Après la COP28, les énergies fossiles vont-elles enfin décliner en 2024 ?

 

 

 

par Olivier Nouaillas

 

Un accord historique ou une coquille vide ? Après la conclusion de la COP28 à Dubaï, la plupart des commentateurs (diplomates, éditorialistes, scientifiques, activistes….) oscillaient entre ces deux appréciations contradictoires. Pas si étonnant que cela si on regarde de plus près la complexité du texte de 21 pages avec ses 196 recommandations négociées de haute lutte dans les coulisses de cette COP qui s’est tenue aux Emirats Arabes Unis du 30 novembre au 13 décembre 2023. Car comme l’a très bien résumé le climatologue Jean Jouzel, ancien vice-président du comité scientifique du GIEC et qui a participé a presque toutes les COP depuis leur lancement en 1995 à Berlin : « Ce texte est une auberge espagnole, chacun peut y voir ce qu’il veut : c’est un problème ».

Côté « historique » – ou, plus justement, inédit – le Global Stockage, nom du texte adopté lors de la COP28 à Dubaï, évoque, pour la première fois dans une COP l’avenir des énergies fossiles (gaz, pétrole, charbon) responsable de 80 % des émissions de gaz à effet de serre. Il était temps ! Certes, dans le texte adopté en anglais, il n’est pas question de phase out (sortie) des énergies fossiles, mais de transition away from fossil fuels in energy systems (soit la « transition hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques »). Et cette avancée sémantique, aussi tardive qu’indéniable on la doit, de façon paradoxale, à l’habileté diplomatique de Sultan Al Jaber, à la fois président de la COP et … président de la Abu Dhabi National Oil Company, principale compagnie pétrolière des Emirats Arabes Unis ! Un peu comme si un congrès mondial de lutte contre le tabagisme avait été présidé par un fabricant de tabac. Mais, c’est pourtant ce même Sultan Al Jaber, par ailleurs dirigeant d’une autre compagnie spécialisée dans les énergies renouvelables, qui a fait rentrer le mot, tabou depuis 28 ans, d’énergies fossiles, dans une résolution de COP adoptée à l’unanimité ! Et cela malgré l’intense lobbying des pays producteurs de pétrole, regroupés dans l’OPEP. Une avancée amenant François Gemenne, l’un des rédacteurs des rapports du GIEC, à estimer que « c’est le début de la fin des énergies fossiles qui a été acté ».

Cette avancée diplomatique sera-t-elle suffisante ? N’est-elle pas trop tardive, comme s’est lui-même interrogé Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU ? Car, côté coquille vide, le Global Text adopté à Dubaï pêche aussi par ses nombreux oublis. D’abord parce que cette « transition hors des énergies fossiles » ne comporte ni date, ni délai, ni contrainte juridique. Ensuite parce que, si pour arriver à se passer progressivement des énergies fossiles, le texte propose un triplement des énergies renouvelables (éolien, solaire, hydro-électricité) d’ici 2030 – un objectif atteignable – il propose aussi d’autres moyens plus discutables : comme le recours au nucléaire, le captage et stockage du C02 (une technologie à la fois coûteuse et pas du tout au point), voire le recours au gaz fossile comme « énergie de transition » ! Le tout sans même évoquer une seule fois l’engagement d’une économie mondiale tournée vers la sobriété énergétique. Enfin et surtout parce que les engagements par les Etats lors des COP ne sont pas toujours suivis d’effets. Or, le temps nous est compté. Avec un réchauffement climatique, qui d’année en année, bat tous les records. Comme en 2023, déclarée par l’Observatoire européen Copernicus la « nouvelle année la plus chaude jamais enregistrée depuis le début de l’ère préindustrielle ».

« On ne pourra juger la portée réelle du texte de la COP28 que plus tard, d’ici à 2025 », a rajouté le climatologue Jean Jouzel, fort de sa grande expérience des COP, qui naviguent, depuis leurs débuts, entre lentes avancées, mais aussi promesses non tenues. 2025, c’est, en effet, l’année où, selon les mots même figurant dans le sixième et dernier rapport du GIEC, « les émissions de gaz à effet de serre doivent avoir atteint leur pic pour nous garantir un avenir vivable ».

« Garantir un avenir vivable », c’est bien la question de l’habitabilité de la terre qui, selon les scientifiques, est posée par le changement climatique. Ni plus, ni moins. Et le 6e rapport du GIEC d’ajouter que pour la préserver : « Les émissions doivent être réduites de 43 % d’ici 2030 pour rester en dessous de 1,5°C », le seuil fixé par l’accord de Paris, lui aussi déjà qualifié d’ « historique » et signé par 196 pays lors de la COP21 en 2015. En prenons-nous le chemin ? Non. Pour le moment, l’addition des différents engagements de réduction des gaz à effet de serre pris par l’ensemble des 196 états signataires nous amèneà une possible baisse de 5 % des gaz à effet de serre à l’horizon 2030, bien loin des –  43 % jugés nécessaires par les scientifiques. Et peu avant le début de la COP28, l’ONU estimait que ces maigres efforts des Etats nous plaçaient sur une trajectoire de réchauffement de 2,5° C à 2,9° C d’ici la fin du siècle. Mieux que les 4° C à 5° C redoutés avant la signature de l’accord de Paris, mais qui, même autour de 3° C d’augmentation des températures, rendrait les conditions de vie très difficiles, voire impossibles dans certaines parties du globe.

Face à ce péril, l’année 2024 sera-t-elle enfin l’année de l’accélération des engagements pris lors des COP ? Ce n’est pas gagné, loin de là. D’abord, parce sur le plan diplomatique, Donald Trump, le chef de file des climato-sceptiques, peut redevenir président des Etats-Unis et de nouveau torpiller le fragile multilatéralisme de l’ONU (et donc des COP), lui-même déjà bien affaibli par les multiples guerres et conflits en cours. Ensuite, parce qu’une vague conservatrice et populiste risque de surgir lors des élections européennes de juin et d’enterrer définitivement le Green New Deal et son ambitieux plan climat. La COP29 est précisément fixée, fin 2024, à Bakou, en Azerbaïdjan, pays pionnier des hydrocarbures acheminés en … Europe. Les énergies fossiles n’ont, hélas, pas dit leur dernier mot. Témoin le fait qu’au lendemain du texte adopté lors de la COP28, le cours mondial des actions des différentes compagnies pétrolières n’a pas baissé d’un seul centime…

Ancien vice-président des JNE, Olivier Nouaillas est l’auteur du Changement climatique pour les nuls (First, 2014), de Quel climat pour demain ?, co-écrit avec Jean Jouzel (Dunod, 2015), et de l’ouvrage collectif Le Grand Atlas du Climat (Glénat, 2023).