Parce que l’eau c’est la vie, deux jeunes femmes ont décidé de partir en kayak depuis les Hautes-Pyrénées en suivant l’Arros, puis l’Adour, « avec pour seul capitaine l’amour du vivant ».
par Michel Cros
Pourtant, le parcours de l’Adour, classé difficilement navigable, aurait de quoi décourager. Ce fleuve qui se jette dans le golfe de Gascogne, par un estuaire jadis très dangereux, a changé d’embouchure plusieurs fois dans le dernier millénaire. Les embarcations de Mathilde et Mona, initiatrices du projet Gouttes d’eau vers l’Océan, ont été mises à flot le lundi 17 juillet 2023 au matin sur l’Arros, affluent de l’Adour, depuis la rive longeant l’abbaye de l’Escaladieu (monastère cistercien). Trois autres volontaires les suivent. Au fil des escales, viendront d’autres kayakistes, tout un chacun se sentant l’âme d’un capitaine au long cours… C’est qu’il faut tenir les 300 km qui serpentent à travers le territoire occitan jusqu’à l’océan.
Ils étaient donc cinq au départ de ce périple aquatique insolite. Mais les organisatrices espèrent bien que leur voyage sur l’eau sera rejoint par d’autres hardis téméraires du canoé-kayak ; nul besoin d’être un professionnel de la rame. Seul le désir de vivre cette aventure retient l’attention. Et c’est porteur ! L’appel est lancé, et voilà l’opération en route jusqu’à la mer à Anglet, en passant par Cabanac, Riscle, Cazère-sur-l’Adour, Saint-Sever, Audon, Dax, Urt…
Au passage de ces escales, la courageuse équipe est suivie de volontaires ponctuels qui les accompagnent, certains à pied ou à vélo, pour le nettoyage d’encombrants ou réaliser quelques prélèvements d’eau en guise d’échantilllonnages représentatifs. Mais c’est surtout la rencontre avec le vivant qui inspire ces participants enthousiastes à expérimenter quelques moments précieux avec poissons, oiseaux, mammifères aquatiques et… humains.
J’ai pour ma part eu le privilège, alors qu’on attendait leur arrivée sous un petit pont de pierre, peu avant l’abbaye Notre-Dame à Tournay (non loin de Tarbes), de voir l’éclosion d’une libellule grâce à Laurent, un accompagnateur qui m’a montré la frêle chrysalide de la nymphe posée sur un galet de la rive. Un moment inoubliable. Magique !
A l’heure où le vivant est menacé sous toutes ces formes, il faut saluer une telle initiative citoyenne pour aller à l’écoute de la nature, et vivre une aventure dans sa région tout en la respectant et la protégeant. Tel est le souhait en tous cas de Gouttes d’eau vers l’Océan, qui a su recréer un lien important avec cet élément indispensable à la vie qu’est l’eau, en le faisant partager avec tous ceux ou celles qui se sentent concernées. Et insuffler l’inspiration !
C’est à la suite de la lecture d’un roman intitulé La jeune fille et le fleuve que cette idée a d’ailleurs germé voilà deux ans dans l’esprit de Mathilde, qui s’est empressée de s’en confier à Mona.
Des rencontres devraient s’organiser tout au long du périple. Et même après. L’occasion d’être à l’écoute d’anecdotes ou histoires qui concernent bien entendu l’eau. Mais aussi, des inquiétudes ou désirs… Les organisatrices ont déjà recu des messages d’encouragements et même quelques ouvrages sur ce thème, comme cette dame qui a envoyé par la poste ce livre Poétique de l’Adour, des sources à l’embouchure (Ed. La Malle d’Aurore, 2005).
En voici un extrait :
« Suivant notre position géographique, nous avons conscience d’habiter près d’un ruisseau, d’une rivière, ou bien d’un fleuve. La géographie, l’histoire, la littérature, la poésie, nous permettent par contre, d’avoir conscience de la totalité du fleuve, de ses métamorphoses, de son mouvement, de ses divers paysages, des représentations diverses qu’il suscite.
L’approche poétique est singulière et plurielle, tout comme le fleuve lui-même. Elle aborde le fleuve dans sa dimension imaginaire, symbolique, mythologique. En se penchant sur l’eau en mouvement, le poète pointe d’emblée l’ambiguïté de son origine, l’énigme de son devenir dans l’espace aussi bien que dans le temps, le mystère de ses métamorphoses au seuil d’un autre monde. »
Belle preuve d’amour entre l’humain et la nature.