Le 7 juin 2023, l’Académie des sciences a publié un rapport sur les forêts françaises face au changement climatique. Les forêts métropolitaines ont un stock de carbone de 2786 millions de tonnes de carbone, dont la moitié se trouve dans la litière et la couche supérieure du sol (30 cm), soit le deuxième en importance après les zones humides. Or ce puits est passé de 53Mt CO2/an à 32 Mt CO2/an entre 2015 et 2020 du fait de la mortalité naturelle qui a augmenté de 54 %, des prélèvements qui ont augmenté de 20 % et de la production biologique nette qui a diminué de 10 % entre 2005-2013 et 2012-2020 selon l’IGN.
par Jean-Claude Génot
Ce bilan est inquiétant car le rôle de puits et de stockage de carbone des forêts est un élément important de la Stratégie Nationale Bas Carbone. Cette dernière, en cours de révision, prévoit d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Or si on continue à produire plus de bois pour pallier les énergies fossiles au travers du bois énergie et si on favorise la production de matériaux bois à plus longue durée de vie, le puits de carbone va baisser à cause de l’exploitation et de la transformation des bois. Les forêts risquent donc de ne plus pouvoir jouer leur rôle pour équilibrer le bilan carbone de la France face au changement climatique. C’est justement le changement climatique qui, à cause des sécheresses, provoque une baisse de la productivité et une recrudescence des pathogènes entraînant des dépérissements massifs, sans oublier les risques incendies comme ceux de 2022.
Ce rapport souligne également le risque d’une augmentation des coupes : une très forte augmentation des prélèvements pourrait conduire à une perte nette de stock de carbone par les écosystèmes dans la prochaine décennie. Il pointe clairement la responsabilité de la gestion forestière dans la dégradation des forêts face au changement climatique : certaines décisions en matière de gestion forestière peuvent avoir des effets aussi importants que ceux du changement climatique. Parmi les pratiques sylvicoles dont le rapport souligne les effets néfastes, figurent bien entendu les coupes rases. Si celles-ci sont accompagnées d’une récolte des souches et des houppiers ainsi que d’un travail mécanisé du sol, elles peuvent générer un déstockage important du carbone du sol, d’où une « dette carbone » sur plusieurs décennies. Les coupes rases occasionnent d’autres impacts négatifs : sur la fertilité et le fonctionnement des sols, sur de nombreuses espèces vivantes, sur le paysage et sur le micro-climat. La filière bois n’est pas oubliée puisqu’après avoir reconnu le rôle important qu’elle a à jouer dans la transition énergétique, les auteurs du rapport estiment que la filière « devra optimiser son bilan carbone depuis le prélèvement en forêt jusqu’au recyclage des produits bois et des connexes de scierie. Sa réindustrialisation doit être soutenue afin de permettre la transformation du bois français en France, le développement des produits bois à longue durée de vie, la valorisation des bois de feuillus, et une maîtrise à court terme des volumes de produits à courte durée de vie ». On se doute bien que ces recommandations ne sont absolument pas remplies aujourd’hui.
Le rapport se termine par des recommandations, notamment en matière de gestion forestière. En dehors d’éviter les coupes rases, il est recommandé d’appliquer une sylviculture à couvert continu avec des éclaircies progressives pour une meilleure préservation du carbone des sols et du bois mort, essentiel pour la diversité biologique forestière. Mais aussi, le rapport n’en parle pas, pour éviter l’évapotranspiration des sols en cas de fortes chaleurs car les fortes éclaircies ne permettent plus de conserver une ambiance forestière ombragée. Pour cela, la régénération naturelle doit être privilégiée. La diversité des espèces est recommandée. Pour augmenter la diversité génétique des arbres, il est vital de ne pas éclaircir les jeunes peuplements pour rendre la sélection naturelle plus efficace à ce stade. Le recours à des espèces exotiques ne doit être envisagé que si les espèces autochtones ne peuvent plus se maintenir. Leur recours sera alors effectué de façon expérimentale et contrôlée avec une analyse des risques (ce qui n’est pas le cas actuellement).
Pour pallier les risques d’incendie, il est recommandé d’avoir recours aux feuillus, moins sensibles, et d’adopter une structure qui rend les peuplements moins vulnérables au feu. Le rapport recommande également de conserver des arbres de plus de 150 ans car, au-delà de leur importance pour de nombreuses espèces liées aux stades âgés, ils possèdent une diversité génétique fondamentale pour adapter les populations d’arbres au changement climatique. Enfin, il est demandé de ne pas raccourcir les rotations de coupe (comme cela est le cas actuellement en forêt publique) au risque de ne pas équilibrer le bilan carbone et de trop acidifier les sols. La préservation des sols doit passer par l’emploi d’engins mécaniques moins lourds, mais cela ressemble à un vœu pieux tant la mécanisation s’est imposée en forêt depuis 20 ans avec les abatteuses. Un passage du rapport constitue encouragement pour tous ceux qui veulent préserver les vieilles forêts : bien que la libre évolution représente le mode de gestion actuellement le plus efficace pour piéger puis stocker durablement le CO2, et pour maintenir d’autres contributions importantes des forêts, la France a besoin d’exploiter une partie de ses forêts pour produire sur son territoire les produits biosourcés dont elle a besoin, réduisant ainsi sa dépendance vis-à-vis de produits plus émissifs lors de leur production ou du fait de leur importation. Toute la question est de savoir quelle proportion doit être exportée et à quel rythme. Voilà un choix cornélien qu’il ne faut surtout pas laisser aux seules mains de la filière industrielle et des pouvoirs publics. Finalement, si le puits de carbone de la forêt française diminue, ce n’est pas seulement à cause du changement climatique, mais surtout en raison de l’augmentation des prélèvements.
Photo du haut : cette forêt en réserve intégrale depuis 20 ans a doublé son volume de bois et couvre parfaitement le sol. Le moyen le plus efficace pour stocker durablement du CO2 © J.C. Génot