Lors d’un séminaire au cours duquel j’intervenais récemment pour parler de la nature, un participant m’a posé la question suivante : pourquoi l’homme (au sens de l’espèce humaine) est-il écarté de la définition de la nature ?
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par Jean-Claude Génot, écologue
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Je venais en effet de rappeler une définition de la nature généralement admise dans le monde occidental, à savoir tout ce qui échappe à la volonté humaine. Pour être précis, celle du Petit Robert indique : « Ce qui, dans l’univers, se produit spontanément, sans intervention de l’homme ». J’ai répondu que l’homme est « de » la nature, il est aussi « dans » la nature (le Petit Robert donne également la définition suivante : « L’ensemble des choses perçues, visibles, en tant que milieu où vit l’homme »), mais il n’est pas la nature dans sa globalité, seulement une partie. Il faut bien nommer les autres organismes vivants non humains ainsi que les facteurs non vivants abiotiques qui influencent le vivant avec qui nous partageons la planète.
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J’ai ajouté que si notre définition est fondée sur le dualisme homme/nature, ce dernier ne mène pas forcément à l’opposition mais peut très bien conduire à la complémentarité. C’est d’ailleurs de cette façon que l’artiste et philosophe suisse, Robert Hainard, définissait la nature : le complément indispensable de l’homme. Si d’autres cultures plus intégrées à la nature vivent plus en harmonie avec leur environnement naturel, ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas la même définition de la nature que nous ou que le concept de nature n’existe pas pour eux, mais bien parce qu’ils ont culturellement et spirituellement une autre relation à la nature que la nôtre. Par ailleurs ils nomment également les autres organismes vivants non humains et le non vivant avec qui ils partagent leur milieu de vie.
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Puis je me suis demandé si la personne qui avait posé cette question avait la tentation de croire qu’en fusionnant l’homme et la nature, la définition ouvrirait une voie vers un rapport homme/nature plus harmonieux ? D’abord il y a un risque à cette fusion, celui de dire qu’il n’y a plus de nature et que tout est culture. S’il n’y avait plus de concept de nature, l’homme pourrait tout se permettre, ce qui est déjà passablement le cas. Enfin, ce serait faire preuve d’une belle arrogance que de croire que tout est culture car les espèces sauvages ne doivent rien à l’homme.
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Alors est-ce qu’une définition faisant apparaître un équilibre harmonieux entre homme et nature est possible, souhaitable ? Le fait que l’homme fasse partie de la nature mais apparaisse aussi dénaturé à l’échelle planétaire (quelle espèce autre que l’homme détruit à ce point son milieu de vie ?) ne milite pas vraiment pour rendre possible une définition « harmonieuse ». Enfin ce n’est pas souhaitable car seule une définition rappelant à l’homme que la nature se passe de lui pour exister peut mener à une position moins arrogante, voire empreinte d’humilité.
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De plus, le rappel que la nature n’existe vraiment que lorsqu’elle est spontanée et sans intervention humaine peut servir à marquer une limite claire à notre emprise totalitaire. Certes la nature peut aussi résulter du fruit d’une interaction entre l’homme et les éléments naturels, mais à condition que l’homme respecte les règles de fonctionnement des écosystèmes, ce qui n’est plus le cas dans notre civilisation anti-nature actuelle. En fait il n’y a rien à changer dans cette définition dualiste sinon notre rapport à la nature. Ainsi la révolution du XXIe siècle consisterait à abandonner notre anthropocentrisme au profit d’un écocentrisme, seul moyen de fixer des limites à notre expansion insoutenable. L’homme est un animal cérébral qui se représente la nature en fonction de son éducation, de ses connaissances et de tous les éléments de conditionnement mental que distille notre civilisation anti-nature mais pas de la ressentir telle qu’elle est réellement. La nature est un miroir qui nous renvoie notre propre image. Comme nous percevons les choses par contraste, selon Hans Jonas seule la nature non changée parle à l’homme, elle nous renvoie à notre humanité.
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Mais au fait, parler de définition de la nature n’est-il pas dépassé à l’heure où celle-ci a été supplantée par la biodiversité ? Certes la biodiversité a gagné les sphères techno-scientifiques de la nature et même le monde politique car ce concept est taillé pour faire sérieux et crédible et pour ranger la nature au musée des accessoires verbaux. Pourtant le terme nature est encore très employé dans les milieux artistiques ainsi que dans les sciences sociales et également chez de nombreux profanes. Enfin, son pouvoir évocateur est mille fois supérieur à la biodiversité, trop technocratique pour plaire au plus grand nombre. La nature donne envie de rêver, de fantasmer et de s’inspirer. Enfin, on ne peut résumer la nature à la seule diversité biologique. La biodiversité ne reflète en rien les concepts de l’écologie, à savoir la naturalité des espèces, des espaces et des processus, la complexité des interactions, la fonctionnalité des écosystèmes, la spontanéité du vivant et l’évolution. N’ayons donc pas peur de nommer nature le foisonnement végétal et animal qui peut s’installer partout, y compris au cœur des villes, sans rien nous demander.
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