Au-dessus du village de Bellecombe-en-Bauges, on ne cultive pas la poésie ni le roman, mais la tranchée à travers les alpages. Ces alpages si bucoliques avec un petit chemin qui sentait bon la nature vierge…
par Loïc Quintin
« Il existe un monde d’espace, d’eau libre,
De bêtes naïves
Où brille encore
La jeunesse du monde.
Et il dépend de nous,
Et de nous seuls, qu’il survive. »
Ainsi s’exprimait le grand poète et illustrateur de la montagne, Samivel.
La commune a ouvert une large piste pour permettre aux alpagistes qui sont légion – un ou deux ! – de grimper avec leurs 4 x 4 dans cette combe verdoyante. Résultat, le terrain a été massacré. Des arbres mutilés, cadavres enchevêtrés – pour la seule raison qu’ils dérangeaient, jonchent les bas-côtés de la piste. Le sentier qui serpentait, bordé d’une flore intéressante, endémique et abondante, est scindé en morceaux, a disparu sur la plupart de son trajet. C’est écœurant quand on aime la montagne.
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On se pose la question : les élus aiment-ils « leur » montagne ?
On peut répondre : non.
Quand on casse la flore et par voie de conséquence la faune qui en profite, quand on laisse des monceaux de terre et des troncs mourir comme de vulgaires débris sans importance, on n’aime pas la montagne. On privilégie l’économie, le confort de certains qui utilisaient bien avant la piste leurs véhicules polluants sur le chemin saccagé. On ne privilégie pas les paysages, on les assassine.
Car Bellecombe-en-Bauges n’est malheureusement pas le seul cas. Un peu plus haut, dans la combe sauvage du Charbon, une autre piste du genre saigne la pelouse alpine. Pétitions et autres résistances n’y ont pas suffi.
Que diraient les parents et grands-parents en voyant ces terres maltraitées ? A cela, élus locaux et alpagistes répondent souvent : « Faut vivre avec son temps. »
D’accord, allons-y. Lâchons-nous. Un jour ces pistes seront goudronnées – cela a d’ailleurs été demandé il y a quelques années par des alpagistes des Bauges -, et puis l’on érigera un parking pour les touristes, et puis l’on bâtira des infrastructures pour les recevoir. Continuons de bétonner les montagnes, construisons des villes sur les cimes, assoiffons les sources et les torrents déjà siphonnés jusqu’à l’usure par les canons à neige. Des villages manquent d’eau en fin d’hiver. Peu importe, tirons encore plus sur la corde et les Alpes, en l’occurrence la Haute-Savoie, deviendront un lunapark pour privilégiés. Poursuivons la destruction des campagnes, urbanisons à qui mieux mieux, traçons, ouvrons, coupons, brisons !
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Il dépend de nous tous, élus et non élus que ce monde survive
Il est déjà bien atteint et tente de ne pas succomber à ces blessures. Il essaie d’émerger des pollutions qu’on lui inflige par la volonté d’inonder ses vallées par les voitures. Et même quand on monte un peu plus haut pour s’évader de ce cloaque, on subit les affres de l’envahissement cupide.
Toute cette gabegie alimente le changement climatique. Tout le monde s’en fout ! La preuve, élections présidentielles obligent, les deux candidats restant en lice ne disent piètre mot de la situation alarmante et catastrophique du climat. Nous sommes en sécheresse et tout le monde ferme les yeux. Nous sommes déjà dans le mur et ouvrir des pistes, abattre des pentes, ne fait qu’aggraver la collision avec le mur.
Sans doute les citoyens se complaisent-ils dans cet environnement qui se dégrade insidieusement, par petites touches. Ils se plaisent sans réaction ostentatoire à la détérioration des paysages, et empruntent sans frémir ces pistes qui fleurissent, ou bénéficient des canons à neige qui se dressent sur leur passage sans réagir. Au contraire, ils en profitent sans réfléchir.
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Les citoyens sont-ils amoureux de leurs montagnes ?
On peut répondre : non, pas vraiment.
Sinon, ils les défendraient avec virulence. Au lieu de cela, ils se laissent bercer par les sirènes du toujours plus.
Très bien. Alors, allons-y gaiement et ne nous étonnons pas qu’un jour très proche la montagne se réveillera pour déverser ses flots de dépit devant cette passivité, que le climat nous secouera une bonne fois pour toutes devant cet orchestre humain qui joue dans sa folie la symphonie de l’inconscience.
C’est en aimant véritablement, les montagnes, la nature, la Terre que l’Homme se sauvera.
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