Dès les premiers jours du mois de ramadhan, la lutte contre le gaspillage alimentaire, voulue par les pouvoirs publics algériens, est allée de pair avec les assurances, tout aussi officielles, que les marchés seront abondamment approvisionnés dans toutes les denrées habituellement consommées avec excès durant cette période.
par M’hamed Rebah
Le Conseil des ministres tenu peu avant le début du ramadhan (le 23 mars) a donné deux instructions qui peuvent être perçues comme contradictoires ou complémentaires selon le point de vue de chacun : éviter toute forme d’austérité pour ce qui est de l’approvisionnement des citoyens en produits de large consommation et œuvrer progressivement à l’adoption d’un mode de consommation sain pour le citoyen algérien. Dans ses vœux adressés au peuple algérien à cette occasion, le président de la République a appelé les Algériens à « éviter les mauvaises habitudes de consommation, notamment le gaspillage, sous toutes ses formes ».
La lutte contre le gaspillage alimentaire
La première sortie médiatique de la nouvelle ministre de l’Environnement et des Energies renouvelables, Fazia Dahleb, une semaine après sa prise de fonction, a consisté à lancer une campagne nationale de sensibilisation « spéciale mois de ramadhan » visant à « réduire le gaspillage alimentaire » et à « renforcer la consommation rationnelle, notamment de l’eau et de l’énergie et à rejeter les comportements qui portent atteinte à l’environnement, dont principalement la consommation excessive et le jet anarchique des ordures ». Le slogan de la campagne « Mange et ne gaspille pas » indique que l’accent est mis sur le gaspillage alimentaire. La ministre souhaite la participation de la société civile à cette campagne pour lui donner toute l’efficacité attendue.
Spécialement ciblé par les campagnes de sensibilisation, le pain. Or, pour les six premiers jours de ramadhan, Net Com (entreprise publique de ramassage des déchets ménagers à Alger), citée par un confrère, estime à 2 tonnes la quantité de pain jetée à la poubelle et collectée, dans une partie seulement de la capitale. Cela signifie que l’appel des pouvoirs publics n’a pas été entendu ou n’a pas été suivi. En fait, cette observation indique que, pour une raison inconnue, la population ne participe pas à l’action de lutte contre le gaspillage alimentaire ni à la campagne pour réduire la quantité de déchets. La ministre de l’Environnement et des Energies renouvelables a rappelé que le mois de Ramadhan connaît une augmentation de la quantité des déchets ménagers de l’ordre de 10 %, qui correspondent sans aucun doute à l’accroissement de déchets alimentaires (restes de repas encore comestibles et aliments non consommés, comme le pain) ainsi que les déchets d’emballage. Cette année, les premières estimations montrent que la tendance n’a pas été modifiée ni, encore moins, inversée.
A l’origine du gaspillage alimentaire, aux antipodes de la sobriété logiquement attendue dans le contexte de crise alimentaire mondiale, il y a le comportement irrationnel, apparemment incorrigible, d’une grande partie de la population durant le ramadhan. En avril 2022, une étude nationale s’étalant sur un an a été lancée par l’Agence nationale des déchets (AND), qui relève du ministère de l’Environnement et des Energies renouvelables, pour connaître les niveaux de gaspillage alimentaire chez les familles algériennes et chez les opérateurs économiques publics et privés. Avec les résultats de cette étude, l’AND disposera ainsi des indicateurs pour mesurer l’ampleur de ce qui est qualifié, en Algérie, de fléau du gaspillage alimentaire, et pour établir sa feuille de route afin d’y remédier. Selon les responsables de l’AND, il s’agit de définir les opérations à engager pour éviter le gaspillage alimentaire, élaborer des applications permettant de localiser les lieux de gaspillage, et mettre en place, en coopération avec la société civile, des programmes de collecte des restes alimentaires.
En attendant, les pouvoirs publics mènent des campagnes de sensibilisation dont l’impact sur la population reste encore très faible, comme le démontrent les chiffres de Net Com. Le message des pouvoirs publics vers la population ne passe pas. Pourquoi ? Les indications que fournira l’étude de l’AND pourraient également aider à comprendre le manque d’efficacité des campagnes de sensibilisation reconduites chaque année, à l’occasion du mois de ramadhan. Le gaspillage alimentaire a un coût économique. C’est ce qui pousse les autorités à s’en préoccuper. Dans une grande proportion, les aliments jetés sont produits à l’aide d’intrants qui nécessitent, pour leur importation, des sommes considérables en devises. Pour les produits agricoles frais, c’est, en plus, l’eau, une ressource rare, qui part en pure perte avec les aliments jetés dans les poubelles.
L’intérêt porté au gaspillage alimentaire par le ministère de l’Environnement et des Energies renouvelables, est particulier.
Les nuisances sonores
Autre fléau du mois de ramadhan, les nuisances sonores ne bénéficient pas de la même attention. Personne, en Algérie, ne s’intéresse aux dégâts causés par le bruit, sur la population et sur l’économie. Peu d’études ont été faites sur les nuisances sonores. On ignore ce qu’elles coûtent en devises au pays. On ne sait pas ce que dépense le pays pour lutter contre le bruit, alors que les sommes allouées aux domaines des déchets et des eaux usées, par exemple, figurent dans les rapports officiels.
