Les Japonais ont démontré les effets bénéfiques sur l’organisme de ce qu’ils nomment le bain de forêt (shinrin yoku). En effet, une promenade en forêt agit comme un anti-dépresseur, permet de lutter contre la fatigue et renforce le système immunitaire. La forêt nous fournit de la « vitamine G », G comme Green car la forêt est un univers végétal formidable et un spectacle visuel unique, un « uni vert ».
par Jean-Claude Génot *
J’ai pu constater moi-même ces effets apaisants au cours de ma carrière professionnelle lorsque je passais des journées entières, seul, en forêt. Parcourir une forêt apaise l’esprit et le corps. Quand on est seul, la promenade porte à la méditation. Il y a un plaisir particulier à évoluer en forêt qu’on ne peut pas ressentir dans d’autres milieux naturels dépourvus d’arbres. Les arbres nous dominent et la forêt nous absorbe littéralement par son ambiance lumineuse, son humidité et son atmosphère. Quand on pénètre dans une forêt, une vingtaine de pas suffisent pour être seul au monde comme l’a fait remarquer l’écrivain américain Pete Fromm. La forêt isole du bruit et nous plonge dans l’intemporalité face à de très vieux arbres. Se déplacer en forêt conduit à mettre l’ouïe, la vue et l’odorat en éveil.
Mais la forêt se transforme du fait de l’industrialisation de l’exploitation forestière et de la sylviculture. Cela conduit désormais certaines promenades en forêt à générer de l’éco-anxiété plutôt que de la sérénité. Chemins défoncés par les ornières des engins de débardage, sols tassés par le poids des engins, couloirs rectilignes dans les parcelles tous les 10 à 12 mètres où passent les abatteuses (ces machines remplacent une douzaine de bûcherons, elles abattent, ébranchent et tronçonnent un arbre en un temps record), arbres blessés par le débardage, coupe rase dans des peuplements purs d’épicéas affaiblis par les sécheresses puis attaqués par les scolytes, fortes éclaircies qui suppriment l’ambiance forestière, élimination d’un arbre sur deux le long des chemins sous prétexte de sécurité éloignant ainsi la lisière et ne permettant plus d’avoir un chemin ombragé en été, martelage (désignation des arbres à couper) de gros arbres déjà si rares, et la liste n’est pas exhaustive.
Toutes ces pratiques empêchent définitivement de considérer la forêt comme un écosystème à ménager, mais révèlent au grand jour ce qu’elle est devenue : une usine à produire du bois. Le discours de la gestion durable et les standards de la certification sonnent creux quand tout est mis en œuvre pour mettre en avant uniquement la fonction de production. A cela s’ajoute la généralisation de l’usage des bombes de peinture par les forestiers pour le martelage (un simple trait de peinture et l’arbre est condamné alors qu’avec un marteau cela demande un effort au niveau du coude tel que son usage a provoqué une maladie professionnelle parmi les forestiers), pour désigner les arbres d’avenir et ceux à préserver pour la biodiversité, la délimitation des lots de coupe pour les particuliers, la localisation des postes de tir pour la chasse et les limites des parcelles qu’on peut même voir peintes sur des rochers : il n’est plus possible de faire un pas sans voir un de ces tags sylvestres d’une esthétique désastreuse qui contribuent également à « désauvager » la forêt, selon l’expression de François Terrasson. Plus l’homme marque la forêt de son empreinte et plus elle perd son caractère sauvage. On est bien loin de la sylviculture invisible, promue par certains forestiers dits proches de la nature. Quant au machinisme sylvicole, Bernard Boisson souligne qu’il est, comme les scieries industrielles, tellement démesuré qu’il interdit à tout boisement de ressembler à un écosystème forestier.
La plupart de mes sorties en forêt ont lieu dans un massif domanial de plusieurs milliers d’hectares et il est rare, lors d’une promenade, que mon regard d’écologue ne s’arrête pas sur un signe de « désauvagement » quelconque tant la pression d’exploitation est forte sur la forêt. Pourtant, certaines mesures effectuées dans les Vosges du Nord montrent un ralentissement de la productivité des arbres lié vraisemblablement au manque d’eau. Mais cela ne semble pas freiner les prélèvements. De plus, l’acharnement à éliminer le hêtre, estimé non adaptable par certains forestiers face au changement climatique, conduit à son élimination systématique dans de nombreux peuplements, menant ainsi à une prédiction auto-réalisatrice. Et puis la filière veut du résineux. La pression économique pour sortir des volumes de bois conduit à des éclaircies bien trop fortes alors que le hêtre est une espèce sociale qui aime à pousser en peuplement dense, ce qui le rend plus productif, mais cela de nombreux forestiers semblent ne pas s’en soucier.
Alors que faut-il faire si on ne veut pas souffrir d’éco-anxiété en allant en forêt ? Quitter les chemins et visiter les forêts de l’intérieur, seule manière de ne pas se faire une fausse idée sur une parcelle. Préférer les forêts matures, s’il en reste encore, car elles sont les seules à nous inspirer vraiment. Si on a cette chance, visiter les rares réserves forestières intégrales, car l’absence de traces humaines et la maturation des arbres contribuent à mieux ressentir les bienfaits de la forêt. Evidemment, protester contre l’emprise du machinisme sylvicole et les coupes abusives car cela permet de transformer une éco-anxiété en action positive. Il ne suffit pas de s’indigner puis de rentrer chez soi après sa promenade en forêt, il faut écrire aux élus quand on est en forêt communale, à l’ONF quand on est en forêt domaniale et à la presse avec une photo de ce qui nous a choqué car sinon les propriétaires et gestionnaires des forêts n’auront aucune raison de se remettre en cause. Enfin, si on est curieux, on peut découvrir des jeunes forêts, spontanées et en libre évolution depuis un certain temps. Même de petite taille, ces boisements spontanés ont un caractère sauvage qui offre les bienfaits du bain de forêt tout en se rassurant sur la capacité de la nature à se reconstituer, spontanément, librement et de façon sauvage.
* Ecologue
Photo du haut : l’idéal pour un bain de forêt, une parcelle d’arbres matures © Jean-Claude Génot