Voici le compte-rendu du webinaire JNE avec Barbara Nicoloso, directrice de Virage énergie, administratrice d’Enercoop Hauts de France et autrice d’un Petit traité de sobriété énergétique (Ed. Charles Leopold Mayer). Un débat animé par Christel Leca et Caroline Pelé, qui s’est déroulé le 16 juin 2022.
par Carine Mayo
La sobriété est un terme qui commence à émerger dans le débat public, rappelle Caroline Pelé en introduction. Encore faut-il s’entendre sur le sens de ce mot. Pour Barbara Nicoloso, la sobriété consiste à être économe tant dans l’utilisation des ressources énergétiques que de l’eau, des sols… Bref, à respecter les limites planétaires. Mais avec l’avènement de l’utilisation des ressources d’origine fossile et le développement de la consommation, nous sommes en train de mettre en péril notre propre survie.
« On a tendance à avoir une vision très techniciste de la sobriété alors que la problématique est très sociale et très politique », explique notre invitée. « Il faut mettre au coeur de la transition la question de nos besoins et de nos usages. Qu’est-ce qui est nécessaire, indispensable pour vivre correctement dans nos sociétés ? » Ainsi, nous avons besoin de services publics efficaces, de systèmes de mobilité, de logements de qualité… Il s’agit de mettre en face les ressources naturelles qui permettent de répondre à ces besoins et de les utiliser dans leur juste quantité. « Nous sommes dans une situation d’ébriété énergétique », souligne Barbara Nicoloso. Le risque, c’est de devoir faire face à la raréfaction de ces ressources et à une augmentation des prix qui peut être pénalisante pour les foyers les plus modestes. L’enjeu de la sobriété consiste à mettre en place un rééquilibrage entre le besoin et la consommation pour être dans un projet de société plus juste sur le plan social et environnemental.
Par où commencer dans les territoires ?
La première étape est celle du diagnostic. Il faut d’abord prendre conscience de l’état d’ébriété dans lequel on est. « Quand on fait ce travail fin de diagnostic, on se rend compte de notre dépendance aux matières premières importées », souligne Barbara Nicoloso. « Pour rappel, dans le mix énergétique français on consomme 80 % de ressources fossiles qui ne sont pas produites sur le territoire français. Et pour le nucléaire et l’uranium, c’est pareil. » Et dans les régions ?
« Dans les Hauts-de-France, le territoire serait en capacité de nourrir la population, mais une grande partie de la production de maïs et de soja est envoyée au Danemark pour nourrir les bovins et les porcs. » Cette étape de diagnostic permet de mettre en évidence le métabolisme du territoire et de dresser la liste de ce qui y est produit et consommé. Pour réunir ces données, il faut faire appel à différents organismes : INSEE, douanes, services agricoles…
Sur le plan alimentaire, la sobriété peut consister à mettre en place des circuits courts (marchés ou magasins de producteurs), à accompagner des jeunes agriculteurs dans leur installation en préemptant des terres agricoles. Il est important de préserver les terres agricoles de l’urbanisation tout en maintenant une agriculture locale de qualité, d’autant que 50 % des agriculteurs français partiront à la retraite dans les années à venir. Il convient aussi d’accompagner les ménages à améliorer la performance thermique de leurs logements par des systèmes de tiers-investissement, de référencement d’artisans.
Sur le plan de la mobilité, la sobriété ne peut pas se mettre en place de la même manière au centre de Paris, dans la plaine picarde ou dans le Limousin. En territoire rural, par exemple, il est difficile de se passer de la voiture. Le transport par rail peut être une alternative, mais pas toujours, car dans certains lieux, il est difficile de faire passer une ligne de train. En revanche, pour les trajets de moins de trois kilomètres, on peut encourager la marche ou le vélo.
