Un JNE passionné par l’histoire des mouvements écologistes rend hommage à René Dumont, décédé il y a déjà 20 ans, le 18 juin 2001. Avec les Amis de la Terre, les JNE avaient été à l’origine de la campagne présidentielle de l’agronome en 1974.
par Michel Sourrouille
Je pense encore souvent à René Dumont, décédé le 18 juin 2001. Mon premier vote a été pour lui, il était candidat à la présidentielle et faisait entrer l’écologie en politique par la grande porte. C’était en 1974, il y a une éternité. Aujourd’hui ,un évènement chasse l’autre sans souci de construire un avenir commun, et l’anniversaire de sa mort devrait être, plus qu’une commémoration, une interrogation sur nous-mêmes : qu’avons-nous fait de son enseignement, où va la planète et tous ses habitants si nous ne réagissons pas dans le bon sens ?
Véritable baroudeur de l’agronomie, son métier de base, René Dumont s’était engagé aux côtés des tiers-mondistes dans la lutte contre le colonialisme et la famine. En 1962, il constate de façon prémonitoire que le continent noir courait à sa perte et l’annonce dans son best-seller L’Afrique noire est mal partie. En 1972, René Dumont prend conscience, grâce à la lecture du rapport Meadows sur les « limites de la croissance », de l’ampleur des menaces qui pèsent sur la planète, menaces qui ne sont pas seulement alimentaires mais aussi énergétiques, atmosphériques, aquatiques, etc. La première conférence des Nations Unies sur l’environnement se réunit la même année à Stockholm. En parallèle à cette conférence officielle, des milliers de jeunes se réunissent et lancent le premier grand mot d’ordre de l’écologisme : « Nous n’avons qu’une seule Terre ! » L’agronome est devenu écolo. Pendant longtemps, l’homme de la révolution fourragère avait prôné les mérites de l’agriculture intensive, du productivisme. Il a su revenir sur ces idées pour témoigner que, si on se trompe, l’important est de l’admettre, ce qu’il a fait dans son programme de présidentiable : « L’agriculture intensive, quand elle néglige la fumure organique et n’utilise que des engrais minéraux accompagnés de pesticides divers, menace gravement sa propre pérennité ». Poussé et soutenu par les associations environnementales, il s’est donc présenté aux élections présidentielles de 1974 ; il n’a obtenu que 1,32 % des suffrages exprimés, mais ce n’était qu’un début, le combat ne faisait que commencer. Pour la première fois en France, un vote électoral signifiait vraiment quelque chose de différent, une alternative à la lutte entre tenants de la droite et partisans de la gauche ; car nous sommes tous concernés par les crises écologiques, il nous faut tous sans exception changer de comportement quand on appartient à la classe globale, celle qui possède un véhicule personnel. Il nous faut acquérir le sens des limites.
Les mesures préconisées par René Dumont restent toujours valables : un impôt sur les matières premières pénaliserait l’usage intensif des ressources et récompenserait l’emploi intense en main d’œuvre ; un impôt d’amortissement serait inversement proportionnel à l’espérance de vie des produits, par exemple de 100 % sur les produits destinés à durer moins d’un an et de zéro pour les produits à durée séculaire ; une taxe progressive sur l’énergie consommée par foyer sous toutes ses formes, non pas seulement le chauffage, l’électricité, l’essence, mais aussi l’achat d’automobiles, d’appareils ménagers, etc. Comme le volume des transports par camions routiers progressait déjà fortement à son époque au détriment du rail, René proposait que les camions soient limités aux trajets gare-domicile et que les voitures privées soient interdites dans les centres villes.
Il recherchait même une société capable de défendre les non-nés, les générations futures alors que le concept de développement durable n’a été popularisé que par un rapport des Nations Unies de 1988. Dans la préface de L’état de la planète (Editions Economica, 1989), René Dumont écrivait encore : « Cette étude nous met en face de nos responsabilités. On peut dire que notre génération – celle de Trente années Glorieuses, celle qui a longtemps cru avoir si bien « réussi » – n’avait nullement compris que ces « gains » avaient été essentiellement réalisées au xdépens d’un environnement mondial de plus en plus compromis ; au dépens du Tiers monde, de ses populations démunies, privées de tout et d’abord de ce que nous gaspillons ; aux dépens des générations futures, qui seront privées d’un potentiel de production correct et des ressources rares et non renouvelables (pétrole et minerais)… Un minimum d’austérité est devenu une condition absolue de la survie prolongée de l’humanité. On ne saurait trop le répéter : dans les 10 ans, les dés seront jetés ».
Dans le dernier chapitre de son livre-souvenirs publié en 1977, Seule une écologie socialiste, René Dumont mettait en évidence à l’âge de 73 ans l’axe directeur de sa pensée : « L’écologie résume tous nos problèmes, toutes nos crises ». Sans tenir compte des avertissements qui se sont multipliés depuis, la société thermo-industrielle a continué à pleine vitesse pour déboucher dans l’impasse de la croissance dans un monde fini. Et les pays dits aujourd’hui « en développement » courent après ce terrible paradoxe qui donne tant à réfléchir : « Notre grande pollution, c’est notre misère, laissez-nous nous industrialiser ». Alors que le mode de vie occidental épuise déjà plusieurs planètes s’il était généralisé, cette volonté de « rattrapage » a été suivie à la lettre entre autres par la Chine dont les énormes besoins accroissent la pression de l’humanité sur la planète.
Vingt années sont passées depuis la mort de René Dumont et la dégradation biophysique de la planète risque de devenir irréversible. Il faudrait que les citoyens et les politiciens de tous bords sachent reconnaître ce qui a de l’importance dans l’immense machine médiatique à produire aujourd’hui des informations illusoires. Le message de René mérite d’être écouté.
Retrouvez Michel Sourrouille sur son blog Biosphère en cliquant ici.
Photo ci-dessus : René Dumont devant le bateau-mouche de sa campagne présidentielle, le 8 avril 1974 ©Musée du Vivant-AgroPariTech