En cette période de mauvais temps pour la planète, la communication de l’ONF est faite de mauvaise foi, de désinformation et de verdissement.
par Jean-Claude Génot *
François Terrasson (FT) (NDLR membre des JNE) s’intéressait beaucoup à la forêt et critiquait vivement « les idéologues de l’artificialisation des forêts ». Ses observations visaient à décrypter la philosophie qui se cachait derrière le geste du destructeur de la nature, pas étonnant qu’il se soit penché sur le discours et les actes de l’ONF qu’il considérait comme un « micro-Etat totalitaire ». Dans l’essai biographique (1) que je lui ai consacré, une citation concernant ce qu’il nommait non sans humour, « l’Office National des Fourrés », n’a pas vieilli et conserve toute sa pertinence.
Cette citation illustre ce que FT aimait à dénoncer : le double langage et les mots servant d’écran de fumée : « L’Office national des forêts tient pourtant un langage séduisant. Tous les poncifs et lieux communs du vocabulaire écolo y sont repris, retournés et pervertis. Ce n’est pas en une page qu’on analyse ces performances dans le domaine de la persuasion clandestine. Mais on peut comprendre vite la force des mythes anti-nature qui sont à l’œuvre. L’adoration de l’artifice y est une nouvelle religion masquée sous des arguments économiques ou pseudo-écolo ». On ne manque pas d’exemples pour illustrer la communication de l’ONF, faite de mauvaise foi, de désinformation et de verdissement en cette période de mauvais temps pour la planète.
Ainsi pour la sylviculture dynamique, devenue la règle depuis plus d’une dizaine d’années en forêt domaniale, l’adjectif dynamique a tout pour plaire. Pourtant, cette sylviculture dynamique a pour but d’obtenir rapidement du bois exploitable, en pratiquant des éclaircies fortes dans les jeunes stades et en obtenant une densité d’arbres moins grande au stade adulte. En clair, ce dynamisme va raccourcir le cycle forestier déjà bien amputé des phases de maturité et de sénescence dans une sylviculture classique, donc rajeunir la forêt. C’est une étrange façon de répondre aux deux défis du XXIe siècle, celui de l’extinction du vivant en rajeunissant les forêts, donc en privant de leur habitats les espèces strictement inféodées aux arbres vieux et sénescents et celui du changement climatique en favorisant l’évapotranspiration des sols dans des forêts rendues plus claires par de fortes éclaircies.
Face au dérèglement climatique, l’ONF propose de créer des îlots d’avenir. Ces deux mots ont l’air rassurants, mais ils cachent en réalité pour les îlots, des plantations, et pour l’avenir, des espèces d’arbres exotiques censées mieux résister au réchauffement climatique. Le corps des forestiers a l’air si sûr de lui qu’il pense réellement que ces arbres vont résister aux sécheresses, aux froids, aux pathogènes (champignons, insectes), d’où l’avenir, vert bien entendu. Pourtant le dépérissement massif des épicéas plantés en plaine devrait rendre les forestiers prudents face aux nouvelles espèces exotiques (pin laricio, séquoia toujours vert ou cèdre de l’Atlas entre autres). Et tout cela sans aucune évaluation scientifique de l’impact de ces exotiques sur le milieu forestier. Ces îlots d’avenir sont présentés comme des expérimentations qui représentent 3 % des forêts domaniales, soit 3 fois plus que les îlots de sénescence où on ne coupe plus les arbres.
Connaissez-vous la forêt mosaïque ? C’est un nouveau concept de l’ONF apparu dans le Grand Est qui a pour objectif de « renforcer la diversification des essences, par des expérimentations menées dans des îlots d’avenir, et varier les modes de sylviculture ». Comment ne pas adhérer au projet de faire de la forêt une mosaïque, qui rime avec diversité des espèces d’arbres et des modes de sylviculture.
Le dessin en couleur figurant en haut de cet article illustre cette nouvelle opération de communication et présente les choses de façon avantageuse. Il donne le sentiment que futaie régulière (sur une parcelle donnée tous les arbres ont le même âge) et irrégulière (les arbres ont des âges différents) font presque jeu égal alors que la futaie régulière est très majoritaire en forêt domaniale. Il présente le taillis et le taillis sous futaie alors que dans le Grand Est, ces modes de sylviculture ont quasiment disparu, notamment le taillis sous futaie qui a été « converti » en futaie régulière. Les modalités de protection de la nature (réserve biologique, îlot de sénescence, îlot de vieillissement) semblent elles aussi avoir une bonne place dans ce dessin, alors qu’en réalité le total ne dépasse pas 1 % en forêt domaniale. Les arbres individuels, dotés de dendro-micro-habitats (cavité naturelle, trou de pic, branche morte, décollement d’écorce, etc.), et conservés dans les parcelles exploitées sont au nombre de 3 par ha, ce qui est dérisoire. Tous ces divers éléments constituent une trame de vieux bois dont chaque forêt domaniale doit être dotée. S’il existe un tel dispositif, c’est bien parce que, à part ce « 1% naturel », la forêt sera rajeunie sur tout le reste! Notons au passage que l’îlot d’avenir est devenu îlot de test en gestion et que espèce exotique est remplacé par essence nouvelle. Ou comment jouer la prudence et éviter les mots qui fâchent… Enfin la diversification des essences se résume à l’introduction d’exotiques, alors que de nombreuses espèces autochtones pourraient être favorisées dans les régénérations naturelles. Mais que voit-on au ras du sol ? Une forêt quadrillée géométriquement de routes, de chemins, de pistes, de cloisonnements (couloirs de 2 à 3 m de large tous les 10 à 12 m empruntés par les abatteuses) et de layons (délimitation entre les parcelles) qui ruinent la continuité forestière de ce qui est, en réalité, une mosaïque de champs d’arbres.
