tenus par les deux auteurs de ces livres qu’il faut lire tranquillement pour tenter de contrer ce déferlement d’hypocrisie auquel nous avons assisté durant deux semaines et plus. Ces JO que l’on ne cesse de nous répéter qu’ils seraient « apolitiques » auront été, à l’instar de tous les pouvoirs ayant collaboré à une telle manifestation, largement utilisés par le chef de l’État pour tenter de se donner une image positive auprès du peuple et faire passer des préoccupations pourtant essentielles au second plan, comme si le sport de compétition était en lui-même un remède à tous nos maux alors qu’il en est le parfait prolongement. Le pire est encore à venir avec ces Jeux d’hiver accordés à la France pour 2030. Accordés, car la France aura été le seul pays sélectionné en raison de sa démocratie de très faible intensité : comme pour les JO de Paris, la France est l’un des rares pays dits « démocratiques » qui ne consulte pas sa population pour un tel événement, ce qui plaît fortement aux instances du CIO ! Il est grand temps d’en finir avec cette institution et de comprendre que si on veut changer véritablement en profondeur nos sociétés, le capitalisme et les JO sont indissociables et doivent être combattus l’un comme l’autre. Ni l’un, ni l’autre ne pourraient être « améliorés » par de quelconques réformes.
Les passages en italique et entre guillemets sont extraits des propos des deux auteurs cités.
Relecture : Marie-Do Couturier
Pour en savoir plus, vous pouvez visionner ci-dessous la vidéo du débat du Jeudi de l’écologie des JNE et de l’Institut Momentum, organisé le 2 mai dernier sur le thème : les JO 2024, une dystopie du Grand Paris, avec Jade Lindgaard.
(1) Consulter l’article de Mediapart : Jade Lindgaard, Pascale Pascariello et Antton Rouget. 2024 (7 août). « Eau de la Seine : les mauvais chiffres que les organisateurs des JO voulaient cacher ». https://www.mediapart.fr/journal/france/070824/eau-de-la-seine-les-mauvais-chiffres-que-les-organisateurs-des-jo-voulaient-cacher
(2) « Jeux olympiques : 12 545 personnes ont été expulsées d’Ile-de-France, les associations dénoncent un « nettoyage social ». 2024 (3 juin). Libération. https://www.liberation.fr/societe/jeux-olympiques-12-545-personnes-ont-ete-expulsees-dile-de-france-les-associations-denoncent-un-nettoyage-social-20240603_C5SB3DJ6CZGX7BVRZMMDAK43EQ/
(3) Le rapport de l’ONG COHRE : http://www.ruig-gian.org › ressources › Report%20Fair%20Play%20FINAL%20FINAL%20070531.pdf
Les deux livres
Jade Lindgaard. 2024. Paris 2024. Une ville face à la violence olympique. Éditions Divergences.
Marc Perelman, 2021. 2024, les Jeux olympiques n’ont pas eu lieu. Éditions du Détour.