Les JNE ont appris avec beaucoup de tristesse le décès de notre adhérent Alain Bué, survenu le 8 mai dernier. Avec notre ancien président Claude-Marie Vadrot, ce géographe avait été l’un des rares Français présents au tout premier Sommet de la Terre, à Stockholm en 1972, et était un habitué des voyages de presse des JNE. L’un de nos membres, qui l’a bien connu, nous retrace sa personnalité et son parcours.
par Christian Weiss
J’ai souvent observé en connivences les 1,90 mètre d’attentions et de bienveillance d’Alain … Alain, le géographe, avait gardé de l’enfance cet entêtement à toujours interroger et demander pourquoi. Lors de nos voyages en Europe, en Afrique, en Amérique du Sud où partout se posaient des enjeux environnementaux … Je l’avais croisé à nouveau dans les couloirs de Paris VIII, alors que j’errais en finissant de rédiger un petit mémoire de licence d’audiovisuel sur les 400 coups de François Truffaut, dont je connaissais toutes les répliques, proche de ces enfants dont les parents se plaignaient qu’ils avaient « le diable au corps » …
Connaissant mes penchants pour l’écologie, Alain m’avait alpagué de sa voix de basse vers le département de géographie de Paris VIII, lui-même étant à l’origine de l’enseignement de cette approche scientifique des interrelations Homme-Nature dans cette discipline. J’ai enchaîné les mémoires sur le maillage paysager, le bocage, l’origine des chemins ruraux … toujours sous sa tutelle prévenante. J’avais déjà la musique, mais il m’a enseigné le « solfège », afin d’apprendre à transmettre le meilleur au plus grand nombre. Il a été l’un de mes directeurs de mémoire, prenant soin de me mettre en garde vis-à-vis des intolérances et des sectarismes.
Alain entretenait une profonde connaissance de l’histoire ouvrière et de la naissance du mouvement écologique en France et a éveillé la curiosité de centaines d’étudiants ayant suivi ses cours. Il ne s’est jamais adapté à la couleur du temps et s’est inlassablement battu du côté de la barricade qu’il avait choisi, ne se décourageant pas de manifester à chaque occasion qu’il jugeait opportune. D’une cohérence rarement prise en défaut, il collectait parfois – comme un biffin – dans les poubelles ce que nous jetons inconsidérément et le réparait. Lors des stages de fin d’année des étudiants en géographie, il nous faisait découvrir ou redécouvrir l’intimité des pays de France, le Larzac et son histoire emblématique d’une des premières ZAD des années 70, la Bourgogne et son patrimoine viticole, le Jura et la gestion des prairies fleuries et des bois pâturés, Belle-Île et sa côte sauvage, le Diois, où les eaux modèlent les schistes argileux, les Baronnies et le Vercors karstique …
Avec les JNE, nous avons partagé des voyages qu’aucun touriste ne connaîtra, au Burkina Faso de Thomas Sankara, déjà impacté dramatiquement – voici 40 ans – par le changement climatique, et où les femmes entassaient des pierres pour construire des diguettes afin de retenir l’eau devenue rare pour jardiner … En Guyane, pour rencontrer, en pirogue, les amérindiens au-delà de Maripasoula, et nous informer sur l’orpaillage clandestin, le braconnage, en percevant le chant des singes hurleurs à l’aube. A Malte, empreinte de traditions figées et d’Histoire …
Alain avait également choisi d’implanter ses nouvelles racines avec Brigitte et ses enfants au cœur des Cévennes, au Mas Clauzel qu’il ne se lassait pas de réhabiliter, pièce après pièce, afin d’y accueillir amis et stages étudiants … Intarissable sur ce pays qu’il avait en âme, symbole de résistance, camisards brûlés vifs par l’inquisition des dragons de Louis XIV, maquisards et populations solidaires des juifs, pourchassés par Vichy et les nazis … Alain avait fait du Mas un lieu de rencontres et de débats … où nous étions bercés la nuit par le chant des petits ducs et où il incarnait un grand-duc des Cévennes sans autre titre qu’humain. Qu’il reste en nos cœurs, sous toutes latitudes.
Les JNE adressent leurs condoléances à sa famille et à ses proches.
Photo du haut : Alain Bué (JNE), maître de conférences… et de chais © Christian Weiss