Depuis le « produire plus » du Grenelle de l’environnement et le lancement du programme national de la forêt et du bois qui fait la part belle aux plantations et aux coupes rases qui provoquent de nombreuses protestations partout en France, le ministère de l’Agriculture a incité le monde forestier à « communiquer » auprès du public pour convaincre de la nécessité de couper du bois. L’ONF a installé des panneaux destinés au public lors des chantiers de coupe.
Le premier panneau (photo ci-dessus) indique en titre : « Pour renouveler la forêt, parfois il faut couper ! » Admirez l’emploi du parfois, alors que la coupe est systématiquement employée pour renouveler la forêt quel que soit le mode de sylviculture. Qui plus est, dans une forêt de chênes, on ne se contente pas de faire des coupes rases sur des trouées de quelques dizaines d’ares, mais on pratique en plus un girobroyage de toute la végétation concurrente du chêne (photo ci-dessous).
On lit également sur ce panneau : « Les bois laissés au sol le protègent et contribuent à sa reminéralisation ». Or ce panneau est lié à un chantier de coupe pour le bois énergie où les arbres de faible dimension ont été mis en tas en bord de chemin avec leur feuillage (photo ci-dessous), ce qui entraîne une exportation des nutriments contenus dans les feuilles et les brindilles et compromet la productivité des sols.
Sur ce sujet, silence radio ! Le second panneau (photo ci-dessous) est installé sur un chantier de coupe d’arbres dépérissant et affirme que « la coupe des arbres doit être rapide afin de lutter contre la propagation des parasites au reste de la forêt ». Le terme parasite est utilisé sciemment pour justifier la coupe auprès du public. Les « parasites » dont il est question sont des insectes xylophages nommés scolytes qui s’attaquent aux résineux (épicéa, sapin) affaiblis par la sécheresse et qui dégagent des substances chimiques attirant les scolytes. Ces insectes font partie de la forêt et ils se répandent d’autant plus facilement que la forêt est mono-spécifique.
Couper les arbres pour éviter leur propagation au reste de la forêt est un argument fallacieux car les spécialistes de ces insectes considèrent qu’il n’existe aucune preuve solide pour confirmer l’intérêt des coupes sanitaires (la récolte des arbres dépérissant) pour réduire ou arrêter les pullulations de scolytes dans les forêts de conifères (2). Selon ces chercheurs : « Il a parfois même été observé que les coupes sanitaires ont contribué à augmenter la mortalité des arbres sur pied en rendant le microclimat plus chaud et donc plus favorables aux scolytes en bordure des coupes rases. » Mais si l’argument du vilain parasite n’arrivait pas à convaincre le bon citoyen, il reste celui de sa sécurité, garantie par les coupes. Pas un mot sur l’importance de conserver du bois mort sur pied ou au sol – une occasion rêvée avec ces dépérissements – qui maintiennent l’humidité en forêt et enrichissent le sol. Après une coupe qui s‘impose, il est question de faire repousser la forêt ; le panneau stipule que ce sera fait de « manière naturelle lorsque c’est possible (régénération naturelle) ou en plantant des arbres, si nécessaire ». Or il y a toujours de la régénération naturelle en forêt, mais les forestiers ne vont pas avouer qu’ils préfèrent planter pour forcer la forêt à faire pousser les arbres qui les intéressent.
Cette façon de désinformer le public pour lui faire admettre une politique forestière qui ne sert plus que les intérêts de l’industrie et ne fait même plus semblant de vouloir être multifonctionnelle trouve son paroxysme sur le site internet de l’ONF avec le texte suivant, censé rassurer sur les coupes :
C’est peut-être contre-intuitif, mais récolter du bois entraîne pourtant de nombreux effets positifs pour l’environnement !
