La justice censure à nouveau la commission d’aptitude aux fonctions de commissaire enquêteur de l’Isère, qui est composée, comme toutes ces commissions, en grande majorité par des maîtres d’ouvrage.
Déjà, l’année dernière, en mars 2023, la cour administrative d’appel de Lyon avait annulé la radiation illégale de Gabriel Ullmann prononcée par cette commission. Radiation de ses fonctions de commissaire enquêteur, à la demande du préfet de l’Isère Beffre, à la suite de son nombre d’avis défavorables jugé trop important lors de ses enquêtes publiques. Corinne Lepage avait qualifié ces commissions de « commissions bidon » dans une tribune parue dans le Monde.
Avant d’être réhabilité, Gabriel Ullmann s’était présenté à trois reprises devant la commission d’aptitude pour sa réinscription sur la liste des commissaires enquêteurs. A savoir en décembre 2020, 2021 et 2022. A chaque fois, sa candidature avait été rejetée. Le tribunal administratif de Lyon, par jugement du 15 mai 2024, a annulé les deux premières décisions. La première pour « méconnaissance des exigences du principe d’impartialité » de la commission d’aptitude, autrement dit pour sa partialité, la seconde pour « erreur manifeste d’appréciation ».
Gabriel Ullmann n’avait pas présenté de recours contre la décision négative de sa candidature de 2022, car le motif de refus avait été le même qu’en 2021 (l’illégalité constatée en 2021 valant pour cette année-là aussi). Ce qui fait quatre décisions illégales à son encontre, en quelques années. Le motif de refus en question se fondait uniquement, comme le souligne le tribunal administratif de Lyon, sur « les nombreuses procédures contentieuses qui font suite à sa radiation ne lui permettent pas d’exercer pour l’instant des fonctions de commissaire enquêteur dans de bonnes conditions ». Décisions non seulement illégales, mais anticonstitutionnelles en remettant en cause son droit le plus absolu au recours.
Le préfet de l’Isère ne s’y était d’ailleurs pas trompé en tentant de sauver ces décisions par des artifices de procédure (motif inventé, puis substitution de motif, demande de non-lieu à statuer, enfin procédure bâillon avec demande de 5 000 euros de dommages et intérêts pour « diffamation »). Tout cela en vain. Par ces motifs de refus, la commission s’érige en juge et partie et démontre son manque d’impartialité, car les recours en question concernaient… ses propres décisions. C’est un moyen de pression inadmissible. Gabriel Ullmann compte former un recours indemnitaire contre ces décisions illégales, comme la rapporteure publique du tribunal administratif de Lyon lui avait publiquement invité à le faire lors de l’audience ?
De façon générale, on assiste à des pressions de plus en plus vives de la part de ces commissions d’aptitude à l’encontre des commissaires enquêteurs qui se montrent trop critiques pour certains projets. Cette situation hautement préjudiciable s’inscrit parfaitement dans une société de plus en plus délétère.
Mais ce n’est pas tout : l’Etat vient d’être condamné, à deux reprises, pour des illégalités commises contre le commissaire enquêteur Gabriel Ullmann. A la suite de cette annulation, il avait fait un recours en vue d’être indemnisé pour le préjudice matériel et pour le préjudice moral. Le tribunal administratif de Lyon lui a donné à nouveau raison, dans un jugement en date du 15 mai 2024, et a condamné l’Etat « à verser à M. Ullmann une indemnité de 77 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 18 octobre 2022, date de réception de sa demande indemnitaire préalable, en réparation du préjudice que lui a causé l’illégalité de la décision du 6 décembre 2018 le radiant de la liste d’aptitude aux fonctions de commissaire enquêteur ». De plus, le tribunal « met à la charge de l’Etat le versement au requérant de la somme de 1 400 euros au titre des frais d’instance ».
Avant l’affaire Inspira (très gros projet industriel au sud de Lyon, pour lequel la commission d’enquête publique présidée par Gabriel Ullmann avait rendu un avis défavorable), qui avait été la cause de la radiation de ce commissaire enquêteur, il avait également émis un avis défavorable, à la suite d’ailleurs de celui du comité scientifique du parc national de la Vanoise, en qualité de commissaire-enquêteur pour l’enquête publique, qui s’est déroulée du 26 septembre au 28 octobre 2016. Enquête relative à la réalisation d’un réseau d’irrigation par aspersion de prairies de fauche (pour la fabrication du beaufort) sur le territoire des communes de Lanslebourg et Lanslevillard (73). Il s’agissait de détourner des torrents de montagne, dont l’un en cœur du parc national, tous classés réservoirs biologiques, pour en prélever une partie de la ressource. Le coût des travaux, des installations (et de leur entretien) était pris à 100 % en charge par les collectivités et l’Etat.
A la suite de cet avis défavorable, une réunion publique a été organisée par le maître d’ouvrage et les services de l’Etat, le 6 février 2017, à l’Office de tourisme de Lanslevillard afin d’informer les habitants des suites données au projet de réseau d’irrigation soumis à enquête. Là, le directeur départemental des territoires et le sous-préfet de l’arrondissement concerné, réaffirmant à cette occasion le soutien de l’Etat à ce projet, ont exprimé leur désaccord avec l’avis défavorable émis par le commissaire enquêteur, qui n’avait pas été convié à cette réunion, en des termes critiquant ce qu’ils considéraient relever d’un manque d’objectivité et d’un parti pris de Gabriel Ullmann fondé sur des opinions personnelles. Ces critiques ont été réitérées en termes analogues dans le rapport présenté le 15 février 2017 par les services de l’Etat au Conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst), dont sont notamment membres des représentants des collectivités, de l’Etat, des représentants des associations et des personnalités qualifiées.
Le tribunal administratif de Lyon, dans un autre jugement en date du 15 mai 2024, a jugé que « l’expression publique et en termes inutilement péjoratifs par les services de l’Etat de leur appréciation sur le travail et l’analyse de M. Ullmann, dont l’indépendance n’a toutefois pas été méconnue ni la probité mise en cause, est constitutive d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat ». Et le tribunal de condamner à nouveau l’Etat : « Il résulte de ce qui précède que l’Etat doit être condamné à verser à M. Ullmann la somme de 1 000 euros en réparation du préjudice que le comportement fautif des services de l’Etat dans le département de la Savoie lui a causé ».
Il s’agit là d’un nouvel exemple de comportements de l’Etat à l’encontre de la démocratie environnementale, en essayant de bâillonner, par des moyens illégaux, des experts, notamment, qui n’ont pas l’heur de souscrire à des projets anti-environnementaux.
Photo du haut : Gabriel Ullmann © DR