Le congrès mondial de l’UICN, faire valoir de la destruction de la nature ? – par Pierre Grillet

L’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) est la référence mondiale en matière de protection de la nature. Elle bénéficie, entre autres, d’une audience importante auprès de nombreux Etats. Son prochain congrès mondial se tiendra à Marseille en septembre 2021. Une occasion pour réfléchir sur les orientations de la protection de la nature…

par Pierre Grillet

 

1948–2021 : une évolution conforme à la plupart des grandes structures de protection…
A l’instar de la plupart des associations de protection de la nature (au moins parmi les plus importantes), les choix stratégiques de l’UICN vont évoluer au fur et à mesure de sa montée en puissance. Alors que les années 1950 à 1970 auront été principalement consacrées à la protection des espèces et des milieux naturels nécessaires à leur survie, l’UICN s’engage en 1980 pour amorcer le fameux concept de « développement durable ». Dans ce contexte, les années 1980 à 2000 verront la mise en place d’une stratégie d’implication du secteur privé. Parmi ses partenaires, le Conseil mondial des affaires pour le développement durable regroupe l’essentiel des multinationales dans le monde pour avoir, paraît-il, « un Impact positif net sur la biodiversité ». Petite anecdote : à la demande des sociétés Eiffage/A’Lienor, des « experts » de l’UICN se sont déplacés sur le site de l’autoroute Pau-Langon (particulièrement destructrice en matière d’environnement et de biodiversité) et ceux-ci n’ont pas tari d’éloges sur cette infrastructure présentée comme « la plus verte du siècle » ! (1)

… pour des résultats très décevants
En 2021, alors que l’UICN se réjouit de l’augmentation des surfaces dites protégées dans le monde, le constat est saisissant : tous les travaux scientifiques actuels, toutes les alertes, démontrent l’inefficacité de telles stratégies. Aujourd’hui, on ne peut que constater l’échec de ce concept « développement durable » (un véritable oxymore), ainsi que l’échec des politiques faussement appelées « partenariales » pourtant adoptées par le monde de la protection de la nature.

Le congrès mondial de l’UICN à Marseille : un piège pour la protection de la nature ?
Alors que l’UICN prépare sa grand-messe mondiale à Marseille en septembre 2021, tout est réuni pour une magnifique récupération de la protection de la nature par ses destructeurs peu de temps avant les élections présidentielles… Emmanuel Macron, déjà nommé « champion de la Terre »,  deviendra-t-il aussi le « champion de la Biodiversité » ? Il faut reconnaître que notre Président a fort bien manœuvré pour y parvenir. En témoignent ses discours autour de l’importance de la biodiversité lors du One planet summit tenu à Paris en janvier 2021.
Pour s’offrir quelques applaudissements supplémentaires lors de ce congrès, le gouvernement vient opportunément d’attribuer à grands renforts de communication 6 millions d’euros pour les réserves naturelles (2). Tant mieux pour les réserves. Bien entendu, aucune garantie n’existe sur la pérennité de ces fonds. Et pendant ce temps, on se permet de détruire ailleurs et sans états d’âme.
Renaud Muselier, président de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, a osé affirmer son soutien au Congrès français UICN de la nature 2019 à Marseille en déclarant : « la biodiversité est un vrai combat ». Ce même président avait menacé de couper les vivres aux parcs naturels régionaux du Luberon et du Verdon ainsi qu’à l’association France Nature Environnement (PACA) s’ils maintenaient leur action en justice contre le fonctionnement d’une centrale thermique biomasse à Gardanne, laissant présager de futurs déboisements destructeurs provoqués par les énormes besoins en bois de cette centrale (3). Dans le même temps, l’UICN n’hésite pas à honorer le pays hôte de son congrès mondial : « Notre pays hôte, la France, possède non seulement une longue histoire de leadership sur les questions environnementales, mais a également montré un engagement solide pour l’avenir de la conservation de la nature », déclare Malik Amin Aslam Khan, vice-président de l’UICN. La présidente de l’UICN France, Maud Lelièvre, est elle-même membre du Modem, donc soutient la politique gouvernementale. Un entre soi révélateur…
Et sur le site présentant les rencontres, il est clairement énoncé : « Traditionnellement, le Congrès mondial de la nature est accueilli par un État membre de l’UICN. Le Congrès est une occasion unique pour un pays de mettre en avant son leadership national sur des questions environnementales mondiales et de présenter ses activités en faveur de la conservation, tout en bénéficiant de la couverture médiatique internationale promouvant la biodiversité, l’histoire et la culture du pays. » Son dernier congrès en 2016 s’était tenu à Hawaï, une véritable zone expérimentale à ciel ouvert pour les géants de l’agrochimie (4) dont certains sont très proches de l’UICN !

La protection de la nature doit changer profondément
Les politiques de l’UICN sont le reflet des politiques conduites par tous les grands organismes de protection de la nature dans le monde et en France : The Nature Conservancy, WWF, RSPB, LPO, Bird Life ainsi que nombre d’associations régionales, voire départementales… Tant que les professionnels de la protection de la nature se contenteront de se poser en experts accompagnant (5) les destructions pour les rendre plus acceptables, il ne sera pas possible d’avancer. Dans les années 1970, Arthur (6) le disait déjà : il faut « passer enfin aux actes. Sinon nous resterons des gugusses spécialistes dans l’écologie, récupérés bientôt par la commission ad hoc du parti machin chouette et gestionnaire new-look du monde capitaliste. » En 2021, force est de constater qu’une telle protection va à contre sens au regard de la situation actuelle. Il faut donc accepter de changer véritablement. Un changement profond et rapide est nécessaire. Le congrès de l’UICN devrait être une excellente occasion pour en discuter.
Alors, remises en question en débat ou auto-congratulations et félicitations à la France pour sa politique environnementale ? On peut craindre que la deuxième option l’emporte sur la première !

(1) Selon le rapport parlementaire « Comptes rendus de la commission d’enquête sur la compensation des atteintes à la biodiversité », Sénat, 2017. Faut-il rappeler que cette autoroute aura occasionné la destruction de plus de 2000 ha de zones naturelles et impacté huit secteurs Natura 2000 ? Cette autoroute ayant été terminée après les Grenelles de l’environnement, il fallait bien une caution forte !
(2) « C’est un grand succès et une très belle reconnaissance du travail réalisé par le réseau », déclare Charlotte Meunier, la présidente de RNF (Réserves naturelles de France) ! Entre reconnaissance ou opportunisme, on a le droit d’hésiter.
(3) Alors que le potentiel régional en bois est estimé à 700 000 tonnes dans un rayon de 400 km autour de l’usine, les besoins ont été évalués à plus de 800 000 tonnes annuellement ! Les deux parcs régionaux directement concernés et FNE avaient porté plainte et obtenu la fermeture de cette usine. Les responsables de l’usine, soutenus par Nicolas Hulot, ont fait appel. C’est alors que le Président de région a exercé son chantage à la subvention : les plaintes ont été retirées, et l’usine n’a pas fermé. Mais on a créé une commission…
(4) Voir le film Poisoning Paradise réalisé par Pierce et Keely Shaye Bosnan (2017).
(5) On ne lutte plus, on accompagne. Ce mot « accompagner » revient sur la plupart des sites des associations de protection de la nature.
(6) Henri Montant,  dit Arthur (1939 – 2010), était à l’époque journaliste à la Gueule ouverte dont il était l’un des cofondateurs avec Pierre Fournier.

Photo du haut : un vieux bouquetin mâle © Maurice Chatelain