Anticiper le retour du loup : quelles actions pour mieux cohabiter ? – le compte-rendu du webinaire JNE/WWF

Les JNE et le WWF-France ont organisé le lundi 15 novembre 2021 un webinaire JNE sur le thème : anticiper le retour du loup : quelles actions pour mieux cohabiter ? Quelles leçons pour les territoires où le loup est déjà présent ?Les intervenants étaient Elodie Massiot et Farid Benhammou, chercheurs au Laboratoire RURALITéS de Poitiers. Cette rencontre était animée par Carine Mayo, journaliste, secrétaire générale des JNE.

Compte-rendu rédigé par Alexandrine Civard-Racinais et Nathalie Tordjman. Relecture par Pierre Arnault.

Peut-on anticiper le retour du loup pour cohabiter avec lui ? C’est le pari d’Elodie Massiot, thésarde au laboratoire RURALITéS de l’université de Poitiers qui a lancé un projet de recherche « Anticipation au retour du loup : de l’état des lieux à la mise en action », sur l’une des plus grandes régions d’élevage ovin de France. Diagnostic de territoire, mise en place d’actions concrètes, modalités d’anticipation, création d’une assemblée citoyenne, sont les pistes de réflexions qu’elle veut conduire pour favoriser une cohabitation durable. Ce travail peut-il inspirer des actions pour apaiser la cohabitation avec le loup dans les territoires où il est déjà présent ? C’est l’une des questions que nous poserons à Elodie Massiot et Farid Benhammou, chercheur associé au Laboratoire RURALITéS.

En préambule, Béatrice Jouenne (WWF-France), coordinatrice du Programme Life Euro Large Carnivores, a rappelé les grandes lignes de ce projet mené à l’échelle européenne dans cinq grandes régions prioritaires, dont les Alpes. C’est par là, que le loup, éradiqué en France dans les années 1930, a fait son grand retour au début des années 1990. Arrivé par les Alpes italiennes, Canis lupus reconquiert peu à peu son ancien territoire.

« Dès la fin des années 1990, sa présence est attestée dans les Pyrénées Orientales », a rappelé Farid Benhammou, chercheur associé au Laboratoire RURALITéS de l’université de Poitiers. Les derniers signalements concernent la Charente-Maritime (fin 2019), la Charente et l’Indre (début 2020), la Seine-Maritime (été 2020) ou encore la Vienne (printemps 2021). Ces signalements ne signifient pas pour autant que des meutes sont installées sur ces territoires.

Pour rappel, les loups sédentaires s’établissent en meute. Une meute comprend le couple reproducteur et sa descendance (4 à 5 loups). Au tournant de l’hiver, des conflits peuvent surgir entre jeunes et adultes, sonnant le départ d’un ou plusieurs individus qui peuvent parcourir plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de kilomètres comme en témoigne le documentaire l’Odyssée du loup qui retrace l’histoire de Slava, un jeune loup chassé de sa meute.

Pourquoi anticiper le retour du loup ? « Pour mieux cohabiter ! » A l’origine de l’Appel pour une cohabitation durable apaisée avec la faune sauvage en France *, lancé en octobre 2021, Farid Benhammou s’insurge contre « l’instrumentalisation par une poignée d’extrémistes des difficultés réelles vécues par les éleveurs » et les actes de violence légale** et illégale perpétrées à l’égard des loups. « Tuer des loups, c’est stérile ! Ce qu’il faut encourager, c’est la mise en place de moyens de protection adaptés, territoire par territoire ».

Loup – photo libre de droits

Comment anticiper le retour du loup ? Elodie Massiot, thésarde au laboratoire RURALITéS de l’université de Poitiers, cherche à mettre en place un processus d’anticipation du retour du loup.

Dans le cadre de son projet de recherche, intitulé « Anticipation au retour du loup : de l’état des lieux à la mise en action » et qui va s’étaler sur plusieurs années, Elodie Massiot a réalisé un état des lieux écologique et socio-économique du territoire du Montmorillonnais. Cette zone est située au sud de la Vienne, l’une des plus grandes régions d’élevage ovin de France. Il s’agit d’« une zone dans laquelle le loup pourrait trouver des proies sauvages potentielles, comme le chevreuil ». Le territoire du Montmorillonnais est en effet très riche au plan écologique. « On y trouve 10 des 12 zones Natura 2000 du département ». La loutre ou encore le castor y sont présents.

