Le domaine de Grignon attribué au promoteur Altarea Cogedim – par Rémi Gaultier (Grignon 2000)

A l’initiative de notre adhérent Pierre Grillet, nous ouvrons les colonnes du site des JNE à cette tribune de l’association Grignon 2000.

par Rémi Gaultier (*)

Au cœur de l’été, la décision de l’Etat vient de tomber : le domaine de Grignon est attribué au promoteur immobilier Altarea Cogedim. Grignon (Yvelines), ce sont près de 300 hectares de champs et de forêts qui bordent un château de 1636, porte d’entrée d’un campus préservé formant chaque année plus de 300 élèves de première année de l’école d’ingénieurs AgroParisTech, avant que ceux-ci ne se répartissent sur d’autres campus de l’école (Paris Ve, Massy et Nancy). Ayant appartenu à plusieurs familles nobles depuis François 1er qui l’offrit à sa favorite Anne de Pisseleu, le domaine est confié en 1826 par  Charles X à la toute jeune Société royale agronomique, qui y fonde alors la première école d’agronomie de France. Celle-ci fusionne en 1971 avec l’Institut national agronomique (INA) pour former l’INA Paris-Grignon, puis devient AgroParisTech en 2007.

L’intégrité de ce lieu est aujourd’hui menacée. Tout commence en 2014, lorsque l’Etat propose à l’école d’ingénieurs AgroParisTech à déménager sur le plateau de Saclay, où l’ambition est de créer une « Silicon Valley à la française » afin de concurrencer les meilleures universités mondiales pour décrocher une bonne place dans le classement de Shanghaï.

En dépit des débats houleux au sein du conseil d’administration de l’école, le déménagement est voté à 22 voix contre 21, dans un premier déni flagrant de démocratie – les voix pour étant des membres nommés (ministères, région, grandes entreprises…), tandis que les voix contre sont l’expression des élus étudiants, enseignants chercheurs et personnels de l’école. A l’époque, on promet un beau campus tout neuf (forcément vert et responsable) et des transports adéquats pour se rendre sur le plateau, malgré les inquiétudes. La future ligne 18 du métro du Grand Paris, bien que désormais très controversée, doit notamment y pourvoir. Malgré une forte opposition locale et des grincements de dents à l’idée que la première école d’ingénieurs du vivant de France aille faire construire son nouveau campus sur les terres les plus fertiles du bassin parisien, un des points présentés comme positifs du déménagement est le regroupement des différents campus franciliens de l’école.

En 2016, alors que le déménagement est acté et qu’il semble que l’Etat soit disposé à vendre les campus actuels – notamment pour financer la construction du nouveau -, le club de football Paris Saint-Germain se montre intéressé pour racheter le domaine afin d’en faire son nouveau centre d’entraînement. Horrifiés à l’idée de voir pousser plusieurs hectares de gazon sur ce haut lieu de l’agronomie française, des anciens de l’école, à l’aide d’étudiants et de locaux, se mobilisent pour que cette installation n’ait pas lieu. En partie grâce à cette mobilisation, le PSG jette son dévolu sur la ville de Poissy, qui se montrait plus accueillante.

Afin de ne pas avoir à revivre cette frayeur, les manifestants se rassemblent sous la bannière du CFSG (Collectif pour le Futur du Site de Grignon). Avec d’autres associations qui défendent le lieu, ils se rallient au projet porté par Grignon 2000 de tirer parti de la riche histoire scientifique du domaine afin de créer un centre international d’échanges et d’information sur les trois familles historiques de l’Agro   agriculture, alimentation, environnement. L’idée étant que, face aux changements climatiques et à l’extinction de la biodiversité, aucune de ces trois familles ne peut ni ne doit agir seule, et qu’il est plus que temps que tous les acteurs concernés établissent un espace de dialogue permanent sur le sujet, alors que nos systèmes alimentaires ne sont absolument pas préparés à ce qui nous menace.

Pendant quatre ans, le CFSG et ses partenaires proposent à l’Etat de monter ce centre à Grignon en lui laissant la propriété du site, au regard de l’utilité publique du projet. La porte reste fermée jusqu’en mars 2020, date à laquelle une procédure de cession est ouverte. L’association Grignon 2000 se porte candidate au rachat du domaine via la création d’une SAS « Grignon 2026 Investissements ». Elle propose de créer ce centre d’échanges avec l’apport financier au rachat de l’ensemble des agros et amis de Grignon volontaires. Les tours de procédure se suivent, le projet Grignon 2026 arrive en finale en février 2021, en ayant au passage uni ses forces avec la communauté de communes Cœur d’Yvelines, dont fait partie Grignon.

Grignon 2026 propose de ne pas modifier le bâti du site ni de l’artificialiser. L’idée est que le domaine s’autofinance, avec d’une part des activités lucratives (formation de cadres supérieurs aux enjeux du vivant, location à des entreprises des domaines concernés des actuels laboratoires de l’INRAE, eux aussi voués à déménager à Saclay, réfection du château en complexe hôtelier, location des 300 chambres de résidences étudiantes déjà sur place), d’autre part des activités d’intérêt général : séminaires et conférences alimentant le centre d’échanges, ouverture du domaine au public (il est réservé aux étudiants depuis la tempête Lothar de 1999), mise en place de musées autour de l’eau, de la vigne ou de la forêt. En point d’orgue, le Musée du Vivant, premier musée consacré à l’écologie et à son histoire, aurait son bâtiment dédié. Actuellement fermées au public, ses collections déjà hébergées à Grignon témoignent du passé de l’école et de l’émergence de l’écologie politique des dernières décennies. Le Musée possède notamment les archives de René Dumont, le célèbre agronome, premier candidat écologiste aux présidentielles et ancien professeur de l’INA.

Hélas, malgré plus de 2500 contributions, le soutien sans faille des élus locaux et de députés et sénateurs de tous bords politiques, la Direction immobilière de l’Etat a fait le choix de privilégier le promoteur Altarea. Ceci malgré le fait que la vente du centre de la rue Claude Bernard (Paris) ait rapporté bien plus que prévu, permettant de financer la construction du centre de Saclay sans inquiétude. Cœur d’Yvelines et ses 31 communes, la maire de Grignon en tête, n’a pas été consultée et les élus locaux sont, comme beaucoup, sidérés de cette décision. Les craintes sont grandes de voir le domaine démantelé en copropriété aux logements profitant à quelques riches portefeuilles, alors que l’Etat tenait une occasion de redorer légèrement son blason écologique en ouvrant la voie à un projet d’intérêt général pour l’atténuation et l’adaptation au changement climatique. Ni les élus locaux, ni les associations concernées, ni les étudiants ne comptent en rester là : la résistance s’organise, et une première manifestation sur place est prévue pour début septembre.

* Chargé de mission Grignon 2000

Contact : Mathieu Baron
Délégué Général Association Grignon 2000
+33(0)6 61 64 31 30
mathieu.baron@grignon2000.fr

Photo en haut de page : le domaine de Grignon, dans les Yvelines, vu du ciel © Laurent Bourcier