Comment le droit peut-il évoluer pour se mettre davantage au service de la nature ? Dans le cadre des Jeudis de l’écologie, les JNE (Journalistes et écrivains pour la nature et l’écologie) et l’AJJH (Association des Journalistes du Jardin et de l’Horticulture) ont réuni ce 9 novembre 2023 à l’Académie du climat des experts juridiques pour partager leurs expériences. Pour eux, le droit doit davantage prendre en compte l’interdépendance des milieux.
par Anne Henry
« A 25 ans, je suis partie en Guyane française me former au droit coutumier amérindien non écrit, qui se transmet oralement de génération en génération. Je travaillais sur la restitution des terres aux peuples autochtones chez qui la propriété privée n’existe pas. J’ai découvert tout un tas de mondes juridiques liés aux différentes réalités ethnologiques. Le droit devrait se mettre au service de la société », raconte Marine Calmet, juriste en droit de l’environnement, présidente de l’association Wild Legal et auteure de Devenir Gardiens de la Nature. Un témoignage fort, durant cette soirée du 9 novembre, de celle qui a combattu sur place contre le projet de la Montagne d’Or (projet d’exploitation aurifère qui a fait l’objet d’un débat public en 2018 et a été abandonné en 2022) : « En 2018, le code minier ne faisait aucune place à la question environnementale. On était très démuni à l’époque. Mais une fois que les citoyens sont descendus dans la rue, alors enfin, le terme environnement a été introduit dans le code minier en 2021. » Une manière de montrer que la question du droit peut être tant un outil de statu quo vis-à-vis de la nature, qu’un outil de transformation au service de sa protection.
Créativité juridique
L’innovation au service du vivant a d’ailleurs toute sa place dans le droit. Laurent Fonbaustier, professeur de droit de l’environnement à l’université Paris-Saclay, n’en doute pas : « C’est un immense réservoir de créativité. Le droit a une capacité de créer des procédures, des concepts et des fonctions innovants. Même si pour l’instant, son efficacité en matière de protection de l’environnement nous laisse sur notre faim. Il y a un désajustement entre le discours du droit et ses effets sur le monde. » Selon cet expert, le droit permet trop encore de cautionner un système qui dysfonctionne. Par exemple : la compensation qui autorise de détruire à un endroit, pour replanter ailleurs.
Décentrer le droit
Le droit serait-il trop anthropocentré ? « Les code minier, forestier … ont du mal à prendre en compte les interdépendances qui existent dans la nature. Il faudrait davantage les inclure, notamment celles des humains avec le milieu où ils habitent », souligne Marine Calmet, qui travaille sur le droit de la nature de la Garonne au sein de l’association Wild Légal. Pour Laurent Fonbaustier, il faudrait aller plus loin pour envisager une personnification juridique de la nature. Un sentiment partagé par Augustin Bonnardot, forestier arboriste conseil au Conseil d’Architecture d’Urbanisme et de l’Environnement (CAUE) de Seine-et-Marne, qui constate qu’il n’y a pas de droit qui protège les arbres remarquables sur le long terme. En attendant une évolution du droit dans ce sens, « on a élaboré une méthode de calcul pour donner aux gestionnaires une valeur financière des arbres et des dégats en cas de dégradation : le barème de l’arbre », annonce ce spécialiste du droit des arbres.
Cette conférence intervenait le même jour que l’annulation par le Conseil d’Etat de la dissolution de l’association des Soulèvements de la Terre (mouvement écologiste qui revendique des actions d’occupations au nom de la défense de l’environnement, notamment lors des protestations contre la retenue d’eau de Sainte-Soline en mars 2023). Comme quoi le droit peut se mettre aussi au service de la préservation des libertés associatives environnementales.
Retrouvez l’intégralité du débat « Comment le droit peut aider le vivant », animé par Sylvie Ligny et Isabelle Vauconsant, adhérentes des JNE et de l’AJJH (Association des Journalistes du Jardin et de l’Horticulture, sur la chaîne YouTube des JNE.
Retrouvez les extraits les plus marquants de notre Jeudi de l’écologie
Marine Calmet : la plus grande menace pour les droits humains, c’est la destruction du vivant
Augustin Bonnardot : dans le droit, l’arbre est considéré comme une chose
Laurent Fonbaustier : nous vivons un choc des imaginaires
Marine Calmet : le droit encadre les relations avec le vivant
Augustin Bonnardot : Améliorer le droit des arbres
Laurent Fonbaustier : créer une hiérarchie dans le droit
Marine Calmet : le lien entre culture et protection de la biodiversité est reconnu.
Photo du haut : de gauche à droite, Isabelle Vauconsant, Laurent Fonbaustier, Marine Calmet, Augustin Bonnardot et Sylvie Ligny, à la tribune du Jeudi de l’écologie sur le thème « Comment le droit peut aider le vivant ? », le 9 novembre 2023 à l’Académie du Climat (Paris) © DR