Le bruit, interdit par la loi, ne fait l’objet d’aucune limitation, à croire qu’il est toléré. Dans les grandes villes, et a fortiori en plein centre, les espaces publics (places, jardins, squares,..) ne permettent pas la tranquillité indispensable aux citadins, assaillis par les nuisances sonores qui surgissent de partout : des motos qui pétaradent, des voitures qui les imitent, klaxons abusifs, sirènes, coups de sifflet, volume de l’autoradio à fond, cortèges de mariage avec orchestres ambulants,… Autant de formes devenues banales, et impunies, d’incivisme portant atteinte à l’ordre public. Une des sources de pollution sonore dont souffre la population se trouve également dans les activités dites culturelles ou de loisirs (concerts bruyants de musique avec des hauts parleurs posés sous les fenêtres d’habitations) organisées par les autorités locales sur la voie publique, qui se prolongent tard le soir, provoquant un vrai tapage nocturne, au mépris de la tranquillité des riverains et de la loi, et contraire au droit à un environnement sain proclamé par la Constitution. Le comble : le bruit provoqué par les opérations de ramassage des ordures et de lavage des voies publiques.
En octobre 2022, le ministère de l’Environnement et des Energies renouvelables a annoncé le choix de six sites pilotes pour la mise en œuvre de sa feuille de route relative à l’amélioration du cadre de vie au niveau des cités urbaines et des nouvelles villes. La feuille de route adoptée en Conseil des ministres, huit mois avant, a été élaborée en étroite collaboration avec le ministère de l’Habitat, de l’Urbanisme et de la Ville. Elle est inspirée par deux documents peu connus : une charte pour l’amélioration du cadre de vie au niveau des cités urbaines et des nouvelles villes, et une charte sur la citoyenneté environnementale. La lutte contre les nuisances sonores fait-elle partie de la feuille de route ? Autrement dit : le confort sonore est-il pris en compte dans le cadre de vie ? Rien n’est moins sûr. Pour le ministère, « il s’agit notamment d’accorder davantage d’intérêt aux espaces verts, d’œuvrer à la gestion efficace des déchets ménagers, outre le lancement d’opérations d’embellissement de l’environnement, et de lutte contre toute forme de dégradation ».
Pour mesurer la régression dans ce domaine, il faut savoir qu’en 1980, un guide des collectivités locales, élaboré par le ministère de l’Intérieur, donnait aux responsables locaux, un modèle d’arrêté communal concernant le bruit. Dans la loi du 2 décembre 1991, relative aux réunions et manifestations publiques, l’article 20 ter stipule que « l’installation ou l’utilisation de sonorisation fixe, momentanée ou définitive, est soumise à autorisation préalable du wali ». En 1993, un décret, toujours valable, que l’on doit à Belaid Abdesselam, qui était chef du gouvernement à l’époque, fixe les seuils d’intensité de bruit à 70 décibels (db), entre 6 heures et 22 heures, et 45 db, de nuit, avec une réduction de ces seuils à 45 db et 40 db aux alentours des hôpitaux.
La loi sur l’environnement de juillet 2003 soumet les activités bruyantes dans les espaces publics au régime très strict des installations classées qui impose une étude d’impact. La loi vise les travaux d’utilité publique (réparation de canalisations d’eau ou réfection d’une chaussée, par exemple) et non pas les concerts de musique qui peuvent être délocalisés vers des lieux éloignés des habitations. Un des principes sur lesquels est fondée la loi est le principe de substitution, selon lequel « si, à une action susceptible d’avoir un impact préjudiciable à l’environnement, peut être substituée une autre action qui présente un risque ou un danger environnemental bien moindre, cette dernière action est choisie même, si elle entraîne des coûts plus élevés, dès lors que ces coûts sont proportionnés aux valeurs environnementales à protéger ». L’article 74 de la loi stipule que les activités bruyantes de plein air, susceptibles, par le bruit qu’elles provoquent, de présenter des dangers nuisibles à la santé des personnes, de leur causer un trouble excessif ou de porter atteinte à l’environnement, sont soumises à autorisation dont la délivrance est soumise à la réalisation de l’étude d’impact et de la consultation du public. L’article 108 de la loi prévoit des sanctions contre les fauteurs de bruit : deux ans d’emprisonnement et 200.000 DA (environ 1350 euros) d’amendes.
Quand, en infraction à la loi, des concerts de musique sont organisés près d’habitations, il s’avère pratiquement impossible de maîtriser le volume sonore pour l’aligner sur les seuils fixés par la réglementation en vigueur (décret de 1993). Visiblement, les services techniques des communes ne sont pas équipés d’appareils homologués pour mesurer le niveau de bruit, ni dotés du personnel en mesure de le faire, en supposant qu’il y ait la volonté de réduire les nuisances sonores. Selon les spécialistes, « le bruit a non seulement un impact négatif sur les capacités auditives de l’individu, il perturberait même ses performances cognitives et peut également nuire à son état psychique, suscitant de nombreux troubles dont la dépression et cardiovasculaires, en plus des troubles du sommeil (allant des réveils intempestifs à l’insomnie) ». Mais ces effets sont sous estimés, ce qui explique la complaisance observée à l’égard des fauteurs de bruit. De plus, l’impact financier des nuisances sonores retombe sur les citoyens contraints de recourir à des soins coûteux pour les affections liées au bruit prétendument autorisé.
Cet article a été publié dans La Nouvelle République (Alger) du samedi 1er avril 2023.
Image du haut : campagne de la FAO (Organisation des Nations-unies pour l’agriculture et l’alimentation) contre le gaspillage alimentaire