L’assèchement des étangs de la Dombes, dans l’Ain, sera-t-il un dommage collatéral de la guerre en Ukraine ?
par Yves Thonnerieux
Ma première visite en Dombes remonte à l’année de mes 14 ans. C’est la fin de la décennie 60. Le mois de mai au bord des étangs, dans les pâtures et le bocage est un enchantement : les oiseaux font leur show sur l’eau (canards, mouettes, guifettes…), en l’air (parades de vanneaux, chants d’alouettes…), le long des haies et sur les clôtures (le petit peuple des passereaux a largement de quoi se nourrir d’une entomofaune abondante).
Moins de dix ans plus tard, j’accède au statut de Lyonnais. La Dombes, à 30 minutes de chez moi, devient mon terrain d’observation favori. Commence alors (ou plutôt se poursuit car le phénomène est déjà bien entamé en cette décennie soixante-dix finissante) une lente et insidieuse érosion de la biodiversité locale : la Dombes se couvre de maïs subventionné (le colza et le tournesol suivront), les surfaces en prairie s’effondrent ; les roselières disparaissent sous la dent du ragondin ; les étangs s’appauvrissent, victimes de différents facteurs impossibles à résumer ici.
Les villages et les bourgs se ceinturent de lotissements (la Dombes, dortoir de ceux qui ne peuvent plus se loger dans la capitale des Gaules où ils travaillent car le coût de l’immobilier y atteint des sommets) ; des zones commerciales à l’offre élargie pourvoient aux besoins de consommation des néoruraux ; pour leurs loisirs, des golfs s’accaparent de vastes surfaces…
En dépit de l’éloignement, l’agression-annexion de l’Ukraine par la Russie n’annonce rien de bon pour la Dombes. Ces deux pays fournissent à l’exportation 30 à 40 % des céréales mondiales. Le robinet se ferme ; il va falloir compenser. Les jachères et les friches seront préemptées (c’est déjà gravé dans le marbre d’une récente réunion entre les ministres de l’agriculture des 27 membres de l’Union européenne).
Dans ce contexte géopolitique et géoéconomique totalement chamboulé (euphémisme), il est fondé de s’inquiéter sur le sort des étangs de la Dombes. Depuis des décennies, la pisciculture est en crise (l’Europe centrale produit des carpes à moindre coût) ; et la chasse, maintenue sous perfusion d’un lâcher massif de colverts d’élevage, ne fait plus vraiment rêver. L’étang dombiste est envisagé en rotation avec des périodes d’assec pour sa mise en culture. Les propriétaires jouent sur ces trois tableaux : poissons, canards, maïs ou variante. L’équilibre financier est précaire…
On le sait depuis trois semaines : le cours des céréales atteindra prochainement des niveaux jamais vus (tout ce qui est rare est cher) ; la sécurité alimentaire gagnera à l’échelle planétaire et l’on pronostique déjà des famines en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. L’élargissement des surfaces agricoles est inévitable : l’étang dombiste est là, à disposition et il peut rapporter gros…
Je vous laisse imaginer la suite… J’irai pleurer sur « ma » Dombes qui, en 50 ans, sera passée du paradis des oiseaux à leur enfer… et au mien : je suis moi-même un dommage collatéral de Poutine…
15 mars 2022
Photo du haut : un étang en Dombes © Yves Thonnerieux