Le 9 novembre 2021, les JNE sont allés visiter le site des Murs à pêches à Montreuil-sous-Bois, près de Paris. Un patrimoine horticole et culturel exceptionnel niché au coeur d’une ville dense de 110 000 habitants et menacé par l’urbanisation.
par Carine Mayo
Ce site a connu son heure de gloire à partir du XVIIIe siècle. Pendant près de trois siècles, les Montreuillois ont planté des pêchers le long de murs orientés nord-sud afin qu’ils bénéficient d’un ensoleillement maximum depuis le matin à l’est jusqu’au soir à l’ouest. Les pêches, à cette époque, étaient considérées comme des fruits exotiques qui étaient servis à la table des rois. Cela a duré jusqu’à l’arrivée du train au XIXe siècle, qui a acheminé des pêches du sud de la France plus précoces et moins coûteuses vers Paris. La culture des pêchers a alors cédé la place le long des murs à celle de pommiers, poiriers, cognassiers et petits fruitiers, dont les fruits étaient vendus en abondance sur les marchés de Paris et banlieue jusque dans les années 1930.
Au plus fort de son passé horticole, les deux-tiers de la superficie de Montreuil auraient été occupés par les murs à pêches, soit 600 hectares sur 900 hectares. Aujourd’hui, le site est de 35 hectares, dont 8,5 hectares classés au titre des Sites et paysages. Une miette si on le compare à son glorieux passé, mais un espace vert de belle taille pour les citadins du XXIe siècle où l’on peut circuler plusieurs heures sans croiser une seule rue.
Nous sommes accueillis par Caroline Polle (association Murs à pêches) et Samantha Lebrun de la Fédération des Murs à pêches qui regroupe 15 associations.
La tradition revisitée
La journée démarre par la visite du jardin de Patrick Fontaine, qui a été classé jardin remarquable en 2019. Patrick a commencé à cultiver son verger en 2010. Il s’est formé à la greffe, au palissage et pratique aujourd’hui le palissage à la loque, la technique ancienne des jardiniers de Montreuil qui consiste à conduire la croissance d’un arbre le long d’un mur en accrochant des branches sur des clous avec des morceaux de tissus.
Son jardin accueille 65 variétés de fruits : pêchers (dont les fameuses variétés locales Grosse Mignonne, Téton de Vénus, Noire de Montreuil…), pommiers (reinette, reine d’Angleterre, court pendu…) et de beaux légumes.
Un jardin d’inspiration médiévale
La visite se poursuit au Jardin de la lune, un jardin d’inspiration médiévale.
Ici se trouvent plusieurs carrés de plantes aux noms évocateurs : herbes des fièvres, plantes des femmes, plantes maléfiques des sorcières…
Une exposition des techniques anciennes
Sous la conduite de Pascal Mage, président de l’association des Murs à pêches, nous visitons une parcelle consacrée au passé historique de ce site, avec une pensée pour notre confrère JNE Fabrice Nicolino, qui a beaucoup oeuvré à la réhabilitation de ce lieu.
De vieilles photos impressionnantes montrent des murs à perte de vue. Un vrai labyrinthe ! Ces derniers étaient recouverts d’un chaperon, un mini-toit en tuiles ou en plâtre sur laquelle on disposait des paillassons en hiver avec de longs tissus tombant vers le sol pour protéger les cultures. Ici, contrairement à l’usage actuel, les paysans étaient propriétaires des deux côtés des murs et la limite de parcelle se situait au milieu de la parcelle.
Un café social
Nous passons ensuite par le café social qui accompagne entre autres des personnes qui partent à la retraite. L’une des problématiques de ce site est de faire en sorte que les citadins se l’approprient, nous confie une personne qui travaille à la Régie de quartier. C’est d’ailleurs sans doute, ce qui pourrait donner aux élus l’envie de le préserver. Pour l’association Murs à pêches, le droit au jardin pourrait faire partie des droits fondamentaux.
Un théâtre de verdure
Nous arrivons ensuite dans une scène théâtrale aménagée en plein air.
Cette parcelle est gérée par l’association La Girandole qui y établit ses quartiers d’été après une transhumance festive du quartier Croix de Chavaux jusqu’au Murs à pêches. Aujourd’hui, ce lieu accueille des artistes et des roulottes, mais il y a peu, c’était une décharge de voitures que les bénévoles ont dû nettoyer.
Une ferme urbaine
Après avoir aperçu quelques brebis, nous rencontrons Alune, un agriculteur qui élève également des chèvres, des poules, des lapins, des paons.
