Les associations de CAP Loup se sont récemment déclarées choquées par une publication d’éleveurs, qui conseillait ouvertement de tricher pour obtenir plus sûrement des indemnisations. Les mêmes associations gagnent régulièrement des procès contre des préfets, car ces derniers autorisent des tirs de loups totalement illégaux alors qu’ils sont censés représenter la loi. Ceci explique peut-être cela…
par Marc Giraud
La corporation des éleveurs est-elle au-dessus des lois ? Rappelez-vous cet épisode de kidnapping du président et du directeur du Parc de la Vanoise en 2015. La raison de cette violence ? Les 50 éleveurs responsables de la séquestration exigeaient l’abattage de 5 loups (espèce protégée par la loi, il est peut-être bon de le rappeler) dans le cœur du Parc (espace protégé). Eux et leur syndicat – la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) de Savoie – ont-ils été rappelés à l’ordre, comme les syndicalistes d’Air France en d’autres lieux ? Non. Non, et non seulement ils n’ont pas été inquiétés, mais ils ont été récompensés au-delà de leurs espérances, avec une autorisation de flinguer… 6 loups !
Un climat malsain d’impunité
De tels signaux d’impunité ne sont sains ni pour la démocratie et le respect des lois communes, ni évidemment pour la préservation de notre patrimoine naturel. Sur le terrain, les protecteurs des loups entendent régulièrement parler de tricheries de la part de certains éleveurs, mais ce ne sont que des paroles difficiles à vérifier. Cependant, en mai dernier, un document destiné aux éleveurs a commis la bêtise de confirmer ces soupçons noir sur blanc…
Dans une brochure officielle du syndicat Coordination Rurale (retirée de son site internet, mais dont vous trouverez une copie ci-dessus), les auteurs invitent les éleveurs à enfoncer un stylo bille dans les plaies avant l’arrivée des agents chargés du constat de terrain pour « fermer la porte à l’habituelle réponse « Ce n’est pas un loup » ». Les conseils bricolage : « À l’aide d’un scalpel ou d’une lame de rasoir, au niveau du cou, coupez soigneusement la peau sur 15-20 cm pour faire apparaître clairement la morsure en veillant à ne pas compromettre la constatation officielle ; Présentez un stylo à bille dans un des trous laissés par les crocs, puis l’enfoncer jusqu’au fond (environ 2 phalanges) ». Suivre cette procédure, susceptible d’élargir et d’approfondir les lésions, peut permettre de transformer une morsure quelconque sur un cadavre de brebis en morsure de loup, et d’ainsi duper les agents et garantir une indemnisation.
Rappelons qu’en cas de prédation imputée au loup, les éleveurs sont indemnisés même s’ils ne protègent pas leurs troupeaux et même s’ils reçoivent déjà beaucoup d’argent public pour le faire (subvention des clôtures, des chiens de protection et leur nourriture, du salaire des bergers, des cabanes pastorales, etc.).
Les associations de CAP Loup, représentant 200 000 adhérents, ont écrit au ministre pour lui demander :
1/ d’appeler les agents de l’État au refus d’établir un constat si une telle manigance est observée,
2/ de retirer toute indemnisation et toute subvention aux auteurs de ces triches,
3/ de ne pas mettre en œuvre l’Action 3.2 du « Plan loup » visant à laisser aux éleveurs la possibilité de réaliser… eux-mêmes les constats de prédation. Sans tomber dans les généralités, nous n’avons aucune raison objective de faire globalement confiance à une corporation qui recèle un bon nombre d’anti-loups revendiqués.
Les victoires difficiles des associatifs
La vie quotidienne des associatifs est une lutte incessante et pénible pour simplement faire respecter les lois, car l’État fait le contraire. Le 9 mai par exemple, le Tribunal administratif de Nancy a, comme bien des fois auparavant, donné raison à l’ASPAS, ASPA Vosges, Ferus, Flore 54, Oiseaux nature et One Voice, en déclarant illégaux les arrêtés des Préfets de Meurthe-et-Moselle et des Vosges du 1er décembre 2016. Ces arrêtés avaient autorisé l’abattage du seul loup de la plaine des Vosges par « tir de prélèvement » et « tirs de défense renforcée ». Une fois de plus, l’État français se considérait au-dessus des lois en autorisant illégalement le tir d’une espèce strictement protégée au niveau européen. En effet, la législation impose la mise en œuvre de mesures de protection avant d’autoriser les tirs : le juge a constaté l’insuffisance des moyens de protection mis en place sur cette zone.
Autre victoire des associatifs parmi d’autres : le 24 mai dernier, le Tribunal administratif de Grenoble a annulé l’arrêté du 19 août 2016 du préfet de l’Isère, déclarant ainsi illégal l’abattage des trois loups qui en avait suivi. Après l’affaire de cette louve abattue illégalement dans la Drôme, puis celle des trois loups tirés illégalement en Savoie, une fois encore, le tribunal a donné raison aux associatifs, ici l’ASPAS, Ferus et One Voice.
Hélas, ces victoires arrivent généralement trop tard, c’est-à-dire après l’abattage des animaux. Les trois loups « tuables » avaient ainsi rapidement été flingués par des chasseurs. Sur les 3 animaux tués, 2 louveteaux avaient été la cible des tirs, à un âge où ces animaux sont incapables de commettre des dégâts aux troupeaux.
D’autre part, les arrêtés officiels de tirs de loups sont si nombreux que sur le terrain, les abattages atteignent vite les plafonds préconisés… ce qui entraîne de nouvelles mesures dérogatoires de tirs, montrant en fait qu’il n’existe pas réellement de limite au massacre. Les associations citoyennes ne peuvent pas arrêter une telle volonté de destruction.
Les tirs ne protègent en rien les troupeaux
On ne le répètera jamais assez : tuer des loups ne permet pas de faire baisser les dégâts. Ce constat est confirmé par l’expertise commandée au Muséum National d’Histoire Naturelle et à l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage. La solution n’est donc pas l’abattage : si tel était le cas, la politique française de tirs aux loups en aurait apporté la preuve ! Or, les dégâts ne baissent pas : pour protéger efficacement les troupeaux, il faudrait… protéger les troupeaux.
En toute logique, les associations de CAP Loup demandent de mettre fin aux tirs de loups et de supprimer les indemnisations versées aux éleveurs qui ne protègent pas leurs bêtes.
Afin de permettre une cohabitation entre la vie sauvage et le pastoralisme, un changement profond des pratiques d’élevage et du système de subventionnement français – qui n’incite actuellement pas suffisamment aux bonnes pratiques de certains éleveurs – est nécessaire. Rappelons encore que les bergers prêts à jouer le jeu et à cohabiter avec les prédateurs existent bel et bien. Ceux-là sont souvent mal vus par leurs collègues, ils sont courageux mais ils ont rarement la faveur des médias. Terminons donc par cette heureuse exception, révélée par le quotidien la Montagne, qui montre la voie de l’avenir.
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