Très habile, ce procédé visant d’abord à prendre le contre-pied du message à faire passer avant de l’asséner avec un point d’exclamation. N’ayez aucun doute si votre intuition vous porte à penser le contraire de l’affirmation de l’ONF. Effectivement, si la forêt est incluse dans le terme anthropocentrique d’environnement, la coupe des arbres provoque inévitablement une régression des espèces liées aux vieux arbres (lichens, champignons, insectes saproxyliques). Pour résumer cela de façon technocratique : la sylviculture réduit la biodiversité, ce que de nombreuses études montrent clairement (3).
On ne s’attend pas tous les jours à croiser une abatteuse ou une débusqueuse au cours d’un footing ou d’une randonnée. Mais rassurez-vous, la présence d’engins forestiers et d’ouvriers est tout à fait normale en cette période de l’année. Elle est réglementée, signalée et très sécurisée.
Dans le massif vosgien où j’habite, on peut s’attendre très souvent à voir une abatteuse car la mécanisation des coupes est devenue la norme, le bûcheron est devenu une espèce rare. Les coupes ont lieu toute l’année, même en cas de sols détrempés. Comment être rassuré par ces lourdes machines dévoreuses d’arbres quand on voit les chemins défoncés par les ornières, les dégâts occasionnés aux arbres sur pied, les sols tassés et la montagne de bois obtenue en quelques jours à peine. Finie la forêt écosystème, bienvenue dans la forêt usine à bois. Désormais le promeneur, devenu témoin d’une extraction industrielle pour alimenter le flux de biomasse, a nettement plus de chance d’être sidéré, voire de déprimer, que de trouver cela normal.
En quoi couper des arbres serait-il un atout pour les citoyens et l’environnement ? Tout au long de sa vie, un arbre absorbe du carbone, empêchant sa libération dans l’atmosphère et luttant ainsi tout naturellement contre le réchauffement climatique. Une fois coupé, le bois n’absorbe plus, mais continue de stocker le CO2 assimilé.
L’ONF a une conception simpliste du bilan carbone. Tous les arbres ne stockent pas la même quantité de carbone et mieux vaut une forêt feuillue âgée qu’une jeune plantation de conifères. On passe sous silence les gaz à effet de serre dégagés par les engins forestiers lors des exploitations, le carbone relâché au niveau du sol lors du passage des engins et le fait que seul le bois d’œuvre constitue un stockage à long terme du carbone. Les autres usages industriels du bois (pâte à papier, panneaux) au travers de leur fabrication et surtout le bois énergie via la combustion du bois dégagent du gaz carbonique.
Attention, rien n’est coupé au hasard. Dans les forêts publiques gérées par l’Office, chaque récolte de bois répond à un cadre strict : celui de la gestion durable et raisonnée des peuplements. Pour procéder à une coupe, le forestier doit expressément s’assurer qu’elle n’entravera pas la capacité de renouvellement de la forêt, mais aussi, qu’elle ne perturbera pas l’équilibre fragile de la faune, la flore ni des habitats.
L’expression gestion durable et raisonnée fait désormais partie de la novlangue des technocrates forestiers qui veulent continuer à se donner bonne conscience alors qu’ils transforment les forêts en champs d’arbres. Tout cela au nom de la croissance verte, de la transition écologique et de la décapitalisation raisonnée des forêts publiques, des oxymores qui en disent long sur la schizophrénie d’une société anti-nature à la dérive. Mais laissons FT conclure cette analyse de la désinformation pratiquée par l’ONF. Sa citation montre sa clairvoyance par rapport à ce qui allait se passer et que de nombreux témoins rapportent aujourd’hui dans tout le pays, à savoir l’industrialisation de la forêt : « La gestion de l’Office National des Forêts, avec sa sylviculture rigide, ses alignements, ses travaux incessants et la surexploitation de la ressource, prépare, quoi qu’elle en dise, un univers désymbolisé, désacralisé, où la complicité de l’homme avec les forces de la Nature, et une gestion écologique équilibrée de la production deviennent improbables… ».
* Ecologue
(1) Génot J-C. 2013. François Terrasson. Penseur radical de la nature. Editions Hesse. 237 p.
(2) Jactel H. & Marini L. 2021. Libre évolution des forêts et maîtrise du risque sanitaire associé aux scolytes des conifères. Revue forestière française 73 (2-3 « Des forêts en libre évolution ») : 383-390. doi : 10. 20870/revforfr. 2021. 5477
(3) Paillet Y. & Bergès L. 2010. Naturalité des forêts et biodiversité : une comparaison par méta-analyse de la
richesse spécifique des forêts exploitées et des forêts non exploitées en Europe. In Vallauri D., André J., Génot
J-C., De Palma J-P. et Eynard-Machet R. 2010. Biodiversité, naturalité, humanité. Pour inspirer la gestion de s
forêts. Pp 41-49.
Photo du haut : la forêt mosaïque de l’ONF