Une rencontre étonnante en coeur de ville !
Des fleurs et un jardin en partage
Nous voici ensuite dans une parcelle gérée par l’association le Sens de l’humus sur l’ancien jardin de Geneviève Pouplier, une horticultrice qui, jusqu’en 2003, allait vendre ses fleurs au marché d’Aligre à Paris.
Aujourd’hui encore, l’on peut admirer de très beaux dahlias sur cette parcelle. Cette dynamique association gère près d’un hectare sur les Murs à pêches, mène des ateliers de jardinage, d’éducation à l’environnement de la crèche au lycée, mais aussi de théâtre et de dessin et accompagne le compostage en pied d’immeuble. Elle est très attachée à la notion de communs et de partage dont le site des Murs à pêches est un lieu emblématique.
Des murs réhabilités
Si un tel site a vu le jour, c’est parce qu’il jouissait d’une situation favorable, situé sur des carrières de gypse, une roche qui une fois broyée et cuite donne une poudre blanche dont on fait du plâtre.
Aujourd’hui, les murs sont réhabilités par l’association les Pierres de Montreuil qui essaie de retrouver les techniques anciennes et réutilise le plâtras trouvé sur le site qui est cuit dans un four à bois afin d’obtenir de nouveau du plâtre. La poudre la plus fine sert aux enduits intérieurs et le plâtre le plus grossier est utilisé dans les murs, mélangé à du silex, de l’argile… L’association mène des chantiers école avec des personnes en insertion pour les former à la maçonnerie.
Une parcelle qui reprend vie
Après avoir traversé le chantier du tramway T1 qui relie Bobigny à Fontenay, nous voici de l’autre côté du site sur la parcelle de l’association Fruits défendus.
L’association a dû enlever 40 m³ de déchets et gravats en tous genres pour y planter des végétaux. Il reste de nombreuses traces de pollution. Mais ce site pourrait justement servir de base pour expérimenter des techniques de dépollution par les végétaux, selon le co-président de l’association Thierry Régnier, ancien enseignant jardinier à l’école horticole du Breuil, située non loin de là, dans le bois de Vincennes. Sous l’impulsion de ce spécialiste de l’arboriculture et de la taille des arbres, une forêt comestible vient d’être implantée sur la parcelle. Les fruits sont moins sensibles à la pollution que les légumes feuilles. Mais là encore, il y a beaucoup à découvrir sur les transferts de pollution, la durée de la dépollution d’un site comme celui-là. En attendant, l’association Fruits défendus organise tous les samedis matins un marché, afin d’ouvrir le jardin sur l’extérieur. Notre visite se termine par la traversée du jardin des couleurs, dans lequel sont cultivées des plantes tinctoriales et menés des ateliers de teinture végétale.
Un site menacé
Au cours du XXe siècle, une grande partie du site a cédé la place à des logements. On en retrouve la trace dans les noms attribués à ces grands ensembles : la Cité Bel Air ou les Grands Pêchers… Durant la période récente, plusieurs hectares des Murs à Pêches ont failli être engloutis sous le béton. Dans les années 1990, un projet de zone industrielle a échoué suite à la mobilisation des habitants. « Au départ, on voulait sauver nos maisons, nos familles », témoigne Bernard Ripouilh, le fondateur de l’Association des Habitants de Montreuil (ADHM). Puis, en 2018, c’est un projet de construction de logements sur le site d’une ancienne usine de fabrication de cuir, le projet EIF, qui est reporté suite à une grande mobilisation citoyenne et à la découverte de la grande pollution des sols.
Aujourd’hui, c’est l’extension du T1 et la construction d’un atelier de remisage du tramway qui pourrait grignoter le site. Dans cette ville limitrophe de Paris, la pression foncière est importante. Pourtant, face au dérèglement climatique et à l’érosion de la biodiversité, il est important de conserver des espaces de nature au sein des zones urbaines. C’est ce que défendent les associations présentes sur le site et la fédération des Murs à pêches qui nous donne rendez-vous pour le prochain festival des Murs à pêches qui aura lieu lors du week-end de Pentecôte.
Merci à Noriko Hanyu (JNE) et à Pascal Mage de l’association Murs à pêches pour l’organisation de cette visite passionnante ainsi qu’à tous ceux qui nous ont accueillis.
Photo du haut : murs à pêches à Montreuil (Seine-Saint-Denis) © Antoine Bonfils