Au plan socio-écologique, Elodie Massiot a cherché à rencontrer l’ensemble des acteurs du territoire, y compris les acteurs du tourisme, « afin d’avoir des points de vue différents ». En l’occurrence, ces derniers « n’ont pas encore envisagé le retour du loup. Pour eux, ce n’est pas une problématique », ni même un problème. Du côté des éleveurs, « les discours sont hétéroclites. Il n’y a pas de discours crispé ou radicalement opposé au retour du loup ».

« La chambre d’agriculture est même désireuse de formation », signale Farid Benhammou, ce qui est suffisamment rare pour être signalé. Les deux chercheurs ont d’ailleurs été invités à parler devant ses adhérents. « Nous avons la chance d’être bien perçus par tout le monde », se félicite le chercheur, qui souhaite poursuivre la démarche, concevoir une offre de formation adaptée et fédérer les initiatives allant dans le sens d’une cohabitation.

Questions

Y a-t-il une sorte de plan d’action qui peut être appliqué dans les territoires qui veulent anticiper l’arrivée du loup sur un territoire et aller dans le sens d’une cohabitation ?

F.B. : « Oui, il y a un triptyque de base : chiens de protection/clôtures/présence humaine. Mais ce triptyque ne peut pas être appliqué partout. Les solutions techniques proposées dépendent à la fois de la configuration du terrain et des modes d’élevage. D’où l’importance d’instaurer une relation de confiance avec l’ensemble des parties et d’établir un bon diagnostic.»

• Quid de la reproduction des meutes ?

F.B. : « D’après les relevés dont nous disposons, il n’y a pas de reproduction constatée de meutes de loups en dehors des Alpes. Il peut y avoir des loups très longtemps dans une région sans reproduction. Par exemple, des loups sont présents dans les Pyrénées depuis 1998, mais ce ne sont que des mâles, donc pas de reproduction. »

• Combien y a-t-il de brebis attaquées chaque année ?

F.B. « Douze mille brebis ont été tuées en 2020. Ce chiffre a tendance à baisser, sans que l’on puisse dire que cela résulte des tirs de loup. Car dans les parcs nationaux, où le loup n’est pas tiré, le nombre d’attaques baisse aussi. Ça peut être le résultat d’un très fort accompagnement des éleveurs dans ces parcs. Chaque année, 120 loups sont éliminés, ce qui correspond à plus de 20 % de la population et on enregistre une baisse de la croissance de la population des loups.
Il faut savoir qu’une meute constituée se nourrit en majorité de faune sauvage. Les loups solitaires, eux, prennent plus de risques et s’attaquent aux animaux domestiques. Les tirs, qui font éclater les meutes, augmentent donc le risque de prédation de la faune domestique. Il est bien plus efficace d’apprendre aux loups ce qui est dangereux pour eux. Des essais sont faits avec un produit dissuasif sur les brebis. Des clôtures électriques aussi quand elles sont bien posées à la bonne hauteur et entretenues font peur aux loups.
Les éleveurs ne font pas toujours remonter les informations quand il s’agit d’une prédation par un loup solitaire. Celle-ci se déroule par une mise à mort rapide et ciblée d’un ovin, avec ensuite consommation propre d’un cuisseau. Sur notre territoire (la Vienne) il n’y aurait plus d’attaques de loups, alors qu’il y en a eu en 2015-2016. »

Elodie Massiot signale dans son étude le problème des aides qui mettent trop longtemps à arriver. Les aides ne sont déclenchées qu’après une attaque constatée. Il faut ensuite au moins deux ans pour mettre en place des chiens de protection. Ce retard crée des tensions.

* Appel lancé par un collectif de scientifiques, citoyens, acteurs oeuvrant pour l’environnement et l’agriculture signe un appel pour une cohabitation durable apaisée avec les grands carnivores et la faune sauvage en France. Cet appel s’accompagne d’une pétition
** Oksana Grente, du laboratoire Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE Montpellier), devait présenter le 16 novembre 2021 sa thèse sur l’Impact des tirs dérogatoires sur les attaques et la population de loups en France, et intégration de ces effets dans un modèle de gestion adaptative.

L’étude d’Elodie Massiot étude devrait être prochainement mise en ligne sur le site de la MJC de Montmorillon.