Des freins qui existent
La sobriété est souvent associée à la décroissance, à la privation et à la pauvreté. Et pourtant, comme le montre l’économiste Eloi Laurent, il n’y a pas de corrélation entre le PIB et le niveau de vie des personnes. Pour convaincre certains élus de la pertinence de cette démarche, il faut leur en présenter les co-bénéfices. Moins de voitures, c’est aussi moins de pollution atmosphérique et une meilleure qualité de vie des habitants. Avec la crise énergétique, on se retrouve avec des factures qui ont doublé ou triplé en l’espace d’un an. Les administrés vont connaître des situations difficiles soit d’endettement, soit de précarité énergétique. La démarche de sobriété est une façon d’aider les territoires à encaisser les chocs. Ca devient une évidence pour certains territoires.
Quelques exemples d’actions en faveur de la sobriété
Beaucoup de villes ont opté pour l’extinction de l’éclairage public entre 23 h et 6 h du matin pendant le confinement et ont décidé de poursuivre dans cette voie après la fin du confinement.
– La métropole de Rennes s’est trouvée confrontée à une saturation de son réseau de métro et de transports en commun le matin, de 8 h 30 à 9 h 30. Les élus se sont posé la question du doublement de la ligne de métro. La solution a été de demander à l’université de Rennes de faire commencer les étudiants un quart d’heure plus tard. Cela a suffi pour résoudre le problème. Les solutions ne sont pas forcément techniques. Dans ce cas, le fait que la ville de Rennes se soit dotée d’un bureau des temps qui s’intéresse au rythme de vie a été un atout.
– La ville de Paris a décidé d’expérimenter un système de consigne pour la restauration rapide afin de diminuer les déchets à traiter.
– La ville de Mouans-Sartoux a préempté des terres agricoles et créé une régie maraîchère qui produit des fruits et légumes bio pour les écoles et les hôpitaux.
– La métropole de Grenoble a créé des ateliers citoyens de la sobriété pour mettre en adéquation les besoins des habitants et les politiques publiques.
Le grand pouvoir des communes
Au regard des enjeux environnementaux et sociaux, la sobriété s’impose. « Mais est-ce qu’on va la subir ou est-ce qu’on va s’en saisir comme d’une opportunité ? » demande Christel Leca. « Il faut acculturer les élus et les techniciens à cette vision, multiplier les formations (au minimum proposer des fresques du climat) », souligne Barbara Nicoloso. Les collectivités dépensent des millions dans des plans climat, mais la plupart du temps, ces projets ne tiennent pas compte de la sobriété et se concentrent plutôt sur le nombre d’éoliennes ou de méthaniseurs à installer. Pourtant, la commune est un bon niveau pour agir car il y a une proximité avec les habitants. Plusieurs petites villes sont en pointe sur les politiques de sobriété : Loos-en-Gohelle, Grande-Synthe, Ungersheim… Elles ont la particularité d’être ou d’avoir été dirigées par le même maire et la même équipe municipale pendant plusieurs mandats. Mais il est aussi intéressant d’agir à l’échelle d’une métropole, car celle-ci a des financements considérables qui peuvent permettre de massifier les changements de comportement (comme la métropole de Bordeaux qui a aménagé des pistes cyclables). Néanmoins, on se contente trop souvent de cibler les populations les plus pauvres à travers des animations dans des centres sociaux ou dans les maisons de quartier alors que ce sont ceux qui ont les revenus les plus élevés qui émettent le plus de CO2 et qui doivent faire le plus d’efforts. Une piste à creuser… Ce qui est sûr, c’est qu’il faut agir maintenant et vite car ce sont les politiques établies en 2022 qui détermineront notre mode de vie à l’horizon 2030-2040.
Pour aller plus loin
Etude de France Stratégie sur la soutenabilité dans l’action publique
Note d’Eloi Laurent sur la décorrélation entre le PIB et la santé
Travaux de Valérie Guillard sur la perception de la notion de sobriété
Evénement réalisé avec le soutien de nos partenaires
Photo du haut : Barbara Nicoloso © DR